mardi 27 février 2007

Plongée dans le programme d'un candidat

Pour une fois, je lis le journal presque à l'heure. Le Monde du 24 février 2007 en page 10 consacre un article au programme électoral de M. Le Pen. C'est assez édifiant, même, une bombe à retardement.
A ses yeux, l'immigration reste la cause principale des problèmes de la France, en matière de chômage, crise du logement, déficit de la Sécurité sociale, délinquance, dette publique etc etc etc...

Ses solutions :
une politique d'inversion des flux migratoires (...), d'arrêt de toute nouvelle immigration (...), d'assimilation de ceux qui respectent nos lois, nos coutumes, acceptent les devoirs qui découlent des droits accordés et considèrent la France comme leur patrie, à l'exception de toute autre.
Une petite remarque de littéraire déjà, vous avez remarqué son utilisation du pronom démonstratif "ceux"...? Que de mise à distance: oui, pour lui, il y a nous et il y a eux... si différents. On en met des choses sous les mots.
Et au passage, on renonce aussi à la double nationalité. Mais tout le monde n'est pas forcé de chanter, comme Edith Piaf "je me fous du passé", il y a des gens pour qui ça compte, le passé, les racines, une identité, ce n'est jamais un bloc homogène, il y a des millions de petites choses qui forment une identité...

Bref, pratiquement, cela donne, je cite là Le Monde :

Cette politique se traduirait par un rétablissement des frontières donc une sortie de l'espace Schengen ainsi que la dénonciation de tous les traités européens concernant l'immigration. tout étranger rentré illégalement sur le territoire serait bien évidemment expulsé. D'autre part, les personnes sous le coup d'une condamnation judiciaire seront également priés de repartir au pays "purger leur peine". Et les ressortissants Français, naturalisés depuis moins de dix ans, condamnés à plus de six mois de prison fermes pourraient se voir déchus de leur nationalité.
De façon à décourager les candidats à l'immigration, la durée des cartes de séjour
passerait de dix à trois ans, "y compris pour ceux qui se trouvent actuellement sur notre territoire" et il serait mis fin au regroupement familial. De même, les patrons embauchant des étrangers verraient la part de leurs cotisations à la branche maladie majorées de 35%, idem pour l'assurance- chômage. Dans ce dernier cas, la part salariale serait elle aussi augmentée de 35%, seules les cotisations pour les retraites resteraient inchangées, mais les travailleurs immigrés seraient incités à retourner dans leur pays d'origine pour y finir leur vie.
Enfin, les travailleurs étrangers n'auraient plus droit aux aides sociales qui, comme les allocations familiales seraient réservées aux Français.


Là encore, je souligne "notre territoire"... notre argent, nos emplois, nos femmes a-t-on envie de continuer... non mais il faut se rendre compte là, il veut rendre la vie à tous les "étrangers" insupportable ici pour forcer à partir des gens qui ont bâtis leur vie ici, cotisé ici, travaillé chez nous, nous enrichissent... Il encourage au racisme, je suis désolée, mais à un moment, il faut dire les choses. Pénaliser les entreprises engageant des étrangers, ça va loin quand même, c'est de la discrimination, c'est ce pourquoi on fait des lois aujourd'hui. C'est ignoble. Repensez un peu aux années 30, de l'autre côté du Rhin, c'est comme ça que ça commence, de façon apparemment anodine et politiquement correcte, avec l'assentiment de la foule, trop heureuse de trouver un bouc émissaire à ses problèmes: on donne d'abord envie de partir, et quand ça ne va pas assez vite, ça dérape. Repensez-y surtout, il ne faut pas oublier ça parce qu'on n'est jamais à l'abri contre ça !

Et vous vous sentez peut-être à l'abri, mais vous n'avez pas vu ce qu'il prépare aussi aux Français... il ne veut pas clairement interdire l'avortement, mais il veut inscrire dans le préambule de la Constitution "le caractère sacré de la vie, de la conception à la mort". C'est la porte ouverte à la répression de l'avortement, il faut voir les choses en face. Et au passage, c'est aussi revenir en arrière sur ce qui est à l'oeuvre en matière de droit de mourir pour les malades en phase terminale. Il compte donc favoriser et encourager l'adoption prénatale. En gros mesdemoiselles, vous n'avez pas envie d'être enceintes, et vous l'êtes, par négligence, accident, ou agression, là, n'est pas la question, vous avez envie d'avorter parce que vous êtes trop jeune, ou traumatisée, ou vous aimeriez bien finir vos études... et bien vous oubliez, et vous vous préparez à mettre votre vie entre parenthèse pendant neuf mois, voire carrément à la fiche en l'air, à porter un enfant dont vous ne voulez pas, que vous ferez adopter ensuite, ce qui n'est jamais facile, avec tous les cas de conscience possible et imaginables. vous croyiez être libre... ce n'est plus le cas. retour en arrière. avant 68, quand on n'avait pas le droit de disposer de notre propre corps. quand je pense qu'il y a des pays où on lutte pour mettre en place une structure médicale légale permettant l'avortement. le portugal pour commencer... ces femmes comprendraient-elles qu'on renonce à ce pourquoi elles se battent...?

Et pour les autres, le mariage homosexuel, vous oubliez, l'adoption encore moins...

Et il y en a pour tous les goûts, pour les Européens et les Libéraux aussi... Ça fait plus de cinquante ans qu'on essaie de construire l'Europe, de former une entité qui ait un poids sur la scène internationale... et bien on va balayer tout cela, allez, retour en arrière, de toute façon c'était mieux avant. On n'abandonne plus d'emblée l'euro, mais on exige une réforme de la BCE, il y a fort à parier, qu'elle refuse, bon prétexte pour sortir de l'Euro alors. On renégocie les traités, l'Etat doit redevenir souverain et si les autres pays ne suivent pas, on fait un référendum demandant si "la France doit reprendre son indépendance". Mais pour faire quoi ? Pour faire quoi ? Dans le monde actuel, il ne faut pas se leurrer, économiquement, ce serait la plongée dans l'abîme... ah oui, et on refusera aussi désormais la coopération policière et judiciaire avec Europol, tout impôt européen, bien évidemment, on rétablit la préférence communautaire. Et si on pouvait quitter l'eurocorps et l'OTAN, et renforcer l'armée nationale... là, vraiment, ce serait parfait...

Certes... que tous les partisans du vote de protestation y pensent un peu... on proteste par des manifestations, on ne joue pas avec des élections, c'est pas la même chose, chaque chose à saplace, et ce vote-là, il est dangereux. Vraiment. Vous sentez-vous de taille à cautionner tout cela juste pour dire votre ras-le-bol...? Il me semble que ce n'est pas tout à fait la même chose, ça va bien plus loin. Et au passage, il y a aussi des extrêmes à gauche si vous vous sentez l'âme protestataire. Il y a les Verts aussi, c'est utile ça, défendre la planète sur laquelle on vit, et c'est plus constructif. Les actes ont des conséquences et il faut y penser aussi avant d'agir, la beauté du geste, c'est une utopie en politique. On s'en fiche pas mal du geste, ce qui compte c'est ce qu'il crée. Il faut le savoir. Voulez-vous créer ce monstre ?







Cubisme, poésie et phénoménologie au musée Picasso




Récemment, je lisais un livre d'un critique américain, Robert H. Greene, Six French Poets of our time. Il y consacre un chapitre à Reverdy, et revient sur ses accointances bien connues ou qui vont l'être, avec le Cubisme. Reverdy était en effet ami de Picasso, de Braque et on considère qu'il a tâché de transposer la façon dont un peintre Cubiste voit la réalité et la rend, dans son écriture.

Logiquement, un monde s'ouvrira dans les poèmes de Reverdy si on a ça en tête en le lisant. Et Greene, entre autres avec Enrico Guaraldo par exemple, ou Jean-Pierre Richard mettent en parallèle Cubisme, phénoménologie et écriture poétique. Le résultat en est si fascinant qu'il m'a poussée au musée Picasso cette après-midi. (Vive Paris et ses musées!).

L'idée, que j'ai trouvée, ou disons le mieux compris chez Greene, est que ce qui change avec les peintres Cubistes, ce n'est pas tant le sujet que le regard porté dessus. Le sujet reste le même, un, uni, malgré sa fragmentation apparente, qui n'est en fait que la transcription de l'éclatement de la conscience regardante. Ce n'est pas l'objet qui vole en éclat, c'est le regard, et les parcelles qui émergent dans la peinture de Picasso par exemple sont des bribes de ce que le regard du peintre, un moment fixé, a vu.

Ce que cette approche permet alors, c'est de viser l'essence même de l'objet, et c'est par là qu'on s'approche de la phénoménologie. Guaraldo écrit en effet :


Comme Husserl, les Cubistes sont à la recherche des essences. Un violon, mettons, est représenté dans leurs tableaux à travers certains éléments qui, en le soustrayant à son individualité et en l'identifiant à une généralité, selon laquelle il n'est plus un violon, mais le violon, le qualifient dans son essence, l'expliquent.


En gros, l'idée, c'est que visant l'objet sous tous ses angles, le défragmentant, ils le réduisent à son plus petit dénominateur commun, on se débarrasse de tout ce qui est particulier à un violon pour ne plus avoir que la trame commune à tous les violons, et qui fait le violon.

La démarche cubiste m'était donc révélée, s'ouvrait devant moi. Il fallait que j'aille au musée, confronter ma connaissance toute neuve avec la matière à laquelle elle s'applique, et je dois dire que je n'ai pas été déçue.
Au passage, notez qu'on rejoint ici, à mon sens, ceci n'engage que moi, l'idée de la note sur the Waste Land défendant l'idée que le ("court") XX° siècle, avec pour élément fondateur la Première Guerre Mondiale, est celui de la synecdoque, face à un millénaire de métaphore.

Décidément, j'aime beaucoup cette idée. Ça prendrait un monde à défendre, mais l'accélération généralisée de notre époque, fragments de paysages aperçus dans un train lancé à 300km/h, pages web visionnées à toute allure... décidément, on est dans une esthétique du fragment, ou de son cousin le détail. Personnellement, le détail pouvant reconstituer un monde à lui tout seul, il garde mes suffrages, même si, sans doute, l'heure est davantage au fragment...

Dans l'ordre : Nature morte aux grappes de raisin de Braque, Nu à la mandoline de Picasso, Demoiselles d'Avignon de Picasso, Mandoline de Braque, et Guernica, de Picasso...




lundi 26 février 2007

Pour les jours de pluie


Aujourd'hui, une petite note sur le rire.
Le rire est léger, le rire fuse, il part, il secoue, ébranle et perturbe l'ordre. Le rire n'est pas pris au sérieux. Il s'oppose au sérieux d'ailleurs, croit-on souvent, à tort.
On peut faire plusieurs lectures du rire.
Il y a le rire franc, d'une blague, de bon mot, c'est le rire de connivence avec l'autre, joie de partager ses références et un jugement. Nous deux face au monde...
Il y a le rire sardonique, satanique etc, c'est celui de Merteuil par exemple. Rire de supériorité. Et de mépris. Rure de Don Juan lorsqu'il périt. Ici on ne rit pas avec on rit de. On prend ses distances.
Il y a le rire jaune, déception cachée sous des atours mondains. On se met à distance pour se protéger.
Il y a le rire de la satire : Molière, Marivaux, Lesage, le rieur se dit "Dieu merci je ne suis pas comme eux...
Il y a le rire de Diogène, de Socrate, ce bon rire du philosophe bon vivant, de Montaigne, de Bergson, ce rire qui emporte tout, ce rire de celui qui n'a besoin de rien et rit devant l'adversité. Ce rire supérieur. C'est le rire des sages. Il est ridicule et faux de penser que la connaissance est froide et triste et austère. Au contraire, elle doit etre ancrée dans la vie, elle doit avoir une regard distancié et détaché dessus. Et cette distance elle-même, de celui qui a compris la vanité des choses, qui sait qu'il est plus que ce qu'il parait, ce qu'il possède ou ce qu'il sait, cette distance s'exprime dans ce rire de bon coeur, et de bon esprit, aussi, peut-être surtout d'ailleurs...
Le rire, c'est l'élégance devant la vie...
De celui qui, bien habillé tombe dans la flaque un jour de pluie et se relève, sourire au lèvres.
De celui qui, malgré tout sait être heureux quand même, parce que le bonheur ce n'est pas une journée ni une personne, parce qu'il n'est pas donné, mais conquis, et cela non sur le monde mais sur soi...
Le mot de la fin à Figaro, bien entendu...

Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer.

dimanche 25 février 2007

Hommage au drame romantique




Je n'aime pas, vraiment pas Hugo. Mais il a tout de même fait des choses très... des choses qui méritent l'estime, et le respect. Au nombre de celles-ci, le Drame Romantique. La préface de Cromwell. Le "je suis une force qui va" lancé par Hernani dans la pièce éponyme.
La formulation pour commencer reste en tête, elle est frappante il est vrai. Mais plus que tout, je crois que cela montre et résume bien combien le Romantisme s'est voulu révolutionnaire, est ancré dans une époque révolutionnaire, combien, "quand on a vingt ans on ne peut rester froid devant la préface de Cromwell".
C'est merveilleux la littérature, on est deux cent ans plus tard, et une formule d'une pièce dont la lecture deveint de plus en plus confidentielle a un sens pour nous, on peut s'y identifier. Les étudiants dans la rue c'est toujours et encore la force qui va. C'est la force qui veut plus que ce qu'elle a, c'est la force qui veut changer les choses, les faire avancer, les moderniser, qui veut aller "plus vite plus haut plus fort" . C'est l'"élan vital" de Bergson...
Et c'est merveilleux de se dire qu'en un sens, rien ne change jamais vraiment, la jeunesse sera toujours fondamentalement mécontente, et le jour où elle cessera de l'être, il faudra vraiment s'inquiéter, et ce qu'un homme a vécu et dit des siècles auparavant, même si la formulation nous en semble si distante, saura toujours nous frapper au coeur.
Et je pense qu'il y au moins un livre pour chacun des moments, chacun des instants de notre vie.
Pour moi, la littérature n'a de sens "qu'à l'estomac", que par empathie, que lorsqu'on la ressent avant de la comprendre.
C'est épouver le sentiment d'humanité même, que de se reconnaître en l'autre.
Sans cela à quoi bon...


samedi 24 février 2007

dans la continuité de l'exil...


Aujourd'hui, vendredi, si on veut, c'est jour du "monde des livres", le supplément du Monde. Donc j'ai envie de rendre un petit hommage à ces feuilles qui me font rêver chaque semaine, et me désoler de ne pas être en mesure de lire tout ce que je voudrais lire chaque semaine. Il y a environ deux ans, j'y ai lu un article très alléchant sur Partir de Tahar Ben Jelloun (ci-contre). Immédiatement, j'ai eu envie de l'acheter. Évidemment le prix d'une telle édition était prohibitif. J'ai donc pris mon mal en patience jusqu'au mois dernier où je l'ai trouvé d'occasion, acheté et dévoré.
Et il n'est pas décevant. Il dit bien tout le déchirement de cet entre-deux, volonté de partir pour se sauver, pour une vie meilleure, et amour pour le Maroc qu'on aime tant mais où on ne peut pas vivre. Alors on attend, on attend une occasion, une opportunité, on attend de voir jusqu'où on est prêt à aller. Et Azel ira jusqu'au bout. Il a fait des études, a un diplôme en droit, et pas de travail, et il n'en peut plus de cette vie d'attente, il en étouffe, il en meurt à petit feu. Puis survient ce riche espagnol homosexuel, avec des airs de bienfaiteur. Qui s'éprend de lui. Le choix est vite fait. Il le suit. Il ne l'aime pas, mais accepte tout néanmoins, par sens de la dette, par reconnaissance. Jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à le haïr et vouloir se détruire d'être devenu ça, cet homme prêt à toutes les compromissions juste pour... et en un sens, c'est dommage, on se dit, ça aurait été tellement plus simple s'ils avaient pu s'aimer, mais, il a beau essayer, il ne peut pas. Et tout le monde est malheureux. Et tout le monde est broyé par quelque chose. L'espagnol de s'être encore offert à qui ne l'aimait pas, juste pour un peu de jeunesse, un peu de vie. Azel de s'être en un sens vendu. le livre de Tahar Ben jelloun a cette forme de "tristesse majestueuse" qui lui donne cette teinte à nulle autre pareille, où l'on ne fait pas que quitter un pays, mais aussi, en plus d'un sens, une identité.

mardi 20 février 2007

Méprises de sa langue d'Etranger


"Rue Gît-le-coeur... Rue gît-le-coeur..."
chante tout bas l'Ange à Tobie, et ce sont là
méprises de sa langue d'Etranger.


Tels sont les magnifiques, mais au premier abord obscurs, derniers vers de "Dieux proches, dieux sanglants...", le dernier poème de la section "Poème à l'étrangère" du recueil Exil de Saint-John Perse. Une petite promenade dans le 6° arrondissement s'impose pour comprendre toute la beauté cachée de ces vers. Si on longe le quai des Grands Augustin, en partant de Saint-Michel, une des premières petites rues sur la gauche, s'appelle la rue gît-le-coeur. Et en dessous, une petite plaque se lit "anciennement rue Gilles Queux", avec une date que je n'ai par contre par retenue. La rue donc, portait anciennement le nom d'un cuisinier d'un de nos rois de France, Gilles Queux, c'est Gilles Coquus, Gilles le cuisinier... Comment SJP en est-il venu à cette rue ? Il a habité là un moment, dans les années trente me semble-t-il, et c'est le lieu qui abritait ses rendez-vous avec la dédicataire du poème. Et, ironie un peu triste, ce poème annonce déjà leur rupture, et elle le sentait en le lisant. Le nom de la rue prend donc tout son sens, le coeur gît, frappé à mort, comme celui de l'Etrangère à la lecture du poème. Mais aussi, c'est le coeur de Saint-John Perse qui rugit, devant la guerre (on est en 1942°, devant son exil (à Washington), devant sa relation qui s'effrite avec Lilita. Sous ces mots anodins, qui semblent une méprise, un univers de sens surgit donc.

Pour le plaisir, la musique, et la poésie... voici les vers de clôture des trois poèmes du "Poème à l'Etrangère":
"Rue Gît-le-coeur... Rue gît-le-coeur..."
chante tout bas l'Alienne sous ses lampes, et ce
sont là méprises de sa langue d'Etrangère.

"Rue Gît-le-coeur... Rue Gît-le-coeur..."
chantent tout bas les cloches en exil, et ce sont là
méprises de leur langue d'étrangères.

"Rue Gît-le-coeur... Rue gît-le-coeur..."
chante tout bas l'Ange à Tobie, et ce sont là
méprises de sa langue d'Etranger.

dimanche 18 février 2007

Antigone ou de l'utilité de la résistance


Ce soir, un peu de littérature française pour changer, avec Jean Anouilh et son Antigone, dont j'ai eu l'occasion de parler aujourd'hui, remuant ainsi tout un nombre de souvenirs.
Pour rappeler rapidement le mythe, Antigone est la fille d'Oedipe, princesse de Thèbes donc, soeur d'Etéocle et Polynice, et nièce de Créon. Quand Oedipe part pour Colone, ses deux fils se disputent le pouvoir, il était question d'alterner, chacun un an, Etéocle commence, mais ne veut pas le quitter. Polynice lui fait donc la guerre, et accessoirement, il se retourne par là aussi contre Thèbes. Tous deux meurent en s'affrontant. Créon hérite donc du pouvoir, et décrète que ceux qui se sont battus contre leur ville ne seront pas enterrés. Antigone, scandalisée à l'idée que l'un de ses frères puisse ne pas avoir de sépulture, se met en guerre contre Créon, outrepasse son interdiction, et en meurt.
L'histoire de cette pièce commence lorsqu'elle est montée, en 1944 si j'en crois mon édition. Elle est reçue, et acclamée comme un pièce emblématique de la Résistance, qui s'incarnerait en Antigone face à ce qui est perçu comme un pouvoir autoritaire, étatique, totalitaire et tout ce qu'on veut, pour aller vite dans les esprits de l'époque, incarné par son oncle Créon. Or Anouilh à l'époque ne l'a pas du tout écrit en pensant à cela, il est le premier surpris de cette lecture... ce qui nous ramène à Proust, qui, pour le citer de mémoire, nous dit dans le contre Sainte Beuve, "sous chaque mot, chacun met son sens qui est souvent un contresens". C'est un peu le cas ici, en tout cas par rapport au propos de l'auteur à l'origine. Et c'est assez fascinant de voir comment un texte peut dépasser les intentions de son auteur...
L'autre point intéressant de cette pièce, du mythe d'Antigone de façon plus large à vrai dire, est le conflit qu'il fait naître au sein de la cité. Lorsque Sophocle commence à écrire, la cité grecque réfléchit sur elle-même, sur ce que c'est que d'exister en tant que cité, de représenter une entité, les Athéniens en l'occurrence. Et les Grecs partent du principe que la cité est bien plus importante que l'individu, car si l'individu vit en son sein, et la constitue, sa survie n'est possible que grâce à la cité, pensée comme l'ensemble de ses concitoyens. Cette pièce oppose donc Créon, le roi, celui qui défend la cité, qui fait appliquer ses lois, et surtout, qui maintient et assure son existence, sa pérennité, à Antigone, qui du coup, appartient à un monde plus ancien, à un monde où la notion de famille ou de clan était plus importante, où on vivait davantage d'après les lois divines. Pour Créon, les dieux servent à renforcer le sentiment national, pour Antigone, ils structurent l'existence de l'individu, l'échelle a changé entre les deux... Et Antigone, du côté de la famille, de la pitié, force est de constater qu'elle appartient au passé, et que sa rébellion menace la survie de la cité en tant qu'entité qui fait bloc contre l'ennemi. Car c'est ce qu'est devenu son frère en prenant les armes, un ennemi, et pour Créon, c'est ce qui prime. Il faut assurer la survie de la cité.
Après, on peut se réclamer des valeurs de pardon, de charité, d'amnistie, il n'en est pas moins vrai qu'il y a eu faute, et qu'elle mérite châtiment, en l'occurrence, l'absence de sépulture. Le sens de la cité et de la royauté aurait voulu que le frère lésé renonce au pouvoir pour le bien de la cité, tout comme devant Salomon la vraie mère renonce à son enfant pour le sauver... il ne l'a pas fait, il doit expier. C'est dur, mais Créon a raison, et Antigone, même si on l'aime, a tort, et en paie le prix. Tout le monde en paie le prix d'ailleurs, Créon y perd son fils, fiancé d'Antigone, et c'est bien, parce que ça montre à quel point rien n'est gratuit. On peut penser que Créon est inuhmain de sacrifier et sa nièce, et son fils... non, il est roi, et ses émotions n'ont pas à entrer en ligne de compte.
Une relève dialectique possible serait de penser qu'il faut des Antigone contre lesquelles la notion de cité peut se constituer, et pour nous rappeler aussi aux anciennes lois. Elle ne doit pas avoir le dernier mot, sinon la cité tomberait en déliquescence, mais elle doit nous mettre face à notre choix. C'est sans doute ce qui la rend si tragique, elle est vouée à la rébellion, vouée à la mort, vouée à l'échec, et ne peut que marcher dans cette voie. Mais, pour nous qui restons, elle est précieuse. Il faut des gens qui remettent en cause l'ordre établi, ne serait-ce que pour qu'on se souvienne pourquoi il a été établi...

vendredi 16 février 2007

I couldn't let the beauty die...







...dit Kynaston, le personnage principal masculin de "Stage Beauty", un film incroyable, dont les répliques en ce moment me hantent. Il s'agit d'un fim d'époque, sous Guillaume d'Orange me semble-t-il, sur le théâtre. Le fil de l'intrigue est le passage d'un théâtre où les rôles de femmes sont joués par des hommes, à un théâtre où les femmes jouent leur propre rôle, ramenant les hommes au leur. Il est traversé par divers questions, ce qui le rend très riche, il se veut au premier abord un film sur le jeu théâtral, qu'est ce qui fait un bon acteur, où doit se placer le miroir ? Un des personnages dit en effet à Kynaston qu'il l'adorait dans les rôles de femmes travesties en homme qu'on trouve fréquemment dans les comédie shakespeariennes, Kynaston lui explique alors, à la va-vite, que c'est à cause de la réflection multiple qui s'y trouve contenue, un homme jouant une femme jouant un homme, un homme jouant un homme, pour lui, est sans intérêt... ce qui amène le second sujet du film, plus complexe, plus fondamental, il est traversé de fond en comble par la question du genre, car ces hommes, qui jouaient les rôles de femmes, n'ont jamais rien joué d'autre, ils ne savent jouer que cela, et ces rôles, évidemment, par leur difficulté, ont aussi touché leur être propre... sont-ils des hommes, sont ils des femmes, Claire Danes ne cesse de demander "qui es-tu ?" à Kynaston - Billy Crudupp. Le film s'achève sur la reconnaissance de son incapacité à se classer dans une catégorie précise, et si limitée... Kynaston y est en effet en crise du début à la fin, au départ, il est adulé, le meilleur acteur de femmes qui soit à l'époque, puis, son aide en coulisse se produit dans les mêmes rôles que lui dans des théâtres clandestins, cela fait du bruit, et par un enchaînement de hasards malheureux, le roi décide d'interdire aux hommes de jouer des rôles de femmes. Kynaston est alors déchiré, pour lui, il ne sait faire que cela, il joue une femme, et bien souvent, fait la femme également, avec le Lord Buckingham de l'époque. S'en suit sa déchéance dûe à son incapacité apparente à s'adpater. Miss Hughes, son aide, devenue la coqueluche des théâtres, et pour cause, elle est la première femme à jouer, essaie de le sauver, de l'aider. Vient alors cette scène magnifique dont les répliques me poursuivent en ce moment. Kynaston lui explique qu'il rate toujours, à son sens, la mort de Desdémone, "i couldn't let the beauty die, without beauty there's nothing. who could love that...?" Il ne pouvait se résoudre à ne pas soigner la mort, au point de la faire paraître artificielle... puis, sur le point de lui faire l'amour, il lui demande une faveur il veut voir "how you die", jouant sur le même double sens qu'en français pour la (petite) mort. Cela met Hughes en rage, qu'il puisse mettre ces deux choses sur le même plan. Elle se lève et lui hurle, pour le rôle de Desdémone "a woman would fight !". Elle n'attendrait pas gentiment que son mari vienne lui donner la mort. Kynaston va alors, par la suite, la faire être Desdémone, et à son contact, se révéler Othello. Une des plus belles scènes du cinéma, à mes yeux en tout cas. On passe d'un jeu elizabéthain à un jeu post-Marlon Brando. Et c'est à couper le souffle...

mercredi 14 février 2007

sonnets from the Portuguese


Aujourd'hui, c'est la saint Valentin, et même avec la meilleure volonté du monde, personne ne pourrait l'ignorer, roses à gauche, petites coeurs à droite, mais bon, c'est tout de même très joli, très mignon... Une note de circonstance s'impose donc. Mais je compte en profiter pour vous présenter une poètesse anglaise sans doute peu connue, moins que son mari en tout cas, quoiqu'elle le fût autant sinon plus en son temps. Il s'agit d'Elizabeth Barrett Browning. Elle allait finir vieille fille, elle avait déjà une trentaine d'années, et pour son époque, c'est difficile d'être une femme seule, même entourée de sa famille, quand elle a croisé le chemin de Robert Browning. Ce fut un coup de foudre réciproque et immédiat. Son amour lui a inspiré ses Sonnets from the portuguese. Je vous retranscris mon favori, le XLIII :

How do love thee ? Let me count the ways.
I love you more than the depth and breadth and height
My soul can reach, when feeling out of sight
For the ends of Being and Ideal Grace.
I love thee to the level of everdy day's
Most quiet need, by sun and candlelight.
I love thee freely, as men strive for Right;
I love thee purely, as they turn from Praise;
I love thee with the pasion put to use
In my old griefs, and with my childhood's faith ;
I love thee with a love i seemed to lose
With my lost saints, - I love thee with the breath,
Smiles, tears, of all my life ! - and, if God choose,
I shall but love thee better after death.


voilà, enjoy, et carped diem, nam vita brevis et dies mutabilis est.

mardi 13 février 2007

the Waste land, not wasted for all...

Fatalement, quand on range, on retrouve des choses qu'on avait oubliées. Cette fois, ce fut une double feuille pliée en quatre, remplie de poèmes de la Première Guerre mondiale, recopiés du Testament of Youth de Vera Brittain. La nostalgie aidant, je suis allée acheter une anthologie de poèmes de cette époque. Et j'ai aussi retrouvé sur mon laptop le poème considéré comme fondateur de la poésie de l'après GMI, dans le domaine anglophone en tout cas, "The Waste Land" de T.S. Eliot, dont voici un extrait de la première partie :
What are the roots that clutch, what branches grow
Out of this stony rubbish? Son of man,
You cannot say, or guess, for you know only
A heap of broken images, where the sun beats,
And the dead tree gives no shelter, the cricket no relief,
And the dry stone no sound of water. Only
There is shadow under this red rock,
(Come in under the shadow of this red rock),
And I will show you something different from either
Your shadow at morning striding behind you
Or your shadow at evening rising to meet you;
I will show you fear in a handful of dust.

J'en aime tout particulièrement le dernier vers ici, j'y pense sans cesse depuis mardi dernier... Il me fait mieux comprendre pourquoi on considère que le monde d'avant la GMI est le domaine de la métaphore, c'est un monde qui a un sens, sinon global, du moins partiel, et on peut y référer par analogie. Il existe une forme d'unité de l'expérience sur laquelle on peut jouer. Puis la Guerre vient tout faire voler en éclat. Le sens s'échappe, on ne comprend pas pourquoi tous ces morts, ces tranchées, on a une vision partielle de l'événement, les buts nous échappent, on ne voit qu'un maigre morceau du paysage. C'est la vision que Stendhal commençait déjà à laisser entrevoir dans la Chartreuse de Parme. Ici, elle éclate à plein, la vision se disloque, et comme c'est l'oeil qui souvent crée les liens logiques, la compréhension aussi devient plus difficile, le sens se fragmente parce que le monde est perçu de façon fragmentaire. On passe alors de la métaphore à la synecdoque, la métonymie parfois. Et la poésie s'en fait l'écho. En effet, on ne peut plus écrire de la même façon après la Première Guerre mondiale.

J'ajouterai un petit lien vers cubisme et futurisme, vers un blog que j'ai trouvé en cherchant de quoi illustrer cette page, ce que du coup je ne vais pas faire :
http://www.blogg.org/blog-26774-offset-80.html (voir la note du 19 octobre 2005).

lundi 12 février 2007

"en finir avec la peine de mort"

Je lis toujours le journal en retard, très en retard. Hier soir, j'ai lu Le Monde du 3 février, et en particulier cet article, de Mario Marazziti : porte-parole de la Communauté Sant'Egidio et confondateur de la Coalition mondiale contre la peine de mort. Voici le début de son article :

"Penthotal, curare, chlorure de sodium. Je te fais asseoir, je te paralyse, je te congèle. Une mort sans douleur ? La guillotine aussi devait "humaniser" la mort. Rapidité, précision. L'injection léthale devait procurer, enfin, la mort propre. Indolore. Pas comme le cyanure des chambres à gaz, avec sa mort lente par étouffement. Pas comme la lapidation, si archaïque et barbare, ou le peloton d'exécution, si imprécis. Pas comme la pendaise : la tête peut être arrachée, ou la mort plus lente. Tout cela paraît trop barbare, peu fiable. Pas comme la chaise électrique, qui parfois fait brûler la tête, ce qui n'est pas agréable à regarder. Les exécutions "s'humanisent" aussi pour ceux qui y assistent et pour ceux qui administrent la mort.
La première exécution par injection léthale s'est déroulée au Texas en 1982. Caroll Pickett, un pasteur méthodiste, a accompagné les 95 premiers condamnés à mort. Il m'a raconté qu'on fait des essais pendant un mois, qu'ils ont décidé de fixer le bracard au sol, s'étant aperçus que si le condamné se débat, il s'en va dans tous les sens. Et quelque fois, l'aiguille sort de la veine : c'est la raison pour laquelle on utilise les deux bras. L'un des deux est en réserve. Puis, tous s'arrête. Il n'a pas de réaction, pardois un demi-sourire. La respiration cesse. La réalité est tout autre. Une substance à base de curare paralyse les muscles, tandis qu'une autre congèle et détruit. Mais la sensibilité ne disparaît pas, seulement la possibilité de hurler et de se rebeller contre l'horreur. On a la sensation d'exploser de l'intérieur et on ne peut même pas crier. C'est ce qu'a expliqué le British Medical Journal".


Il m'a fallu quelques années au départ pour décider de ma position sur la peine de mort. Mais depuis sept - huit ans maintenant c'est fait. Pour moi, une société ne peut s'arroger le droit de vie ou de mort sur ses membres. Pour quoique ce fût. C'est trop facile, parce qu'après tout, elle a porté ce membre en son sein, une remise en question, fût-elle minime, s'impose donc toujours. Et c'est illégitime, avant toute autre considération...

Je ne peux pas vous donner le lien de l'article en entier, Le Monde a classé l'article en archives, et elles sont payantes, mais elles existent en tout cas. Par contre, voici le lien de l'organisation de Mario Marazziti : http://www.worldcoalition.org/index.html

Don Giovanni, mon premier opéra...


Bien, puisqu'il faut bien commencer à quelque part...

Don Giovanni, de Mozart, m'a occupée toute l'après-midi, et continue de le faire. La pièce était superbe, évidemment. Quoique, lorsqu'on a la version de Molière en tête, on est un peu perplexe à la fin, déçue de ne pas voir le grand séducteur foudroyé, mais pétrifié en quelque sorte, par un Commandeur sans doute en pierre, mais en tout cas poussé sur sa chaise de bureau. Et oui, c'est une version moderne, très bonne au demeurant, mais elle m'a prise par suprise. Peu à peu, le Commandeur s'écroule, Donna Elvira trouve la volonté de le poignarder, en vain, il est presque déjà mort, mais c'est pour la forme dirons-nous, et ensuite, je n'ai pu m'empécher de repenser au parfum de Süskind, s'entend, son adaption cinématographique, quand j'ai vu toute la troupe se jeter sur le corps du Don. Avant de le défenester. Passons.
Ce qui m'a étonnée, c'est que, me voulant féministe, j'ai pu autant apprécier ce personnage pourtant prédateur, de Don Giovanni, et autant, pour ainsi dire mépriser ses conquêtes. Dans cette oeuvre, on voit le séducteur aller de femmes en femmes, de mensonges en mensonges, mais en un sens, il est toujours constant, toujours égal à lui-même, dans la mesure où il fait toujours la même chose. L'autre constante, c'est la facilité avec laquelle on lui cède, femmes, et hommes aussi. On plie devant sa volonté. Serait-il irrésistible ? C'était ma première hypothèse, mais bien vite, j'ai eu une autre impression, celle que dans cette pièce, il était le seul à tout simplement avoir une volonté... et à l'assumer.
Donna Anna, sc 1, se jette à ses pieds, tâche de le retenir par tous les moyens. Plus loin, elle dira à son fiancé qu'il a tenté d'abuser d'elle, qu'elle est sortie guidée par sa colère. Donna Elvira se fait humilier de toutes les façons possibles, et ne cesse pour autant de lui crier son amour. Quant aux hommes... car ces femmes ne sont pas seules, ils sont effacés, le brave fiancé de Donna Anna se trouve forcé de la venger, et de venger son père que Don Giovanni a tué, et il le fait juste comme cela, par bonté d'âme, sans rien demander en échange. Et quand, enfin, Don Giovanni meurt, que s'entend-il dire, qu'Anna veut un an de plus avant le mariage. On finit par se demander si c'est pour porter le deuil de son père, ou celui de Don Giovanni. Quand à la petite paysanne, ou plutôt femme de ménage dans cette version, elle ne se fait pas prier pour quitter son fiancé, et, une fois abandonné par le Don, lui revient, se trainant à ses pieds, le suppliant de la battre, lui faisant des avances. En un sens, ce qu'elle semble chercher, c'est à être touchée, d'une façon ou une autre... Elles veulent ressentir, éprouver, c'est ce que leur permet Don Giovanni, ne fût-ce que pour un bref instant, et c'est ce qu'elles doivent cacher par la suite.
Comment lire alors cette pièce, simple désir de conquête qui vire à l'hybris, la démesure et se voit punit ? Ou châtiment par les faibles d'un fort ? Ou misère de la femme-objet et pourtant désirante dans un monde où elle ne peut le dire ? Dans tous les cas c'était très beau, et dans tous les cas dur à admettre...