Le théâtre de Chaillot propose en ce moment trois ballets de Russel Maliphant : Flux, Small Boats, et Push, que je ne peux que recommander pour leur beauté, leur originalité et leur intelligence.
Flux présente un seul danseur en scène, pour un ballet de dix minutes, sur une musique électronique très épurée. D'emblée, le spectateur est frappée par l'utilisation des lumières que le spectacle met en jeu. Avant le lever de rideau, la salle est plongée dans une obscurité totale, pour mieux faire ensuite, lentement, émerger sur scène dans un premier cercle de lumière, petit et lointain, Alexander Varona. Ce danseur, clef de voûte des trois ballets de la soirée, a une belle physionomie: il est grand, large d'épaules, musclé, il a un très beau corps, et le crâne rasé, ce qui du coup, crée une surface supplémentaire sur laquelle vient se réfléchir la lumière du spot unique éclairant la scène. Il nous offre une danse virevoltante, très ancrée dans le sol, mais avec tours et contre-tours constants, jeux de bras, déplacements en ellipses sur le bord du cercle de lumière qu'il emplit véritablement de sa présence. Sa danse donne l'apparence d'une vague, elle monte et descend, reprendre appui dans le sol, avant de remonter un instant. Le passage dans le second cercle se fait progressivement, il y gagne plus d'altitude et de vitesse. Cette danse est placée sous le signe de la symétrie, car, lorsqu'on reconnaît enfin la structure de pas qui scande ce poème dansé, soudain, il s'arrête.
Small Boats est très surprenant pour sa mise en scène. Un ami souligna une parenté évidente avec David Lynch - que je ne connais malheureusement pas. Le ballet s'ouvre sur un film montrant des bateaux à la casse, derrière un grillage que nous longeons, et qui finit par absorber toute notre attention, quand l'écran se divise pour faire appaître, dans la bande noire du milieu, les corps des danseurs qui tanguent, jouets de cette mer injuste. Le ballet s'organise autour de trois séquences, dérive, échouage, noyade... la dérive est belle et lente. L'échouage plus dynamique, ils prennent soin l'un de l'autre, se portent, s'entraînent, la scène commence à l'écran, et est reprise sur scène de façon tout à fait saisissante. Au coeur de ce balais, des scènes de chutes, terrifiantes, dans les ecalier d'un grand chateau décoré à la mode du xviii° siècle, là sur fond de cris, nous voyons les survivants apparaître tels des spectres sur l'écran. La mort enfin, est courte et dure, les corps sont rejetés par la mer, ou pris dans les filets, tels des dauphins, ils y meurent. La mer, ici marâtre cruelle inspire un ballet très impressionnant où la force des images et des scènes vient s'opposer, et se renforcer d'une certaine manière, à la douceur et la symétrie de la danse en scène. Maliphant m'aura en effet ce soir donné l'impression d'une grande symétrie, comme si la scène était un dyptique, mais temporel dont les deux parties fonctionnent en miroir inversé.
Le troisième ballet, Push, après un entracte interminable, reprend cette idée de la symétrie, mais la décline sur le mode de la variation. Les mêmes séquences de pas sont reprises en écho dans le ballet, mais ils sont le support d'une variation cette fois, qui donne de cette danse l'impression qu'elle avance en décrivant des cercles qui ne se superposent jamais, qui sont toujours en léger décalage, un peu comme le mouvement "Andante ma moderato" du Sextuor à Cordes 1 opus 18 en si bémol majeur de Brahms. La musique d'ailleurs y était toujours électronique, mais à tendance new age, du coup teintée de cordes par exemple. Le ballet racontait l'histoire d'un couple dont le mot clef est l'appui. La femme, Julie Guibert, danseuse fluette et légère est contamment portée par Alexander Varona qui s'en enveloppe presque. L'homme, à l'évidence, est donc son soutien, mais la relation est réciproque, il peut s'appuyer sur elle, et si elle a sa force, il a la beauté de sa danse, qu'il porte à l'existence, et sa confiance. S'en remettant à lui de la sorte, elle le fait briller lui aussi. Le ballet propose donc 35 minutes d'un pas de deux éblouissant que structurent les fameuses variations et habillent les jeux de lumière que décidement, Maliphant sait mettre à profit.
Ce spectacle fut donc à l'évidence d'une rare beauté, les nombreux rappels en témoignèrent. Ce que Maliphant propose, peut-être par exemple face à un Forsythe, c'est un souci impressionant de la symétrie, non pas sur scène, mais dans le déroulement chronologique du ballet, comme si on avait un pli au milieu de la feuille, et que les mouvements, si on la plie, allaient venir se coller un à un. Il ajoute à cela un talent réel pour la condensation, une efficacité de moyen, et une fluidité sans précédent qui font se demander si dans les spirales qui certainement l'ont rendu célèbre, ce sont des humains que nous voyons, ou des machines, ou un simple tourbillon d'air, la danse même. Maliphant est donc pour moi le chorégraphe de la sobriété raffinée.
Flux présente un seul danseur en scène, pour un ballet de dix minutes, sur une musique électronique très épurée. D'emblée, le spectateur est frappée par l'utilisation des lumières que le spectacle met en jeu. Avant le lever de rideau, la salle est plongée dans une obscurité totale, pour mieux faire ensuite, lentement, émerger sur scène dans un premier cercle de lumière, petit et lointain, Alexander Varona. Ce danseur, clef de voûte des trois ballets de la soirée, a une belle physionomie: il est grand, large d'épaules, musclé, il a un très beau corps, et le crâne rasé, ce qui du coup, crée une surface supplémentaire sur laquelle vient se réfléchir la lumière du spot unique éclairant la scène. Il nous offre une danse virevoltante, très ancrée dans le sol, mais avec tours et contre-tours constants, jeux de bras, déplacements en ellipses sur le bord du cercle de lumière qu'il emplit véritablement de sa présence. Sa danse donne l'apparence d'une vague, elle monte et descend, reprendre appui dans le sol, avant de remonter un instant. Le passage dans le second cercle se fait progressivement, il y gagne plus d'altitude et de vitesse. Cette danse est placée sous le signe de la symétrie, car, lorsqu'on reconnaît enfin la structure de pas qui scande ce poème dansé, soudain, il s'arrête.
Small Boats est très surprenant pour sa mise en scène. Un ami souligna une parenté évidente avec David Lynch - que je ne connais malheureusement pas. Le ballet s'ouvre sur un film montrant des bateaux à la casse, derrière un grillage que nous longeons, et qui finit par absorber toute notre attention, quand l'écran se divise pour faire appaître, dans la bande noire du milieu, les corps des danseurs qui tanguent, jouets de cette mer injuste. Le ballet s'organise autour de trois séquences, dérive, échouage, noyade... la dérive est belle et lente. L'échouage plus dynamique, ils prennent soin l'un de l'autre, se portent, s'entraînent, la scène commence à l'écran, et est reprise sur scène de façon tout à fait saisissante. Au coeur de ce balais, des scènes de chutes, terrifiantes, dans les ecalier d'un grand chateau décoré à la mode du xviii° siècle, là sur fond de cris, nous voyons les survivants apparaître tels des spectres sur l'écran. La mort enfin, est courte et dure, les corps sont rejetés par la mer, ou pris dans les filets, tels des dauphins, ils y meurent. La mer, ici marâtre cruelle inspire un ballet très impressionnant où la force des images et des scènes vient s'opposer, et se renforcer d'une certaine manière, à la douceur et la symétrie de la danse en scène. Maliphant m'aura en effet ce soir donné l'impression d'une grande symétrie, comme si la scène était un dyptique, mais temporel dont les deux parties fonctionnent en miroir inversé.
Le troisième ballet, Push, après un entracte interminable, reprend cette idée de la symétrie, mais la décline sur le mode de la variation. Les mêmes séquences de pas sont reprises en écho dans le ballet, mais ils sont le support d'une variation cette fois, qui donne de cette danse l'impression qu'elle avance en décrivant des cercles qui ne se superposent jamais, qui sont toujours en léger décalage, un peu comme le mouvement "Andante ma moderato" du Sextuor à Cordes 1 opus 18 en si bémol majeur de Brahms. La musique d'ailleurs y était toujours électronique, mais à tendance new age, du coup teintée de cordes par exemple. Le ballet racontait l'histoire d'un couple dont le mot clef est l'appui. La femme, Julie Guibert, danseuse fluette et légère est contamment portée par Alexander Varona qui s'en enveloppe presque. L'homme, à l'évidence, est donc son soutien, mais la relation est réciproque, il peut s'appuyer sur elle, et si elle a sa force, il a la beauté de sa danse, qu'il porte à l'existence, et sa confiance. S'en remettant à lui de la sorte, elle le fait briller lui aussi. Le ballet propose donc 35 minutes d'un pas de deux éblouissant que structurent les fameuses variations et habillent les jeux de lumière que décidement, Maliphant sait mettre à profit.
Ce spectacle fut donc à l'évidence d'une rare beauté, les nombreux rappels en témoignèrent. Ce que Maliphant propose, peut-être par exemple face à un Forsythe, c'est un souci impressionant de la symétrie, non pas sur scène, mais dans le déroulement chronologique du ballet, comme si on avait un pli au milieu de la feuille, et que les mouvements, si on la plie, allaient venir se coller un à un. Il ajoute à cela un talent réel pour la condensation, une efficacité de moyen, et une fluidité sans précédent qui font se demander si dans les spirales qui certainement l'ont rendu célèbre, ce sont des humains que nous voyons, ou des machines, ou un simple tourbillon d'air, la danse même. Maliphant est donc pour moi le chorégraphe de la sobriété raffinée.