samedi 29 décembre 2007

la notion de responsabilité


La lecture tardive de quelques articles du monde diplomatique de décembre, ainsi qu’une discussion récente avec un de mes amis ont ramené au premier plan de mes réflexions en ce moment la question de la responsabilité, elle ne m’a en fait jamais vraiment quittée depuis que j’ai découvert le mythe d’Œdipe. Ce fut une véritable révélation, une mise en mots des questions qui m’habitaient alors.

Pour approcher la notion de responsabilité, on peut prendre la porte de l’étymologie. En Français, elle a la même racine que répondre, en allemand aussi, die Verantwortung / antworten. En latin, respondere veut pour une fois simplement dire répondre, réagir. Etre responsable, c’est être celui à qui on va demander de répondre de quelque chose. La responsabilité, c’est la réaction, qu’elle soit attendue ou non, face à un de nos actes. C’est l’état de celui qui, ayant agi, doit s’attendre à ce que des actes aient des conséquences dont se perçoit l’écho. Il y a une forme d’altérité dans la notion de responsabilité, dans la mesure où elle est toujours liée à la notion d’attente. Sous le regard de l’autre, celui qui est responsable, c’est celui dont on attend qu’il assume, qu’il porte ses actes, qu’il les endosse. On remarque l’abondance du vocabulaire du poids, celui des actes, celui de la responsabilité, c’est la matérialité même, cela pèse sur l’homme et sur la conscience. La responsabilité, c’est ce lien presque tangible entre un homme et ses œuvres, entre un homme et son action dans le monde, attendu que, étant un être vivant, il a forcément une action aussi longtemps qu’il vit.

Au sens neutre et initial, la responsabilité, c’est juste ce lien. Elle est complètement déliée de la notion de faute, celle-ci vient plus tard. La responsabilité, c’est un lien de continuité, la trace de l’homme.

A ce titre, il en est à la fois lui-même conscient, et quand il ne serait pas dans la possibilité de l’être, il est vu par d’autres. La question de la bonne ou mauvaise foi des uns et des autres n’est ici pas jugée pertinente, ce n’est pas mon propos.

Fortement liées à la notion de responsabilité, puisqu’il y a acte, et qu’il y a faute possible, les notions d’innocence et de culpabilité. Il faut bien les distinguer de la responsabilité. En elle-même, elle est neutre, l’innocence ou la culpabilité de quelqu’un est un jugement, la responsabilité un état de fait, et il vient en deuxième instance, la responsabilité est logiquement et chronologiquement première.

Ceci posé, on peut envisager la notion grecque de responsabilité, qui est personnellement celle à laquelle j’adhère, ou j’ai en tout cas adhéré jusqu’à longtemps. Faire cet article fait aussi changer mon regard sur cette notion. Pour les Grecs, on est responsables de nos actes, quels qu’ils soient, étant leur auteur. Là encore, pas de jugement d’emblée, c’est un simple constat, neutre. Ainsi, Œdipe est responsable de la mort de Laïos, c’est lui qu’il l’a tué en combat singulier, à un carrefour, pour une question de priorité de rang. Alors, évidemment, on peut biaiser, projeter un regard moderne sur tout cela, aujourd'hui, en tout cas, il y a quelques années, on dirait qu’il est coupable de sa mort, mais non responsable. Pour les Grecs, c’est dans l’autre sens, il est responsable, mais non coupable (au fond, ça revient au même, simplement, les deux notions ont évolué). Donc, Œdipe est responsable de la mort de son père, et à se titre, est punit, se punit, en porte le poids, mais il n’est pas coupable, parce que derrière lui ce sont les dieux qui ont agi pour faire se réaliser une prophétie que Laïos, au premier chef, a enfreinte. On lui interdisait d’avoir une descendance, il a eu un fils, au premier chef, s’il y a un coupable à chercher, c’est lui. On mesure la distance avec la Grèce antique, on se retrouve avec un couple où le mort est le coupable non responsable, et l’assassin, l’innocent responsable. Parce que c’est Œdipe qui, ayant agi, doit répondre de ses actes. Au fond c’est logique. Celui qui agit assume. Mais, on ne lui jette pas la pierre pour autant, mettons que le tenir pour responsable n’est pas du tout contradictoire avec le savoir innocent… tout le monde le sait à Thèbes qu’il ne l’a pas fait exprès, mais les faits sont là, il l’a tué, il doit expier. On ne fait pas de distinction. Il y a du pour et du contre, c’est évident. Mais j’aime là-dedans l’idée que l’on doive répondre de son action dans le monde, qu’on soit forcément conscient de celle-ci ou non. Mais, c’est une conception aristocratique, et romantique aussi par la suite, de la responsabilité. Elle était donc nécessairement vouée à évoluer.

Ce qui lui donne un grand coup, c’était prévisible, c’est la naissance du christianisme. Lui aussi dissocie responsabilité et culpabilité, mais dans l’autre sens. Grâce, à cause – suivant le point de vue dont on regarde cela – du péché originel, tout homme est coupable dès la naissance. (ça peut paraître un peu réducteur, mais bon, essayez de réfuter…). L’homme porte en lui la marque, la souillure du péché originel, de la Chute etc, et doit passer sa vie à s’amender pour se rendre digne d’une vie meilleure après la mort. Il doit s’échiner à se rendre digne de la grâce, ou à la conserver, ou ne peut rien faire du tout, suivant l’école à laquelle on adhère (jansénistes, jésuites, moliniens et j’en passe et des meilleurs). On passe à une culpabilisation extrême de l’homme. Il a péché, il doit expier, tout ce qui le détourne de cette expiation est nuisible et doit être rejeté. A commencer par le plaisir. Le catholicisme est profondément triste. Interdiction de rechercher le plaisir car c’est oublier le péché, quel qu’il soit, à commencer par sexuel évidemment, mais vous remarquerez qu’on peut même pécher dans la libido sciendi, l’ivresse de savoir, d’apprendre. Il ne faut pas y prendre trop de plaisir. C’est pour cela qu’il ne faut pas trop travailler à notre bonheur sur cette terre. Déjà, ça nous détourne de l’autre, et en plus, on expie dans la souffrance, on mérite la grâce par cela, comment voulez-vous l’avoir avec une vie de rêve… sans aucune occasion de s’en rendre digne. A moins qu’elle ne soit déjà attribuée d’avance, dans ce cas, si on l’a, on peut difficilement la perdre (là encore, dépend des écoles), et si on ne l’a pas, même avec une vie de martyr on ne la gagnera pas. (Au fond, c’est une première libération que cette conception, sauf que ce fut vécu comme une tragédie évidemment à l’époque). La notion de responsabilité n’a donc plus grand intérêt pour l’époque, la culpabilité ayant de toute façon été décrétée par avance, la question de la responsabilité n’a plus lieu d’être.

Elle réapparaît avec le recul du christianisme et la naissance de la psychanalyse – 3° révolution copernicienne. La psychanalyse, Freud y est là pour beaucoup, sinon le seul, pose la notion d’inconscient. D’où la révolution, l’homme n’est plus même maître en sa propre demeure. Il est mu par des motifs qui lui échappent, et pire, il est agi, complètement passif parfois. Parce qu’il est incapable de comprendre tous les motifs qui le poussent à agir, parce que parfois c’est plus fort que lui, parce qu’il n’est même pas conscient de le faire. Parce que c’est son milieu, son origine, sa formation qui ont fiat de lui ce qu’il est – et là regardez bien le glissement – parce que c’est son background qui agit à travers lui. On glisse chez Dolto et ses acolytes là. Ce n’est plus l’individu qui est responsable, c’est la société qui l’a produit. Et quel soulagement pour tout ce monde occidental qui a vécu écrasé sous la culpabilité individuelle écrasante du catholicisme que de pouvoir repenser le groupe, repenser la communauté. Différence par rapport à la Grèce antique…ce n’est plus l’individu qui agit mais le groupe, donc, le responsable, c’est le groupe dont il est ici, c’est ainsi que dans les pires dérives, on peut retourner la situation et juger le groupe à la place de l’individu. Il importe tout de même de souligner ce qu’on perd là, outre nier le libre arbitre, ou en tout cas la prétention au libre arbitre de l’homme, on perd sa liberté. S’il n’est plus maître de ses actes, il n’est plus libre… mais au fond, comme il est fondu dans le groupe, il ne s’en rend pas (encore) compte, il s’y sent libre car l’ensemble du groupe l’est. Donc cela rejaillit sur lui. Le vertige d’une telle conception, le refus de toute responsabilité… c’est un peu ce que notre regard rétrospectif reproche à mai 68, après un excès de culpabilité – qui d’ailleurs n’est pas parti, c’est même lui le moteur de tout cela, on n’éprouverait pas le besoin de se libérer de la responsabilité si un cague sentiment diffus de culpabilité ne nous gênait pas encore aux entournures, bien qu’on s’en dédie – le relâchement absolu de toute responsabilité. L’homme se cache derrière le groupe, il n’y a plus personne. Et on va dans le sens de cette déresponsabilisation, des circonstances atténuantes. Cela se veut une ère très libertaire, plus responsables de rien, même plus besoin de faire attention à la grossesse grâce à la pilule (attention n’allez pas inventer ou extrapoler que je suis contre, ça serait juste du grand n’importe quoi), ça fait un peu beaucoup d’un coup. Du coup, l’homme a besoin de quelqu’un qui le remplace et prenne ses responsabilités. Qui ? L’Etat, seul encore capable de le faire. Et là on sort son Tocqueville, De la Démocratie en Amérique de l’étagère et on s’extasie qu’il l’ait déjà vu à son époque. L’Etat devient le maître à penser de l’homme, il lui indique quoi penser, quand, lui offre du prêt à penser, lui dit quoi faire… attention il neige, mettez vos chaînes, attention, il fait chaud, buvez de l’eau, etc etc etc. c’est à se demander comment on a vécu jusque là. Et du coup, on peut aussi se retourner contre lui, chercher un bouc émissaire. C’est toujours utile un bouc émissaire, ça lave, ça aide à se sentir mieux. Pur surtout.

C’est ça le tournant ultime aujourd'hui. On veut se sentir pur, irréprochable – on ne peut ni ne veut plus assumer de culpabilité, il faut donc l’être… peu à peu, on rejette l’idée de culpabilité collective, c’est encore trop lourd à porter, même dilué, pour chercher des boucs émissaires plus pratiques, soit, ne nous englobant pas… d’abord, le groupe autre. Ces gens différents qui forment une entité. Ils sont coupables. (Un exemple ? les juifs au 19 et 20°s). Plus récemment, le groupe des plombiers polonais… fin de la distinction responsabilité culpabilité. L’autre, outre qu’il est responsable parce que je en veux pas l’être, est aussi, surtout, coupable. Et ça va loin. Ça va très loin. C’est ce qui m’a fait comprendre, et réagir. J’avais tendance à adhérer à ce discours, de par ma conception grecque de la responsabilité, mais j’ai pris conscience de la différence, de l’opposition radicale entre ce retour de la notion de responsabilité, devenue synonyme de culpabilité, et la responsabilité neutre des Grecs. Là je continue avec à l’esprit ces articles qui ont attiré mon attention. Tout d’abord l’idée de « capital humain ». C’est la force de travail revue et corrigée. Sous-entendu, on a un capital sous les fesses qu’on doit mettre en valeur, si on n’y arrive pas, c’est de notre faute. Fi des conditions sociales, culturelles, socio-économiques, fi de tout, règne de l’esprit petit bourgeois et de son credo « vouloir c’est pouvoir ». On est tellement cramponné à ses avantages, effrayé à l’idée de les perdre, on a le sentiment de s’être tellement battu pour les avoir qu’on oublie toute générosité, toute compassion. Toute intelligence aussi. Il est au chômage, que fait-il ? Bah… c’est de se faute aussi… dit-on bien heureux avec notre emploi. Je caricature évidemment, mais enfin, c’est le discours qu’on entend beaucoup. Prenez une grève ratp, si on regarde le discours de certains usagers, à bon droit excédés, c’est, de toute façon il veulent pas travailler ils veulent jamais rien faire, et patati et patata. On est de la France qui se lève tôt nous. Qui travaille… et oui, c’est ça l’abîme derrière, cette bonne conscience à outrance. Certes, c’est pénible les grèves, on peut être contre, mais pas parce que nous on se lève le matin et qu’on préfèrerait rester coucher et que du coup, on en veut à tout ceux qui pourraient y couper…

C’est le retour du malthusianisme… ils sont pauvres ? Ils crèvent la faim, bahhhh, ils avaient qu’à faire moins de gosses, voilà. Ils n’en seraient pas là. (Sous-entendu, à peine : et c’est bien fait pour eux…) dit-on du haut de notre bonne conscience petite bourgeoise. Parce que oui, il est facile, et combien tentant de juger, on est d’accord. Mais il faut aussi prendre du recul. Aujourd'hui, on brouille les cartes et on ne fait plus aucune distinction entre culpabilité et responsabilité. Après avoir complètement déresponsabilisé l’individu (mai 68), on a culpabilisé (merci les crises monétaires), et on s’est dit, comme à chaque défaite militaire aussi, c’est pas possible, on s’est laissé allés… il faut reprendre le dessus. D’où le tour de vis moral. Mais pas dans le bon sens. Là, le gamin qui trouve pas de travail à cause de son nom, ou de l’endroit où il vit (au hasard, « la banlieue »), est responsable, (et coupable aussi, de quoi, on sait pas, mais on finira bien par trouver), il n’a qu’à… formule magique, pas la peine de finir la phrase, de toute façon, les gens trébuchent dessus et bégaient en général, serait-ce que la réponse n’est pas si évidente… ?

Il est donc temps et important de repenser la responsabilité et la culpabilité avant le pourrissement moral complet et l’affrontement aussi… parce que si un groupe accuse l’autre de tous ses maux, il est fort à parier que l’autre fait pareil, c’est dans l’air du temps… et comme on dit, « on est tous le con de quelqu’un d’autre… ».

mercredi 26 décembre 2007

chimère de la réciprocité...


« Le Ciel m’a faite belle, selon que vous dites, et de telle manière que ma beauté vous contraint à m’aimer sans que vous ayez la puissance de faire autrement. Et, pour l’amour que vous me montrez, vous dites et même vous voulez que je sois obligée à vous aimer. Je connais bien par le naturel entendement que Dieu m’a donné, que tout ce qui est beau est aimable, mais je ne comprends point que, pour la raison qu’il est aimé, ce qui est aimé pour beau soit obligé d’aimer celui qui l’aime. Et d’avantage, il pourrait arriver que cet amateur du beau fut laid, et, étant ce qui est laid digne d’être haï, il serait mal à propos de dire : « je t’aime parce que tu es belle, il faudrait que tu m’aimes aussi, encore que je sois laid ». Mais, posé le cas que les beautés aillent de par, les désirs ne doivent pourtant pas marcher du même pied : car toutes les beautés ne donnent pas de l’amour ; d’aucunes réjouissent l vue et ne captivent point la volonté. Que si toutes les beautés causaient de l’amour, il y aurait confusion et dérèglement des volontés sans savoir où elles voudraient s’arrêter, car les beaux sujets étant infinis, et, suivant ce que j’ai entendu dire le vrai amour ne se divise pas et doit être volontaire et non forcé. Cela étant ainsi, comme en effet je le crois, pourquoi voulez-vous que je soumette par force ma volonté, sans voir aucune autre obligation que celle-là seulement que vous dites que vous m’aimiez ? Mais dites-moi : si tout ainsi que le ciel m’a créée belle, il m’eût formé laide, eût-il été raisonnable que je me fusse plainte de vous autres pour ce que vous ne m’eussiez point aimée ? Et d’autant plus que vous devez considérer que je n’ai pas choisi la beauté que j’ai : car, telle qu’elle est, le ciel me l’a donnée par grâce, sans que je l’aie demandée ni choisie. En tout comme la vipère ne doit point être rendue coupable pour le venin dont elle est pleine, encore qu’elle tue avec icelui, parce que c’est nature qui le lui a donné, aussi ne dois-je pont être blâmée d’être belle, car la beauté en la femme honnête est comme le feu éloigné ou la lame tranchante : l’un ne brûle, l’autre ne blesse qui ne s’en approche pas. L’honneur et la vertu sont les ornements de l’âme ; sans lesquels le corps ne doit paraître beau, encore qu’il le soit de lui-même. Si donc l’honnêteté est une des vertus qui ornent et embellissent davantage le corps et l’âme, pourquoi aura-t-elle à la perdre celle qui est aimée pour belle, pour correspondre à l’intention de celui qui par pur plaisir, tâche et emploie toutes ses forces et toute son habileté à la lui faire perdre ?

Voilà le discours que tient Marcelle sur la tombe de Chrysostome, un berger qui la poursuivait de ses assiduités, chap. XIV, Don Quichotte I.

Il n’y a rien à y ajouter, il est parfait. On devait rendre son apprentissage par cœur obligatoire à l’époque de la puberté dans les collèges, ça éviterait bien des désagréments des deux côtés. Ceux qui désirent cesseraient d’exiger l’impossible et de reprocher leur insatisfaction à l’objet de leur désir, et ceux qui sont « aimés », « désirés », seraient peut-être moins constamment culpabilisés. On casserait cet automatisme égoïste j’aime donc je veux être aimé. C’est Alceste – le Misanthrope – disant à Philinthe à propos de son « amour » pour Célimène, quelque chose comme : croyez-vous que je l’aimerais si je ne me savais aimé de retour… c’est beau l’amour hein…

dimanche 2 décembre 2007

fenêtres pop-up

Pour tous ceux qui ne supportent plus les petites fenêtres à la noix de pub bien connues qui apparaissent à chaque fois sur cette page - et sur bien d'autres aussi malheureusement - un ami m'a fait découvrir et télécharger le module adblock, qui est une fonctionnalité de mozilla firefox et qui empèche ces satanés fenêtres de s'ouvrir à tout bout de champ... et tout d'un coup on a la paix - on avait perdu l'habitude...