samedi 29 décembre 2007

la notion de responsabilité


La lecture tardive de quelques articles du monde diplomatique de décembre, ainsi qu’une discussion récente avec un de mes amis ont ramené au premier plan de mes réflexions en ce moment la question de la responsabilité, elle ne m’a en fait jamais vraiment quittée depuis que j’ai découvert le mythe d’Œdipe. Ce fut une véritable révélation, une mise en mots des questions qui m’habitaient alors.

Pour approcher la notion de responsabilité, on peut prendre la porte de l’étymologie. En Français, elle a la même racine que répondre, en allemand aussi, die Verantwortung / antworten. En latin, respondere veut pour une fois simplement dire répondre, réagir. Etre responsable, c’est être celui à qui on va demander de répondre de quelque chose. La responsabilité, c’est la réaction, qu’elle soit attendue ou non, face à un de nos actes. C’est l’état de celui qui, ayant agi, doit s’attendre à ce que des actes aient des conséquences dont se perçoit l’écho. Il y a une forme d’altérité dans la notion de responsabilité, dans la mesure où elle est toujours liée à la notion d’attente. Sous le regard de l’autre, celui qui est responsable, c’est celui dont on attend qu’il assume, qu’il porte ses actes, qu’il les endosse. On remarque l’abondance du vocabulaire du poids, celui des actes, celui de la responsabilité, c’est la matérialité même, cela pèse sur l’homme et sur la conscience. La responsabilité, c’est ce lien presque tangible entre un homme et ses œuvres, entre un homme et son action dans le monde, attendu que, étant un être vivant, il a forcément une action aussi longtemps qu’il vit.

Au sens neutre et initial, la responsabilité, c’est juste ce lien. Elle est complètement déliée de la notion de faute, celle-ci vient plus tard. La responsabilité, c’est un lien de continuité, la trace de l’homme.

A ce titre, il en est à la fois lui-même conscient, et quand il ne serait pas dans la possibilité de l’être, il est vu par d’autres. La question de la bonne ou mauvaise foi des uns et des autres n’est ici pas jugée pertinente, ce n’est pas mon propos.

Fortement liées à la notion de responsabilité, puisqu’il y a acte, et qu’il y a faute possible, les notions d’innocence et de culpabilité. Il faut bien les distinguer de la responsabilité. En elle-même, elle est neutre, l’innocence ou la culpabilité de quelqu’un est un jugement, la responsabilité un état de fait, et il vient en deuxième instance, la responsabilité est logiquement et chronologiquement première.

Ceci posé, on peut envisager la notion grecque de responsabilité, qui est personnellement celle à laquelle j’adhère, ou j’ai en tout cas adhéré jusqu’à longtemps. Faire cet article fait aussi changer mon regard sur cette notion. Pour les Grecs, on est responsables de nos actes, quels qu’ils soient, étant leur auteur. Là encore, pas de jugement d’emblée, c’est un simple constat, neutre. Ainsi, Œdipe est responsable de la mort de Laïos, c’est lui qu’il l’a tué en combat singulier, à un carrefour, pour une question de priorité de rang. Alors, évidemment, on peut biaiser, projeter un regard moderne sur tout cela, aujourd'hui, en tout cas, il y a quelques années, on dirait qu’il est coupable de sa mort, mais non responsable. Pour les Grecs, c’est dans l’autre sens, il est responsable, mais non coupable (au fond, ça revient au même, simplement, les deux notions ont évolué). Donc, Œdipe est responsable de la mort de son père, et à se titre, est punit, se punit, en porte le poids, mais il n’est pas coupable, parce que derrière lui ce sont les dieux qui ont agi pour faire se réaliser une prophétie que Laïos, au premier chef, a enfreinte. On lui interdisait d’avoir une descendance, il a eu un fils, au premier chef, s’il y a un coupable à chercher, c’est lui. On mesure la distance avec la Grèce antique, on se retrouve avec un couple où le mort est le coupable non responsable, et l’assassin, l’innocent responsable. Parce que c’est Œdipe qui, ayant agi, doit répondre de ses actes. Au fond c’est logique. Celui qui agit assume. Mais, on ne lui jette pas la pierre pour autant, mettons que le tenir pour responsable n’est pas du tout contradictoire avec le savoir innocent… tout le monde le sait à Thèbes qu’il ne l’a pas fait exprès, mais les faits sont là, il l’a tué, il doit expier. On ne fait pas de distinction. Il y a du pour et du contre, c’est évident. Mais j’aime là-dedans l’idée que l’on doive répondre de son action dans le monde, qu’on soit forcément conscient de celle-ci ou non. Mais, c’est une conception aristocratique, et romantique aussi par la suite, de la responsabilité. Elle était donc nécessairement vouée à évoluer.

Ce qui lui donne un grand coup, c’était prévisible, c’est la naissance du christianisme. Lui aussi dissocie responsabilité et culpabilité, mais dans l’autre sens. Grâce, à cause – suivant le point de vue dont on regarde cela – du péché originel, tout homme est coupable dès la naissance. (ça peut paraître un peu réducteur, mais bon, essayez de réfuter…). L’homme porte en lui la marque, la souillure du péché originel, de la Chute etc, et doit passer sa vie à s’amender pour se rendre digne d’une vie meilleure après la mort. Il doit s’échiner à se rendre digne de la grâce, ou à la conserver, ou ne peut rien faire du tout, suivant l’école à laquelle on adhère (jansénistes, jésuites, moliniens et j’en passe et des meilleurs). On passe à une culpabilisation extrême de l’homme. Il a péché, il doit expier, tout ce qui le détourne de cette expiation est nuisible et doit être rejeté. A commencer par le plaisir. Le catholicisme est profondément triste. Interdiction de rechercher le plaisir car c’est oublier le péché, quel qu’il soit, à commencer par sexuel évidemment, mais vous remarquerez qu’on peut même pécher dans la libido sciendi, l’ivresse de savoir, d’apprendre. Il ne faut pas y prendre trop de plaisir. C’est pour cela qu’il ne faut pas trop travailler à notre bonheur sur cette terre. Déjà, ça nous détourne de l’autre, et en plus, on expie dans la souffrance, on mérite la grâce par cela, comment voulez-vous l’avoir avec une vie de rêve… sans aucune occasion de s’en rendre digne. A moins qu’elle ne soit déjà attribuée d’avance, dans ce cas, si on l’a, on peut difficilement la perdre (là encore, dépend des écoles), et si on ne l’a pas, même avec une vie de martyr on ne la gagnera pas. (Au fond, c’est une première libération que cette conception, sauf que ce fut vécu comme une tragédie évidemment à l’époque). La notion de responsabilité n’a donc plus grand intérêt pour l’époque, la culpabilité ayant de toute façon été décrétée par avance, la question de la responsabilité n’a plus lieu d’être.

Elle réapparaît avec le recul du christianisme et la naissance de la psychanalyse – 3° révolution copernicienne. La psychanalyse, Freud y est là pour beaucoup, sinon le seul, pose la notion d’inconscient. D’où la révolution, l’homme n’est plus même maître en sa propre demeure. Il est mu par des motifs qui lui échappent, et pire, il est agi, complètement passif parfois. Parce qu’il est incapable de comprendre tous les motifs qui le poussent à agir, parce que parfois c’est plus fort que lui, parce qu’il n’est même pas conscient de le faire. Parce que c’est son milieu, son origine, sa formation qui ont fiat de lui ce qu’il est – et là regardez bien le glissement – parce que c’est son background qui agit à travers lui. On glisse chez Dolto et ses acolytes là. Ce n’est plus l’individu qui est responsable, c’est la société qui l’a produit. Et quel soulagement pour tout ce monde occidental qui a vécu écrasé sous la culpabilité individuelle écrasante du catholicisme que de pouvoir repenser le groupe, repenser la communauté. Différence par rapport à la Grèce antique…ce n’est plus l’individu qui agit mais le groupe, donc, le responsable, c’est le groupe dont il est ici, c’est ainsi que dans les pires dérives, on peut retourner la situation et juger le groupe à la place de l’individu. Il importe tout de même de souligner ce qu’on perd là, outre nier le libre arbitre, ou en tout cas la prétention au libre arbitre de l’homme, on perd sa liberté. S’il n’est plus maître de ses actes, il n’est plus libre… mais au fond, comme il est fondu dans le groupe, il ne s’en rend pas (encore) compte, il s’y sent libre car l’ensemble du groupe l’est. Donc cela rejaillit sur lui. Le vertige d’une telle conception, le refus de toute responsabilité… c’est un peu ce que notre regard rétrospectif reproche à mai 68, après un excès de culpabilité – qui d’ailleurs n’est pas parti, c’est même lui le moteur de tout cela, on n’éprouverait pas le besoin de se libérer de la responsabilité si un cague sentiment diffus de culpabilité ne nous gênait pas encore aux entournures, bien qu’on s’en dédie – le relâchement absolu de toute responsabilité. L’homme se cache derrière le groupe, il n’y a plus personne. Et on va dans le sens de cette déresponsabilisation, des circonstances atténuantes. Cela se veut une ère très libertaire, plus responsables de rien, même plus besoin de faire attention à la grossesse grâce à la pilule (attention n’allez pas inventer ou extrapoler que je suis contre, ça serait juste du grand n’importe quoi), ça fait un peu beaucoup d’un coup. Du coup, l’homme a besoin de quelqu’un qui le remplace et prenne ses responsabilités. Qui ? L’Etat, seul encore capable de le faire. Et là on sort son Tocqueville, De la Démocratie en Amérique de l’étagère et on s’extasie qu’il l’ait déjà vu à son époque. L’Etat devient le maître à penser de l’homme, il lui indique quoi penser, quand, lui offre du prêt à penser, lui dit quoi faire… attention il neige, mettez vos chaînes, attention, il fait chaud, buvez de l’eau, etc etc etc. c’est à se demander comment on a vécu jusque là. Et du coup, on peut aussi se retourner contre lui, chercher un bouc émissaire. C’est toujours utile un bouc émissaire, ça lave, ça aide à se sentir mieux. Pur surtout.

C’est ça le tournant ultime aujourd'hui. On veut se sentir pur, irréprochable – on ne peut ni ne veut plus assumer de culpabilité, il faut donc l’être… peu à peu, on rejette l’idée de culpabilité collective, c’est encore trop lourd à porter, même dilué, pour chercher des boucs émissaires plus pratiques, soit, ne nous englobant pas… d’abord, le groupe autre. Ces gens différents qui forment une entité. Ils sont coupables. (Un exemple ? les juifs au 19 et 20°s). Plus récemment, le groupe des plombiers polonais… fin de la distinction responsabilité culpabilité. L’autre, outre qu’il est responsable parce que je en veux pas l’être, est aussi, surtout, coupable. Et ça va loin. Ça va très loin. C’est ce qui m’a fait comprendre, et réagir. J’avais tendance à adhérer à ce discours, de par ma conception grecque de la responsabilité, mais j’ai pris conscience de la différence, de l’opposition radicale entre ce retour de la notion de responsabilité, devenue synonyme de culpabilité, et la responsabilité neutre des Grecs. Là je continue avec à l’esprit ces articles qui ont attiré mon attention. Tout d’abord l’idée de « capital humain ». C’est la force de travail revue et corrigée. Sous-entendu, on a un capital sous les fesses qu’on doit mettre en valeur, si on n’y arrive pas, c’est de notre faute. Fi des conditions sociales, culturelles, socio-économiques, fi de tout, règne de l’esprit petit bourgeois et de son credo « vouloir c’est pouvoir ». On est tellement cramponné à ses avantages, effrayé à l’idée de les perdre, on a le sentiment de s’être tellement battu pour les avoir qu’on oublie toute générosité, toute compassion. Toute intelligence aussi. Il est au chômage, que fait-il ? Bah… c’est de se faute aussi… dit-on bien heureux avec notre emploi. Je caricature évidemment, mais enfin, c’est le discours qu’on entend beaucoup. Prenez une grève ratp, si on regarde le discours de certains usagers, à bon droit excédés, c’est, de toute façon il veulent pas travailler ils veulent jamais rien faire, et patati et patata. On est de la France qui se lève tôt nous. Qui travaille… et oui, c’est ça l’abîme derrière, cette bonne conscience à outrance. Certes, c’est pénible les grèves, on peut être contre, mais pas parce que nous on se lève le matin et qu’on préfèrerait rester coucher et que du coup, on en veut à tout ceux qui pourraient y couper…

C’est le retour du malthusianisme… ils sont pauvres ? Ils crèvent la faim, bahhhh, ils avaient qu’à faire moins de gosses, voilà. Ils n’en seraient pas là. (Sous-entendu, à peine : et c’est bien fait pour eux…) dit-on du haut de notre bonne conscience petite bourgeoise. Parce que oui, il est facile, et combien tentant de juger, on est d’accord. Mais il faut aussi prendre du recul. Aujourd'hui, on brouille les cartes et on ne fait plus aucune distinction entre culpabilité et responsabilité. Après avoir complètement déresponsabilisé l’individu (mai 68), on a culpabilisé (merci les crises monétaires), et on s’est dit, comme à chaque défaite militaire aussi, c’est pas possible, on s’est laissé allés… il faut reprendre le dessus. D’où le tour de vis moral. Mais pas dans le bon sens. Là, le gamin qui trouve pas de travail à cause de son nom, ou de l’endroit où il vit (au hasard, « la banlieue »), est responsable, (et coupable aussi, de quoi, on sait pas, mais on finira bien par trouver), il n’a qu’à… formule magique, pas la peine de finir la phrase, de toute façon, les gens trébuchent dessus et bégaient en général, serait-ce que la réponse n’est pas si évidente… ?

Il est donc temps et important de repenser la responsabilité et la culpabilité avant le pourrissement moral complet et l’affrontement aussi… parce que si un groupe accuse l’autre de tous ses maux, il est fort à parier que l’autre fait pareil, c’est dans l’air du temps… et comme on dit, « on est tous le con de quelqu’un d’autre… ».

mercredi 26 décembre 2007

chimère de la réciprocité...


« Le Ciel m’a faite belle, selon que vous dites, et de telle manière que ma beauté vous contraint à m’aimer sans que vous ayez la puissance de faire autrement. Et, pour l’amour que vous me montrez, vous dites et même vous voulez que je sois obligée à vous aimer. Je connais bien par le naturel entendement que Dieu m’a donné, que tout ce qui est beau est aimable, mais je ne comprends point que, pour la raison qu’il est aimé, ce qui est aimé pour beau soit obligé d’aimer celui qui l’aime. Et d’avantage, il pourrait arriver que cet amateur du beau fut laid, et, étant ce qui est laid digne d’être haï, il serait mal à propos de dire : « je t’aime parce que tu es belle, il faudrait que tu m’aimes aussi, encore que je sois laid ». Mais, posé le cas que les beautés aillent de par, les désirs ne doivent pourtant pas marcher du même pied : car toutes les beautés ne donnent pas de l’amour ; d’aucunes réjouissent l vue et ne captivent point la volonté. Que si toutes les beautés causaient de l’amour, il y aurait confusion et dérèglement des volontés sans savoir où elles voudraient s’arrêter, car les beaux sujets étant infinis, et, suivant ce que j’ai entendu dire le vrai amour ne se divise pas et doit être volontaire et non forcé. Cela étant ainsi, comme en effet je le crois, pourquoi voulez-vous que je soumette par force ma volonté, sans voir aucune autre obligation que celle-là seulement que vous dites que vous m’aimiez ? Mais dites-moi : si tout ainsi que le ciel m’a créée belle, il m’eût formé laide, eût-il été raisonnable que je me fusse plainte de vous autres pour ce que vous ne m’eussiez point aimée ? Et d’autant plus que vous devez considérer que je n’ai pas choisi la beauté que j’ai : car, telle qu’elle est, le ciel me l’a donnée par grâce, sans que je l’aie demandée ni choisie. En tout comme la vipère ne doit point être rendue coupable pour le venin dont elle est pleine, encore qu’elle tue avec icelui, parce que c’est nature qui le lui a donné, aussi ne dois-je pont être blâmée d’être belle, car la beauté en la femme honnête est comme le feu éloigné ou la lame tranchante : l’un ne brûle, l’autre ne blesse qui ne s’en approche pas. L’honneur et la vertu sont les ornements de l’âme ; sans lesquels le corps ne doit paraître beau, encore qu’il le soit de lui-même. Si donc l’honnêteté est une des vertus qui ornent et embellissent davantage le corps et l’âme, pourquoi aura-t-elle à la perdre celle qui est aimée pour belle, pour correspondre à l’intention de celui qui par pur plaisir, tâche et emploie toutes ses forces et toute son habileté à la lui faire perdre ?

Voilà le discours que tient Marcelle sur la tombe de Chrysostome, un berger qui la poursuivait de ses assiduités, chap. XIV, Don Quichotte I.

Il n’y a rien à y ajouter, il est parfait. On devait rendre son apprentissage par cœur obligatoire à l’époque de la puberté dans les collèges, ça éviterait bien des désagréments des deux côtés. Ceux qui désirent cesseraient d’exiger l’impossible et de reprocher leur insatisfaction à l’objet de leur désir, et ceux qui sont « aimés », « désirés », seraient peut-être moins constamment culpabilisés. On casserait cet automatisme égoïste j’aime donc je veux être aimé. C’est Alceste – le Misanthrope – disant à Philinthe à propos de son « amour » pour Célimène, quelque chose comme : croyez-vous que je l’aimerais si je ne me savais aimé de retour… c’est beau l’amour hein…

dimanche 2 décembre 2007

fenêtres pop-up

Pour tous ceux qui ne supportent plus les petites fenêtres à la noix de pub bien connues qui apparaissent à chaque fois sur cette page - et sur bien d'autres aussi malheureusement - un ami m'a fait découvrir et télécharger le module adblock, qui est une fonctionnalité de mozilla firefox et qui empèche ces satanés fenêtres de s'ouvrir à tout bout de champ... et tout d'un coup on a la paix - on avait perdu l'habitude...

samedi 17 novembre 2007

"Belle, c'est un mot qu'on dirait inventé pour... elle"









après le fiel le miel, pour compléter la satire...



Une grande dame

Belle " à damner les saints", à troubler sous l'aumusse
Un vieux juge ! Elle marche impérialement.
Elle parle - et ses dents font un miroitement -
Italien, avec un léger accent russe.

Ses yeux froids où l'émail sertit le bleu de Prusse
Ont l'éclat insolent et dur du diamant.
Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement
De la peau, nulle reine, ou courtisane, fût-ce

Cléopâtre la lynce ou la chatte Ninon,
N'égale sa beauté patricienne, non !
Vois, ô bon Buridan: "c'est une grande dame !"

Il faut - pas de milieu ! - l'adorer à genoux,
N'ayant d'astre aux cieux que ses lourds cheveux roux,
Ou bien lui cravacher la face, à cette femme !
Je pense que c'est bien là mon poème favori de Verlaine, pour différentes raisons que je vais essayer de résumer rapidement.
La première fois que je l'ai lu, je devais avoir onze ans, peut-être moins, et évidemment, petite fille qui se rêve princesse, je l'ai pris au premier degré et j'ai voulu devenir cette femme, cette aristocrate en exil, peut-être une imposture d'ailleurs, qui sait, mais à l'époque, je ne pensais pas à cela. Je pensais à ces femmes, ces dames qui passent majestueusement au milieu d'un groupe et tout le monde se retourne sur elles, sur leur parfum, la trace que le parfum de certaines femmes laisse derrière elles m'a toujours fascinée. et naturellement, je voulais être l'une d'elles, je voulais être Méduse. L'imparfait n'a ici de sens que dans la mesure où depuis j'ai mis un peu de sens de l'humour et de dérision entre ce désir et moi, il ne m'a pas quitté pour autant. il faut en jouer cependant, car il ne peut être vécu au premier degré.

c'est là où le poème de Verlaine décolle et me fascine, évidemment, je n'ai compris cela que bien des années plus tard, quand j'ai eu les outils de pensée pour le comprendre, que ce poème était un blason réunissant tous les clichés possibles et imaginables. ce qui déplace le portrait de la réalité au regard du narrateur. on ne sait pas comment elle est, elle n'est pas forcément belle en fait, mais lui, utilisant ce qu'il a à portée, un ensemble d'expressions déjà toutes prêtes, toutes faites, la décrit ainsi, mieux, la rêve ainsi... ce n'est donc pas tant la réalité de ce qu'il voit que son imaginaire qui nous est ici montré. ce sont les géants - moulins à vent de Don Quichotte si on veut. La comparaison ne s'arrête d'ailleurs pas là.

Le poème, comme Don Quichotte, comme Rabelais, comme tant d'autres réfléchit sur le signe, sur le jeu des apparences et des illusions. ce qu'on a là, c'est un portrait auquel les clichés essaient de donner valeur d'autorité. elle est belle, sa beauté est divine, il nous fait l'adorer. c'est le premier sens, le plus grossier, et le plus faux sans doute, mais on en a besoin pour construire le second. le second est donné par le dernier vers, "ou lui cravacher la face, à cette femme", la dame retombe en femme, et au fond, elle n'est que cela, elle n'est qu'une femme avant tout. le reste, l'image, ce n'est qu'une construction, soit elle est réellement cette belle femme, et c'est elle qui construit son apparente beauté, qui code les signes pour donner cette image d'elle, soit elle ne l'est que pour le narrateur qui à la fin dépasse la fascination première, reprend le sens des réalités et se défait de l'illusion en ramenant la déesse au même niveau que lui. on brise une idole dans ce soufflet. et c'est ça qui est en jeu, se défaire des illusions, du prêt à penser, des vérités toutes faites.

en soit, ce sont des consignes de lecture que nous donne Verlaine, au premier abord, c'est joli, c'est beau, on est médusés devant la petite musique, elle nous hypnotise, mais il ne faut pas s'endormir là-dedans, il faut briser l'illusion pour voir derrière, cette femme n'en est pas moins belle parce qu'on se rend compte de la part d'illusion de sa beauté, ça n'y change rien, juste, notre regard est éclairé et peut jouer sur les différents niveaux. on n'en apprécie que mieux, peut-être, cette beauté, voyant la construction dont elle fait l'objet.

Moralité, un signe a plus d'un sens, il ne faut jamais prendre le premier, le plus évident, pour argent comptant. Et, capital, IL FAUT DE L'HUMOUR pour comprendre le monde, pour le déchiffrer, car seul l'humour, désacralisant, dédramatisant la chose, permet de la sortir de son globe de verre où elle était figée pour la malmener un peu en la soumettant à l'analyse. c'est la loi du vivant, les choses sont faites pour être utilisées, un peu bousculées, un monde glacé dans un seul sens, dans le premier degré, est un monde mort...

photo : Marcia Cross, la plus jolie rousse que j'avais sous la main - titre : bah, on oublie ses classiques...
Notre Dame de Paris... !

mercredi 31 octobre 2007

a shoe of one's own...




(version sans coquilles, j'espère, cette fois.)

bien, allez, un petit passage de délire sur les talons, et l’absence de talon… l’article que je mets en lien en dessous est déjà assez exhaustif, et drôle, sur la symbolique de la chaussure à talon – aiguille en l’occurrence, pour que je n’y revienne pas nécessairement. Je me contenterai de le compléter par deux choses.

http://www.republique-des-lettres.fr/10045-chaussures-sexe-talons-aiguille.php

Tout d’abord un passage peu connu de Breton, dans L’amour fou, sur le caractère érotique du pied, de la chaussure, de l’acte de chausser. J’étais encore jeune et innocente quand je l’ai lu, il m’a choquée, et donc, fort heureusement, marquée. C’est dans le chapitre III. Il nous raconte comment, rêvant du « cendrier Cendrillon », il avait demandé à son mai Giacometti de lui modeler « et n’écoutant que son caprice, une petite pantoufle, qui fut en principe la pantoufle de verre perdue de cendrillon ». Il se proposait ensuite de la faire couler en verre (vair) et de s’en servir comme cendrier. Giacometti n’a jamais vraiment eu le temps de le faire. Mais un jour que Breton faisait les puces avec lui, il trouve une cuiller en bois, qui l’attire inexplicablement, et dont le bout du manche à un espèce de bord replié, pour le suspendre qui, posé à plat, ressemble à s’y méprendre à une petite chaussure qu’on aurait soudé au bout de la cuillère. Dans son esprit se fait alors l’équivalence pantoufle – cuiller. Les jeux de lumière, d’esprit, d’association d’idées lui éclairent la cuiller sous de multiples jours qui ne font que renforcer, parce que c’est ce qu’il cherche, la proximité pantoufle – cuiller. Puis il se rend compte que la cuiller est pour lui une figuration symbolique de l’appareil sexuel de l’homme, la cuiller tenant la place du pénis. Il pensait à cette équivalence en se rappelant la façon dont il avait essayé de définir l’automatisme. Il avait répondu « ce sont de grandes cuillers, des coloquintes monstres, des lustres de bulles de savons ». L’élément dont il n’arrivait pas à se souvenir, c’était l’élément liquide qu’il avait encore associé à la cuiller, les bulles de savons, dont, est-il nécessaire de le rappeler, la couleur est le blanc. Cette association d’idée en mène à une autre : « pantoufle = cuiller = pénis = moule parfait de ce pénis ». Dans le folklore, la pantoufle de Cendrillon, c’est l’objet perdu, donc son désir, il l’analyse lui-même, de cette chaussure était un désir de la « femme unique, inconnue, magnifiée et dramatisée par le sentiment de ma solitude et de la nécessité d’abolir en moi certains souvenirs ». J’ajouterai que c’est clairement la pantoufle (cendriers, qui reçoit les cendres, blanches) – femme comme dépositaire de sa descendance qu’il recherche, ce chapitre annonçant la rencontre de la femme réelle, Jacqueline, qu’il épousa peu après. C’est étrange, non, ce qui passe dans une pantoufle de vair… le fétichisme des pieds n’en paraît que mieux compréhensible du coup.

Le deuxième élément par lequel j’aimerais compléter cela, c’est un petit recueil d’observations sur les femmes qui sont au-dessus de ces talons. Les chaussures disent un peu qui on est tout de même… Une typologie extrêmement variée et ouverte s’offre là. Deux grandes catégories dominent, l’acceptation – la recherche de la contrainte et de la souffrance (« il faut souffrir pour être belle »), et le refus de cela pour privilégier le confort. On va commencer par celles qui sont du côté du confort. Là encore, plusieurs catégories, deux je pense.

D’un côté, les femmes qui pensent pratique, je marche, j’ai pas envie d’avoir mal aux pieds, j’achète des chaussures pour leur confort (sous-entendu pas pour leur beauté), c’est un côté un peu radical, brutal du refus de la souffrance, et je dirais aussi, une bonne part de refus de la féminité. Soit parce que non considérée comme constitutive de l’identité de la personne, il y a des femmes à temps partiel, c’est une de mes croyances les plus fortes, qui dans la vie de tous les jours ne sont que des êtres asexués, c’est bien plus simple trouvent-elles. Pour elles, les chaussures, plus largement l’apparence ne sont pas importantes, donc elles ne s’en soucient pas. Ça peut être simplement une position, un rapport au monde objectif, ou cacher un malaise, un refus agressif d’un attribut de la féminité, ô combien délicat à porter, pour signifier un refus plus large de la féminité tout entière car non assumée, ou parce qu’on ne sait comment la porter. Et de rage, on la rejette. Et avec elles les élégantes à talons aiguilles, comme représentant pile ce qu’on crève d’envie d’être sans avoir le courage ni l’énergie de se faire l’être, parce que c’est un travail à temps plein et qu’on préfère un mi-temps.

En face, il y a l’autre branche des adeptes des talons plats. Les femmes qui sont bien dans leur peau et choisissent les talons plats pour de bonnes raisons, évidentes, de confort (quoique relatif d’après moi), qui ne s’en servent pas comme une façon de plus d’exprimer leur rejet d’une partie de leur personnalité, et qui ont en plus très souvent de jolies ballerines. Qui portent des baskets sans affectation parce que bon, voilà, c’est plus pratique pour leur journée. Et quand elles ont des occasions particulières, elles ne dédaignent pas de mettre des talons, elles ne font pas de cabales contre, elles peuvent préférer les plats, mais si elles ne peuvent pas faire autrement, elles sont capables de s’adapter sans le souligner, s’en plaindre, ou avoir l’air emprunté. Ce sont des femmes qui s’assument. Et prennent soin de leurs pieds. Quand même !

Cela nous mène à la catégorie en face. Les femmes à talons. Là aussi on a des femmes qui ne s’assumentpas. Les femmes qui veulent jouer à la femme. Symbole féminin par excellence… le talon. Donc elles courent acheter des talons, mais a) choisissent de mauvaises chaussures (talons en plastique mou, semelles compensées, talons carré bien large et autres aberrations, pire, talon qui plie sous la plante du pied…), b) portent mal de belles chaussures. Marcher sur des talons, ça s’apprend, on ne monte pas du jour au lendemain sur des aiguilles de 5 cm, encore moins sur des aiguilles de 9. Et fréquemment, à Paris surtout, la grande ville c’est tjs bien pour ça, on peut observer de ces imprudentes qui essaient de faire de grands pas avec leur talons, hauts, alors qu’il est évident que la cheville ne plie pas, qui se trouvent à faire des petits pas de geishas du coup pour courir après leur mec. Ou, mieux, qui menacent à chaque pas de se fouler la cheville, leur talon tremblant comme un jour de séisme d’une valeur de 6 sur l’échelle de Richter. Je pense qu’il n’y a pas pire qu’une belle femme aux chevilles qui tremblent à chaque pas. Ça gâche absolument tout. Marcher, à talon, c’est comme tout, il n’y a pas de honte à ça, ça s’apprend. Et c’est préférable parce que c’est vraiment fragile un pied, et la cheville au-dessus aussi… ! Ce que traduit leur pied qui tremble, c’est leur recherche d’identité. J’ai été cette femme, ou cette jeune femme plutôt en général jusque là, je veux être une femme comme ça (notez le « comme », le motif de la comparaison donne tout son sens à leur démarche ici). Mais ça se construit, ça se cherche. On ne peut pas être une femme comme ça, une femme à la Zeta Jones, à la Kidman, à la Kruger, à la Eva Green. On ne peut qu’être des femmes. Une femme en particulier. Ça se cherche en soi, ça ne se trouve pas chez les autres. Ce n’est pas en achetant les chaussures d'une autre qu’on change d’identité, c’est en les faisant siennes qu’on devient celle que l’on est.

Enfin, la dernière catégorie, les femmes qui se veulent, et parfois le sont, des femmes fatales. Ce sont des femmes de tête en général. Parce qu’il faut tout de même en avoir une couche pour se forcer tous les jours à mettre ces chaussures – là. A forger ses pieds à prendre la forme des chaussures qu’elles portent (et pas le contraire). Elles achètent exclusivement les chaussures pour leur style, les essaient à peine avant. Ce sont ces femmes qui essaient les chaussures assises, elles regardent si leur pied rentre, si oui, elle prennent les chaussures, elles ne marchent pas avec, parce que la chaussure pour elle n’est plus liée à une fonction mais uniquement à des signes à renvoyer. Les chaussures ne sont pas faites pour marcher avec…elles forcent leurs pieds à y tenir, à y souffrir, ce sont elles-mêmes qu’elles façonnent tous les jours. Observez bien, vous trouvez des femmes maquillées sans talon, mais rarement des femmes à talons haut sans maquillage… c’est tout un ensemble, une philosophie les vraies chaussures de femmes (non pas que les autres soient des chaussures d'hommes, mais les chaussures qui font pancarte regardez quelle femme je suis, à quel point je suis femme…). Il y a un peu de ça dans les chaussures, c’est une féminité assumée, proclamée, portée haut. Une féminité qui n’a pas honte d’elle. Ce sont les femmes de la conquête, qui reprennent à leur compte « on ne naît pas femme on le devient », shopping, épilation, manucure, coiffeur, élégance, maintient, raffinement etc… tout une construction. Qu’on peut rendre naturelle et qui devient une deuxième nature. Il y a vraiment des femmes complètement féminines, qui s’assument comme telles et s’en trouvent bien, et de fait, grâce à ce bien – être trouvé dans leur féminité cultivée, sont des femmes parfaitement agréables. Et il y a l’autre versant, la féminité agressive, la femme qui porte le talon aiguille comme un symbole de maîtrise, celle exercée sur soi, celle souhaitée sur les autres. Femmes de pouvoir ou aspirant au pouvoir. Femmes qui font peur aux hommes. Femmes qui s’imposent comme telles pour peut-être derrière combler un complexe, une timidité, un manque d’être. Ces femmes-là, il ne fait pas bon tourner autour d’elles, rien que pour éviter de se prendre un coup de talon…car dans le pack de la féminité parfaite (donc comme ensemble des idées reçue de ce qui est typique des femmes), il y a aussi les défauts, jalousie, mesquinerie, agressivité, hypocrisie etc, et ce pack, elles le prennent en entier, et elles l’adorent, et elles le cultivent au quotidien. Un exemple les femmes qui gravitent dans the devil wears prada, et spécialement la secrétaire. Tout est vu dans un but agressive, le moindre petit choix de bijou sert à proclamer sa féminité contre… c’est assez fatigant les femmes comme cela, professant une assurance qui au fond leur font profondément défaut. Mais pour le cacher elles seront cruelles.

En définitive, la chaussure ne fait pas le moine, c’est évident, mais comme tout le reste, il contribue au message qu’on veut consciemment ou non donner à ceux qui nous voient. Méfions nous des femmes à plat - en guerre contre les talons, elles ont l’âme basse et vile. Méfions-nous des femmes à talons aiguilles, elles sont parfois bien dominatrices, voire cruelles. Recherchons les femmes qui aiment leurs chaussures, quelle que soit leur hauteur, et qui ne les choisissent pas contre quelque chose, mais parce que c’était elle, parce que c’étaient elles.

nb. pour les chaussures, les premièrs sont des sandales argentines, des chaussures de danse faites à la main, étudiées pour être belles ET confortables, avec 9 cm de talon. Ensuite, quelques paires de cet été, la deuxième est très confortable, la troisième ess la paire que j'ai mis pour danser sur les quais tous l'été, elles sont jolies, stables, mais bon, la semelle est fine c'est moyen sur le béton, et je n'arrive pas à marcher avec par contre... étrangement, la 4° est une paire de chaussures qu'il faut vraiment être motivée pour porter, confortables, mais la semelle est rigide et glissante, donc pour sortir oui, mais faut pas voir envie de faire des courses, et la dernière, pareil, jolies et confortables.



vendredi 12 octobre 2007

cette pensée triste qui se danse...


Quand j’entends le mot tango, j’entends toujours le verbe latin, tangere, je touche, voire j’étreins. Le tango, c’est d’abord ça, une étreinte, charnelle, sensuelle, fugitive. Le tango, c’est une histoire d’amour qui dure le temps d’une chanson. Il est toujours frappant de voir ces gens qui dansaient joue contre joue il y a peu se croiser sans même un regard dans les couloirs du club, ces tangueros avec qui on danse passionnément, et qui, avant et après vous avoir invitée, certes, vous on fait un signe de reconnaissance, mais passent à côté de vous en glissant, comme si l’intensité de la danse rendait nécessaire ensuite de prendre ses distances, de passer de bras en bras dans un formidable geste d’oubli démultiplié à l’infini, redoublé par la quête, en chaque danseur, d’un autre qui vous manque, d’un style que vous aimez. Oubli et souvenir. Oubli des terres dont les cavaliers fiers ont été chassés par l’industrialisation, souvenir, dans cette communauté de la danse, d’abord entre hommes, d’une culture que la ville fait perdre, d’une identité, d’un être originel qui sommeille en attendant de renaître dans la danse, dans les raffinements des ganchos, dans les ornements, dans le jeu du rythme.

Le tango, c’est la tragédie racinienne, il faut intégrer les règles à la perfection, les faire siennes, les porter en soi pour laisser ensuite, au sein de ce cadre extrêment stricte, millimétré, éclater sa passion, sa personnalité, son caractère fier ou sa joie de vivre. C’est l’art de la subtilité absolue, où l’on transcende la parole par le geste ; on invite d’un regard, on se fond pour créer un couple, ou on danse l’un contre l’autre, on se provoque à coups de barridas, on séduit dans la sensualité des ganchos. Le tango, quand il vous saisit, est une caresse brûlante, il laisse à bout de souffle. Il est irrésistible, comme un parfum capiteux, il monte à la tête, prend son empire et s’assure votre allégeance. Il étend ses ailes et se propage à d’autres sphères de votre vie, le tango n’est pas un sport, ce n’est pas une danse même, s’entend, pas une danse au sens moderne. Le tango a une dimension ancestrale, il n’est pas dans ses figures, il n’est pas dans ses pas, il est entre les danseurs, dans la communion physique qui s’établit, qui nous ouvre vers une autre façon d’être-au-monde, et avant tout à l’autre. Le tango n’est pas ce qu’on voit mais ce qui advient entre les danseurs.

Quelques particularités du tango.

Le tango est exigeant, impérieux, c’est la danse du paradoxe. Trois rythmes sont possibles, la valse, le tango, musique au rythme régulier, la milonga, musique plus rapide au rythme parfois saccadé où l’on marque non seulement le temps mais bien souvent, dans l’idéal, les contre-temps. Marquer le temps en tango ne veut pas dire bouger en rythme, cela veut dire vers le pas au denier moment possible de chaque rythme, au dernier instant. Le tango est une danse du désir, il faut lui donner son temps. Marcher en tango, car on marche, et bien plus que dans les figures, c’est là que gît la réelle difficulté, c’est là qu’est l’âme et la beauté du tango. On évolue avec fluidité, on glisse tout en faisant un arrêt, imperceptible mais non moins réel à chaque pas. Parce que chaque pas est un tournant potentiel dans la danse, on peut construire à partir de chaque pas, il ne se pense pas sous la forme sérielle mais combinatoire, évolutive. C’est pourquoi chaque tango est unique. On avance la jambe, mais on déplace le poids du corps au dernier moment, et d’un seul coup, pour donner l’élan nécessaire au pas suivant. Le tango c’est une arabesque dessinée dans le sol avec ses moindres tours. On glisse sur le sol, on en lève pas les pieds, on en fait pas d’arc de cercles avec les pieds, ils doivent être le point d’articulation de tout mouvement, donc toujours joints, toujours se rejoignant pour élaborer autre chose, plus loin, plus beau. Le tango, c’est une question de confiance cruciale, il faut accepter d’accueillir un ou une inconnue entre ses bras, de lui offrir l’initiative de certain de nos mouvements, de se remettre entre ses mains. La différence notable entre le tango et la milonga est une question de tenue et de poids du corps, en tango, les danseurs sont liés, parce qu’ils se tiennent, le guidage passe par le bras droit du danseur, le rythme souvent par le gauche, la direction par l’orientation du torse. En milonga, le guidage passe de poitrine à poitrine, appuyée l’une contre l’autre, le poids de la femme est entièrement géré par l’homme, à la fois sa pire entrave, s’il n’y parvient pas, ou la condition d’une danse incroyable, par sa vitesse, sa précision, si l’alchimie prend. On part du principe que la technique est là… on peut alors faire ce que je considère souvent comme le tricot des jambes. Un ocho, c’est un huit en avant ou en arrière, ou en arrière pour avancer, en avant pour reculer si on veut raffiner, un gancho, c’est un crochet, l’un des danseurs enroule sa jambe autour de la jambe de l’autre, ou fait un crochet, vertical, vers le haut entre les jambes de l’autre, ou encore un crochet autour de la taille de l’autre. Une barrida, c’est le blocage suivi du déplacement du pied de l’un par l’autre. Une volcada, c’est la cavalière qui complètement en appui sur son cavalier, suit avec l’une de ses jambes son cavalier qui recule, sans bouger l’autre, formant ainsi une diagonale avec le sol, jusqu’à ce que le cavalier, avant à nouveau, remette la cavalière à la verticale. Ou choisisse de la traîner à travers la salle auparavant. Une catena, une chaîne, c’est quand le cavalier coinçant les jambes de la cavalière la fait se déplacer les jambes croisées, à l’identique des siennes… la liste peut encore être longue.

Enfin, comme toute danse qui se respecte a sa part de recherche et de création, du tango classique est né le neotango, ou tango nuevo. Il est complexe à reconnaître, il peut se danser sur une musique classique, tandis qu’on aura un tango classique sur un morceau de neotango. La musique est certes importante mais non déterminante. Du point de vue musical, pour le dire vite, le neo joue avec l’électronique, il fait une réinterprétation, une relecture des tangos classiques, à la lumière d'un nouveau rythme, cette fois bien plus marqué, ou en invente de nouveaux. Du point de vue de la danse, le neotango peut se définir comme recherche d’équilibre je pense, recherche du point limite, dans la marche, dans la tension des mouvements. Il peut être ou très rapide, ou très lent, il met l’accent sur l’équilibre, sur la force des jambes, sur la construction des figures, sur la connexion au sol, il possède bien plus l’espace que le tango classique. Et il est dévorant, la recherche, si elle est d’ordre chorégraphique, est également très exigeante en force et en souplesse. Du point de vue visuel, il est bien plus félin que le tango classique, qui sans être raide, peut donner une apparence de droiture, de rigueur, de hiératisme. La raideur, c’est par contre la marque du tango de salon qui parfois semble très loin des mouvements naturels du corps, il y a sans doute plus loin entre tango de salon et neotango, qu’entre tango de salon et valse, ou neotango et salsa. Le neotango c’est une fine dentelle que dévore un feu follet lorsque le rythme s’accélère.

Signe de reconnaissance, chaque bal signale sa fin par une comparsita, un air, repris plusieurs fois, toujours différemment, avec toujours une autre variation.

Dam-dam-dam-dam, damdamdam, dam, dam-dam-dam-dam, damdamdam,dam, dam-dam- dam-dam, damdamdam, dam, dam, dam-dam-dam, damdamdam…

http://www.youtube.com/watch?v=rGLavuPdu6U

Photo : Sebastian Arce & Mariana Montes

mercredi 26 septembre 2007

territoires légitimes ?


Il y a eu une controverse, à la fin de l'été, autour de Tom est mort, le dernier roman de Marie Darrieussecq, opposant l'auteur et son éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, à Camille Laurens. Cette dernière a publié il y a quelques années un récit autobiographique, Philippe, sur la perte de son enfant mort à la naissance si je ne me trompe pas. Marie Darieussecq écrit, elle aussi, sur la mort d'un enfant, Tom, mais sous la forme du roman. Laurens, en découvrant le roman, s'est sentie profondément plagiée et a réagi.

Ce qui la choque, c'est tout d'abord que Darrieussecq parle du "thème" de l'enfant mort. Pour elle qui en a perdu un, ce n'est pas un thème mais une réalité profondément ancrée dans sa chair. On peut comprendre que cela la dérange. Ce qui la dérange davantage, c'est que ce thème soit développé en récit fictif, alors qu'elle en a fait un récit autobiographique. On serait tenté de lui répondre, comme l'éditeur de Tom est mort, qu'elle n'a pas l'exclusivité de la douleur, que ce n'est pas son territoire et qu'un romancier est libre de choisir son sujet. Il pense que Camille Laurens confond l'individuel et l'universel et veut faire de son individuel - universel une propriété privée. J'ai lu tout d'abord cet article, la tribune de Otchakovsky-Laurens dans le Monde des livres du 31 août. J'ai pensé en effet que Laurens réagissait peut-être parce que le sujet était très sensible, qu'elle c'était emportée en parlant de plagiat, et que ce qui la gênait, c'était de voir quelque chose d'aussi intime pour elle, rabaissé au rang de sujet littéraire en un sens. Je n'avais donc pas d'opinion pour donner tort ou raison à l'un ou à l'autre.
la semaine suivante Camille Laurens a répondu à son ancien éditeur par le même biais, et a indiqué où trouver le texte intégral qu'elle avait écrit pour dénoncer le livre de Darrieussecq, qui avait tant indigné leur éditeur :

http://www.leoscheer.com/spip.php?article675&var_recherche=camille%20laurens

Je suis allée lire le texte, ça a un peu fait changer mon point de vue. Je ne trouve pas particulièrement convaincantes les accusations de Laurens basée sur le style, la grammaire, le souffle de son texte, elle fait tout un développement sur le fait que l'écrivain a un univers mental propre, que Darrieussecq serait rentrée dans le sien pour le piller, et que si les critiques et lecteurs ne le sentent pas, un écrivain, lui ne s'y trompe pas. Honnêtement, je n'arrive pas à trancher dans un sens où dans un autre, mais il est clair que ça, ajouté à d'autres petites choses fini par faire s'interroger. Elle accuse Darrieussecq de suivre ce qui lui semble être un cahier des charges des scènes à écrire quand on parle de ce thème, de manquer le point essentiel de la culpabilité, de faire de l'émotion facile tout en survolant le plus important, de faire pleurer dans les chaumières en fait. Pour le cahier des charges, il est vrai qu'il est assez confondant que Darrieussecq effectue un trajet qui rappelle une sorte de pèlerinage à travers des passages obligés du deuil maternel. Ajoutez à cela que Marie Darrieussecq, depuis des années, insiste sur l'importance qu'a eu Philippe pour elle, mais qu'elle n'en fasse pas mention à la fin de son livre, on se dit qu'elle a dû profondément intégrer toutes les structures mentales d'une mère en deuil, là encore, est-ce forcément volontaire. Puis il y a encore le fait qu'il y a déjà eu ces accusations contre elle de la part de Marie NDiaye il y a des années, plagiat, singerie... ça en vient à faire beaucoup.

la vraie question, au fond, il me semble, le vrai problème, c'est celui de la source, de la légitimité à écrire, que pointe Laurens. Pas dans la mesure où ne pas avoir souffert ne donne pas le droit d'écrire, d'aborder un sujet. Laurens aborde ce point de façon intéressante plus loin, mais ce n'est pas cela qui est au coeur ici. plutôt, si Darrieussecq n'a pas perdu d'enfant, si elle parle de tout cela, si elle a tant de ressemblance avec Laurens, comme l'expliquer alors... On ne peut pas dire, elles ont vécu la même chose, elles sont tombées sur la même chose, communauté d'expérience... De quoi se sert-elle alors ? Quel hasard de tomber toujours sur les mêmes choses, les mêmes scènes, sans l'avoir vécu ? est-elle douée d'une formidable intuition, qui lui donnerait le ton juste, ce que lui dénie Laurens, mais expliquerait alors qu'elle ait sentie le parcours d'une mère en deuil, que celui-ci l'ait amené au même point que Laurens, mais a-t-elle encore droit à l'intuition quand elle a tant lu Laurens ? C'est profondément problématique...

Les détails ne plaident pas franchement en faveur de Marie Darrieussecq dans cette controverse, en plus, la mort d'un enfant est d'autant plus dure à aborder que cela relève presque du tabou, vu la douleur que cela peut réveiller, mais l'accusation de plagiat est grave, on ne peut la faire porter comme cela sur quelqu'un... A tout le moins, ma position personnelle est que Marie Darrieussecq a été d'une grande indélicatesse, sans doute due à la distance qu'elle peut se permettre d'avoir avec le sujet. Maintenant, elle a le droit de vouloir en parler, d'explorer cette face de la souffrance humaine, même si elle ne l'a pas vécu. Le problème n'est peut-être pas tant dans le fait d'avoir vécu quelque chose ou non, pour avoir le droit d'en parler, que dans la façon de le faire, dans le respect dû à ceux qui l'ont vécu. Que Darrieussecq l'ait fait exprès ou non, elle a blessé Laurens, et celle-ci a répondu, s'est défendue. C'est à la fois très personnel -la douleur d'une femme, et plus large, qu'a-t-on le droit d'écrire, est-on réduit au silence... Le problème est que dès qu'on explore une douleur qui n'est pas la sienne, on tombe deux fois plus vite dans le voyeurisme, la pornographie, la saleté, mais, autant pour celui qui l'écrit sans l'avoir vécu, que pour celui qui le lit sans l'avoir vécu, pour le vivre... Le seul qui en ressort intact, c'est celui qui l'a vécu, s'il ne tombe pas dans la complaisance devant l'horreur. C'est donc plus une différence de degré qui se dessine ici, que de qualité, où le but du jeu est de rester le plus respectueux possible de la douleur, à qui qu'elle appartienne, et de ne pas en faire un spectacle, un fond de commerce, un divertissement. cf l'exhibition de l'intime et du personnel dans la sphère publique aujourd'hui...

vendredi 21 septembre 2007

Atonement


Mon approche d' Atonement, d'Ian Mc Ewan est assez comique. Je l'avais retenu à Gibert parce qu'il m'intriguait, on parle de secret, de crime commis par une adolescente sur la 4° de couverture... c'était alléchant. Je l'emmène donc avec moi dans le train pour un voyage de plusieurs heures, il est couché bien sagement dans mon sac à main... En main j'ai le monde du 31 août ou du 1° septembre, l'un des deux, je ne sais plus. Comme toujours, je le commence par la fin, les chroniques, un article sur un festival de cinéma, oui, bon, le film qui fait l'ouverture est décevant, bof, un crime, une adolescente, blablabla. je finis l'article, il lit adapté du livre de Mc Ewan... je me dis oupsss, je brandis mon sac à main, et oui, pas de doute, c'est le même. Le suspens de ce livre à peine entamé vient de voler en éclats... Je l'avais acheté pour cela en plus... Pour UNE fois que je ne voulais pas savoir avant de quoi il s'agissait, me voilà servie par ma négligence.

Mais je me dis, il me reste toujours à voir comment c'est amené, comment c'est raconté, jusqu'à présent, ce n'est pas mal, c'est de bonne tenue, la première partie du livre joue allègrement à croiser les points de vue, bribes de la même journée vues par des personnages différents, et c'est bien fait, c'est prenant, ça fait monter la tension, vers le crime que cette fois j'attends, mais n'en attends pas moins pour savoir quel il est. Et la, surprise, je savais quel il était, mais pas quels personnages il impliquait, il reste de la place pour de la surprise et elle marche à plein. et une fois ceci passé, reste l'atonement en lui-même, l'après crime, car après tout, ce n'est que le début du livre. et la quête du pardon, de l'acceptation elle, est fascinante. On passe d'un bon livre à une très bon livre, à de la belle littérature qui tente à la fin de brouiller les lignes entre réalité et fiction autobiographique. c'est tout juste passionnant, et si beau, si bien écrit, l'auteur nous promène d'une phrase à l'autre avec légèreté, sa langue est réellement belle et alléchante, elle nous tient bien.

ce livre, c'est la preuve irréfutable qu'on a beau savoir ce qui va se passer, le pouvoir de fascination de la littérature ne s'en exerce pas mois sur son lecteur. l'art n'est pas tant dans les circonstances que leur récit, que la façon de les amener, de les peindre, de les laisser deviner derrière un voile. ce livre est une pure perle. et dire qu'en posant le Monde j'ai failli y renoncer et passer à côté... c'est plutôt du journal que je me méfierai dorénavant...

mercredi 12 septembre 2007

North


North, de Brian Martin, est un livre trompeur. la quatrième de couverture dit qu'il se passe à oxford, l'histoire d'un jeune homme au charisme rare qui séduit sa jeune prof d'histoire, puis le chef du département de physique, pour s'achever dans la débauche. Programme réjouissant se dit-on. Et le lisant, on se rend compte qu'il en est tout autrement, bien mieux encore, que ce qu'on imaginait... North, pour commencer, n'est pas un titre étrange, destiné à me faire frissonner alors qu'on est en été, il n'y a pas de lien à chercher avec le nord, c'est tout simplement le prénom de ce jeune homme étrange. North, n'est pas un étudiant à Oxford, l'université, mais un lycéen en dernier année dans un des lycées de la ville d'Oxford. Quant à la débauche, elle est toute relative, pas de partie à trois ou rien du tout du genre comme la couverture, qui se veut vendeuse, essaie de le laisser croire. c'est plutôt la transgression des barrières morales habituelles.

Le livre en lui-même est fascinant, il tient en haleine du début à la fin. le narrateur est un prof de littérature d'une cinquantaine d'années qui regarde l'histoire sous ses yeux en n'y participant que marginalement, de très loin. Il faudrait parler de North là, mais c'est difficile, Martin a réussi à la rendre si éthéré, surréel en un sens. c'est un jeune homme au charisme fou, sûr de lui, particulièrement mûr, il a percé le fonctionnement des relations humaines, des lois de la séduction, c'est le Méphisto de Faust. il semble pouvoir lire dans l'esprit des gens pour les amener exactement là où il veut les faire aller. le narrateur, lui aussi, naturellement est sous son charme, il dit que North est quelqu'un dont, lorsqu'on le voit, o recherche immédiatement la compagnie, dont on a envie d'être proche, que lorsqu'il nous parle, on se sent privilégié, seul avec lui, objet de toute son attention. à côté, il dit aussi que les protestations d'amitié et d'affection de North, si elles lui semblent pourtant sincères, ne le convainquent jamais entièrement, il y a toujours une partie de lui qui se demande si ce n'est pas une autre façon de le manipuler, de le faire participer à un plus grand plan dont il ne verrait pas encore les tenants et les aboutissants. Peu à peu dans le livre, au détour de petites phrases s'instille le doute, North parfois semble plus qu'humain, le narrateur parle d'une froideur effrayante, abyssale de certains de ses regards, peu à peu, devant la façon dont il semble manipuler les gens, il y voit dans ses cauchemars la marque d'une créature peut-être plus qu'humaine, d'une intention maligne. Il ne sait pas, et au réveil, tout lui semble stupide. Mais il y a toujours le bien-être qu'on éprouve aux côtés de North, que tous les personnages éprouvent, qui semble être ce qui les pousse en avant, comme si North les révélait à eux-mêmes, leurs désirs cachés, et en face, il y a le chaos qui peu à peu s'installe, en suivant leurs désirs, en ne reculant plus, les personnages brisent des liens, font, presqu'iconsciemment, des choix sans retour. Le narrateur voit venir les désastres et demande à North d'intervenir, la fascination qu'il inspire est si grande qu'il a l'impression que tout est dans la main de North, et on y croit, et en même temps on en doute. Il y a ce qui est logique, les personnages sont responsables de leurs choix, et ce qui paraît, North contrôle tout, North peut empêcher ou provoquer les crises. Le récit nous plonge ainsi entre deux eaux, nous fait miroiter une élucidations finales, à coût de petites phrases proleptiques "je ne le savais pas alors", ou "je pensais encore à ce moment", ou, mieux, "si j'avais su...". et lorsque le livre se clôt, brusquement, on n'est pas plus avancé, on n'en sait rien. Peu à peu, on en vient à se dire que le livre se clôt après le drame, puis qu'il y a les réflexions que le narrateur se fait sur tout cela, qui, longuement mûrissent, et mènent à ce livre. à la fin du livre, possédant les mêmes clefs, la même vision des événements que le narrateur, on coïncide en un sens avec celui-ci, et si on relisait alors North, on pourrait faire notre toutes ses paroles, se fondre dans une identification totale.

c'est un livre complexe sous plus d'un abord, un livre indécidable, précisément ce qui fait son charme. ça et North... son pouvoir de fascination n'est pas restreint aux personnages de ce livre, il le dépasse, le transcende, on veut aussi le rencontrer, aussi se sentir choisi par lui, mais étrangement, malgré ses qualités de séductions évidentes, on n'a jamais, jamais envie d'être comme lui, d'être lui. très fort je trouve...

vendredi 10 août 2007

in my skin


Il y a quelques temps, j'ai cédé à mon démon familier et fait une razzia de livres anglophones dans ma librairie préférée - Gibert, allez, un peu de pub... je les aime quand même... parmi les livres que j'en ramenais, se trouve In my skin de Kate Holden.

c'est un livre assez particulier, assez marginal dirais-je, non pas tant par sa forme, que par son fond. il se veut profondément autobiographiques, l'auteur (vous me pardonnerez si je laisse le -e- - totalement ridicule à mon sens - du féminin en arrière) écrit à partir de carnets qu'elle a tenu pendant des années, à un rythme presque quotidien, autant que faire se peut vu la vie qu'elle a mené pendant environ huit ans.

Elle nous raconte comment enfant, elle voulait toujours appartenir, mais se sentait toujours déplacée, à la marge du groupe, vaguement exclue, comment, en grandissant, elle voulait s'intégrer, les autres fument des joints, ils trouvent que ce n'est pas pour moi, mais moi je veux être avec eux, je vais leur prouver que je peux le faire moi aussi. elle suit ses amis, elle suit son copain, et bientôt elle se retrouve à s'injecter de l'héroïne. d'abord de façon casuelle, de temps en temps, puis à un rythme régulier. son copain la quitte, ses parents le découvrent, elle veut s'arrêter, fait une semaine de cure de désintox, se dit que ça va aller, mais replonge. elle reste chez ses parents, se dit que ça va aller, mais continue, continue, et continue, jusqu'à ce que ses parents ne le supportent plus et lui demandent, si elle n'arrive pas à se contrôler, de quitter leur demeure.

Elle assume, elle le fait, à ce moment, elle a besoin de toujours plus de drogue, toujours plus d'argent, son petit job à la librairie ne lui suffit plus, ses études, son master, elle n'en a rien fait, elle ne peut pas, la drogue lui prend tout son temps, toute son énergie. elle perd son travail, il lui faut bien de l'argent cependant. alors elle descend dans la rue, se dit qu'elle peut le faire, que ce n'est pas si terrible. les clients se succèdent, elle gère, elle fait ce qu'on lui demande, et elle n'est pas chère, elle a trop besoin d'argent. puis elle a l'occasion d'entrer dans un bordel, c'est plus sûr... en attendant, elle gagne alors assez pour ses deux doses par jour, un micro loyer, et les doses de son nouveau copain qui vit à ses crochets. elle fait ainsi trois bordels, du plus minable, pour finir par le plus prestigieux. avant de finir, elle même, par vouloir sortir la tête de l'eau, à force de ne plus supporter son copain à entretenir, la routine de la drogue. elle devient clean, elle bosse pour mettre de l'argent, et finis par s'offrir un voyage qui lui donne la distance nécessaire pour rompre définitivement avec ses vieux démons.

ce livre est passionnant à plus d'un titre, plongée dans l'univers de la drogue, puis dans celui de la prostitution... soit... c'est une fenêtre facilement ouverte sur ce monde, il faut bien l'avouer, fascinant par ses dangers, son caractère extrême.

ce qui m'a profondément intéressée ici, c'est la lucidité constante, sidérante, avec laquelle elle décrit son expérience, sans complaisance, sans culpabilité non plus, pour ainsi dire, elle dit les choses telles qu'elles sont, je me droguais, j'en avais besoin, je n'aimais pas tant ça non plus, mais c'était ainsi. elle explore les racines psychologiques de son addiction, ce qui l'y pousse, ce qui la retient dans la drogue. et plus intéressant même, parce que le sujet me fascine, elle nous offre un tableau de la prostitution comme on en voit peu. elle parle de son travail avec une grande tendresse, de la détresse émotionnelle de certains de ses clients, de ce qu'elle considère comme une forme de conscience professionnelle, parce que - eh oui - elle met un point d'honneur à être une bonne pute, à ce que le client en ait pour son argent. j'ai trouvé cela très impressionnant, très fort, et également très juste.

on dit toujours "il n'y a pas de sot / sous (suivant l'école à laquelle on n'appartient) métier". mais la société bien pensante ne va pas élargir cela jusqu'aux putes. oui, ce sont elles les méchantes, il est évident qu'elles tirent les gars de leurs voitures de force, et s'il n'y avait plus de bordel, il n'y aurait plus de putes. regardez autour des gares, plus de bordels - plus de putes, non ? j'avoue que ce point là m'a toujours énervé. je n'irais pas jusqu'à dire que c'est un métier comme un autre, loin s'en faut. et en France, c'est une question difficile à penser parce qu'il n'existe plus en tant que tel, il est profondément hors la loi. mais je trouve bien, audacieux, mais bien, qu'elle montre qu'une une pute n'est pas une salope, mais quelqu'un qui essaie de gagner sa vie, de s'en sortir. ses collègues, ce sont des femmes qui essaient d'éduquer leurs enfants, qui, pour une raison ou pour une autre, ont besoin d'argent, et parfois, c'est plus facile de faire cela qu'autre chose. j'ai envie de demander, est-ce si condamnable... ? honnêtement ? n'y aura-t-il pas toujours des gars qui rechercheront ça, et des femmes qui s'en fichent assez pour accepter de vendre ce service. c'est le moment où surgit sur scène la morale - deus ex machina. mais ce genre de pièce est bien daté, peut-être nos jugements, eux aussi pourraient évoluer...

quitte à prendre un parti clair et anticonformiste, pour une fois, je dirais que non, ce n'est pas un crime horrible que d'en être réduite à se prostituer pour survivre, et il y a un certain courage à l'accepter, qui appelle une forme de respect plutôt qu'un haussement de sourcil méprisant, c'est si facile quand on a les moyens de faire autrement... et au demeurant, ce n'est que son corps, qu'une telle femme vend, pas son âme, elle est toujours un être humain, et pas un animal, ou mieux, une bête de sexe...


dimanche 8 juillet 2007

l'islam moderne

allez, un article sérieux pour une fois. enfin, important dirais-je.
ce sont des extraits du Monde 2 (9-15 juin) (j'ai rattrapé mon retard en monde 2 ce week end, j'ai dû en lire 6 un truc comme ça... comme quoi je finis toujours par le faire). Voici des extraits de la grande enquête sur l'Islam moderne. Très actuel quand on sort de Persépolis.

"le Coran n'est pas un texte de loi et ne doit plus être traité comme tel.Un verset coranique n'st pas un article dans un code: ce n'est pas du droit. Il ets grand temps de mettre fin à ce débat stérile sur le sens de tel ou tel verse prétendument juridique, et de séparer clairement et définitivement droit et religion", explique Mohammed Charfi, professeur de droit à Tunis. "L'Islam d'Al-Azhar et de toutes les institution islamiques est complètement dépassé. L'islam apporte une liberté. Mais il faut se débarrasser des miliers de commentaires et de hadiths, dont beacoup ont été fabriqués, et qui contredisent souvent le Coran. Ces paroles, même si elles faisaient sens à leur époque, ont mille ans, et on ne peut les appliquer aujourd'hui", s'emporte Gamal El-Banna, l'un des plus farouches opposants aux islamistes d'Egypte. "Quand je donne des conférences dans les universités marocaines, et que je demande : "Le Coran est-il la parole de Dieu ?", 50 étudiants se lèvent et quittent la salle. Mais 650 restent pour m'écouter et poser des questions. Il y a une énorme demande de la part des jeunes de questionner l'islam autrement", raocnte le frnaco-marocian Rachid benzine, universitaire et croyant fervent, auteur des Nouveaux penseurs de l'islam. (...)
Ce que défendent ces penseurs modernes, c'est d'abord une réflexion sur la nature et le statut des textes religieux. Il s'agit de relire les textes sacrés pour sortir d'une interprétation littérale : respecter l'esprit du Coran, non la lettre. "Quand le prophète dit : "apprenez à vos enfants l'équitation, la natation et le tir à l'arc", aujourd'hui cela signifie "apprenez leur l'anglais, l'informatique et internet" : l'objectif est de maîtriser les compétences du siècle. De même, le Coran a prescrit le voile pour protéger la femme. Aujourd'hui, c'est l'école qui la protège", explqiue ainsi Soheib Bencheikh, imam de Marseille. Tous ces penseurs partagent un point commun : intégrer à l'analyse des testes religieux les courants de pensée modernes, comme les penseurs de la Nahda avaient absorbé les savoirs occidentaux. C'est ainsi que les sciences sociales, apport-clé de la pensée occidentale du XX° siècle, sont sollicitées : le Coran est étudié avec une approche historique, sociologique et linguistique. Il devient objet d'étude et non dogme - même pour les plus croyants de ces penseurs.
"Le discours religieux est une donnée linguistique. Il nous faut étudier les circonstances historiques de la production de ce discours", explique l'Algérien Mohamed Arkoun, l'un des pionniers de cette relecture du Coran, dont els ouvrages sont interdits en Arabie Saoudite. "Le langage coranique, comme tous les langages religieux, utilise le mythe, la parabole et le symbole. Il faut appliquer au Coran les mêmes méthodes de lecteure que les chrétiens ont appliqué à l'Evangile", explique rachid Benzine, qui se dit influencé par ses années de dialogue avec le père Christian Delorme, avec lequel il a cosigné un ouvrage en 1998, Nous avons tant de choses à nous dire.


Belle leçon d'intelligence dirais-je... ! cela prouve bien, une fois de plus, l'intérêt de la distance, de la lecture critique, du regard qui replace dans son contexte. ça n'enlève rien au caractère sacré du texte que de vouloir le comprendre par rapport à notre époque. Au contraire, c'ets lui donner sa vraie valeur ! c'est à ça que servent les disciplines littéraires à la fin, à comprendre le sens, à aller au-delà du sens littéral. Regardez Spinoza, avec le Traité Théologico-politique, c'est assommant direz-vous. Peut-être, je n'en suis pas sûre, mais là, clairement, on a un guide de lecture, un guide des différences façons de lire un texte, sens littéral, sens métaphorique, ce n'est pas le terme exact, mais c'est l'idée de fidélité à l'esprit, et sens symbolique. et cette façon de regarder le monde se décline dans tous les domaines. c'ets la meilleure garantie contre le radicalisme, le totalitarisme. Il n'y a pas qu'une façon de voir les choses, une seule vérité une et indivisible... On ne peut dire tout et son contraire pour autant non plus... mais il faut, il faut absolument, qu'il y ait débat, discussion, parce que c'est ça rendre un texte vivant, se colleter à lui, essayer d'en pousser le sens dans ses différents retranchements, et pas le mettre sous verre avec des gardes devant... ça ne sert à rien, la pensée se fera clandestine et d'autant plus subversive, et encore heureux d'ailleurs... mais quel gâchis... !



samedi 7 juillet 2007

du contresens au cinéma.

ça fait des années maintenant que je m'énerve à essayer de défendre mon opinion sur ce sujet. et là, tombé du ciel, un article de Tarentino dans le monde 2 qui dit pile ce que je pense... Mon passage préféré :

interdit de rire d'un film

Quentin Tarentino anime depuis 1997, dans un vieux cinéma d'Austen au Texas, le Quentin Tarentino Film Festival, où il montre les joyaux de sa collection de copies 35 mmm. Il présente chaque film et intervient parfois au milieu d'une projection, lorsqu'un détail lui revient en tête. Il se met à crier pour apporter la précision indispensable. Avant chaque présentation, il réitère le même avertissement : il est interdit de rire d'un film, même médiocre, au risque d'être mis dehors, chaque film devant être apprécié pour ce qu'il est, et non pour ce qu'il devrait être. Cela signifie donc qu'en découvrant des oeuvres aussi improbables que Legend of the Wolf Woman, ou Revenge of the Cheerleaders le spectateur ne peut décemment s'attendre à un nouveau Citizen Kane.


Si ça rentrait sur ma page je me mettrais en rouge flamboyant encore plus gros. Ras le bol des critiques devant un film hollywoodien du style c'est pas fidèle alors que personne n'a jamais prétendu faire un film historique de Troy, de Kingdom of heaven ou je ne sais quoi mais juste un bon sang de block buster... regardez les acteurs quoi ... ! C'est un film grand public, un film de divertissement, pas un documentaire ! Ras le bol de me faire laminer sur Tarentino... c'est Tarentino ! à quoi on s'attend en allant voir Tarentino, si ce n'est à cela ? A quoi on s'attend en allant voir une bluette pour ado, un film romantique dégoulinant de sentimentalité si ce n'est à cela ? c'est de la mauvaise foi de venir cracher dans la soupe après !!!

ces films ne prétendnet pas être autre chose que ce qu'ils sont, bien souvent, ce sont les spectateurs, avertis en général, qui veulent en faire autre chose, qui projettent leurs attentes dessus et râlent ensuite parce que s'étant trompés, ils sont déçus... Je pars en croisade pour revendiquer le droit d'apprécier les films à la Honey, à la Save the last dance, à la Dance with me, à la Shall we dance, à la Breaking up, à la dirty dancing parce qu'ils m'apportent exactement ce que j'attends, de la danse. je ne leur demande pas d'être de bons films, et en effet, ils le sont rarement voire jamais, je leur demande de me montrer de la danse, et ils le font. Et je me fous bien du reste... Je les aime pour ce qu'ils sont, je ne les déteste pas pour ce qu'ils ne sont pas, et je m'en fous que les acteurs aient ou non l'âge de leur personnage, que ce soit crédible ou non, etc, etc, etc. c'est un film, justement, du cinéma, c'est pour faire croire, ça requiert un minimum de volonté d'adhérer. après, c'est sûr, c'est vraiment impossible parfois mais bon, tout de même, on peut aussi être un peu bon public quoi ...

Après, il y a aussi les "bons films" que je n'aime pas, je sais pourquoi ils sont bons, je sais pourquoi je ne les aime pas, on peut faire la différence non ? Aimer un mauvais film, détester un bon... ça s'appelle le sens de la nuance... les bons films que je n'aime pas trop ? Garden State par exemple, il m'ennuie, Shortbus parce que je n'ai pas aimé le personnage de la petite asiat et que du coup ça a diminué mon plaisir, j'ai détesté Scoop parce qu'après tout, vraiment, Scarlett, elle ne passe pas, Persépolis, il est excellent, rien à dire, mais alors moi qui hais viscéralement les gosses, Marjane petite me m'a rendu le personnage insupportable du début à la fin, alors que toute la trame historique sur l'Iran, et mon article sur reading Lolita in Tehran me passionne. Elle n'aurait pas été là, ou elle aurait été différente, j'aurais adoré la film. Elle m'a exaspérée. ça ne m'empèche pas de penser le film excellent, de dire aller le voir, vous ignorez sûrement plein de chose sur l'Iran et ses souffrances, et bien vous les apprendrez là avec plaisir... et j'en passe et des meilleurs... mais voilà, ce soir, pour une fois, je monte au créneau pour défendre ma façon de percevoir l'art, mon droit à la contradiction, au paradoxe et au rapport décomplexé avec le cinéma.

allez, une deuxième note !

à chaque fois que je sens mon asthme monter, m'étouffer progressivement, machinalement, stupidement je m'arrête de respirer pour mieux le sentir, pour mieux reprendre mon souffle, pour haleter davantage au fond. à chaque fois ce poème me vient en tête. une de ces nombreuses références qui m'entretiennent doucement dans l'idée une bribe de littérature pour tous les moments.


I am listening to the change of pain

The way she’s fitting into something I can stand

I feel her smart arabesques on my neck

Her vivid dance with my bones wrecked

I wait for the surf to verge

For the pack of yellow sea to rise

And roll all over my backbone

I could feel a pea under a hundred mattresses

Though my skin is no satin

Small arachnid, my brain shrinks

And withdraws into some grounded land

From where I stand

Watching the ocean

Move

Till he comes

And seizes me

I wait for the barbarians

For their strength

Till it bursts

And rapes me

Dividing me in two

Million hundred pieces

That blinds me – dashing vision

Of blackness and blankness

And speed too

I’m in a fuss to feel all this

This being alive, through pain and pain

A kind of hapax

This sleepy agony

When you take up your breath

To feel each detail

The way he penetrates you

The way you burst and die

Life and death

Agony and resurrection

Through pain and pain

Each pain going further, deeper, softer…

All is just a kind of pain

And whether you’re accustomed to it

Or build an addiction to blind it

In dazzling white,

The blind colour…


Saoirse Mac Cann

Mai 1935.

un peu de chaleur


Pour encourager la chaleur et parce que j'en ai sincèrement ras le bol de ce temps, et encore, à Paris il fait pas si mauvais, une note sur ces livres qui donnent chaud. Une auteur en particulier me réchauffe constamment, me fait profondément, physiquement ressentir la chaleur de ses livres et c'est Marguerite Duras. j'avais dit un jour que je ferai une note sur elle, la voilà. Chaleur chez Duras, ça pourrait être un sujet de mémoire...

Il y a un livre en particulier chez elle que j'adore pour cela. Les petits chevaux de Tarquinia. Je l'avais lu une après-midi d'été, très chaude, parce qu'en Alsace, les températures montent allègrement en été, un lundi après-midi il me semble, un lundi tout vide parce que précisément il fait si chaud et que je suis à peu près la seule à pouvoir sortir par ce temps chez moi. J'alternais entre fauteuil et carrelage froid dans mon bureau auquel les volets en persienne donnaient une couleur chaude.

Il n'y a pas grand chose dans ce livre, beaucoup de chaleur, c'est à peu près tout. deux couples, qui s'entendent plus ou moins bien sont en vacances sur une côte italienne, et il fait si chaud que la chaleur assomme tout le monde. journée typique de canicule où on se traîne entre l'intérieur et l'extérieur dans une routine qui nous ferait pleurer d'ennui mais qu'on tolère parce que ce sont les vacances et que justement, pouvoir s'ennuyer est la preuve qu'on est en vacances. ces couples se liquéfient presque sous l'effet de la chaleur. on la ressent physiquement en lisant ce livre, une chaleur sèche, intense, on les image mouillés, une blancheur jaune comme cela sur tout le paysage sablonneux, la canicule à son zénith. je n'ai jamais vu quelqu'un donner aussi bien cette impression de chaleur que Duras, ressenti cette sensation de façon aussi intense. Duras écrit dans la chair de ses lecteurs me dis-je parfois. tous ses livres sont à la fois vides, et ne manquent jamais en même temps de nous prendre aux tripes, c'est assez dingue. c'est merveilleux je trouve. enfin un livre sensuel.

de façon assez drôle, al seule autre fois où j'ai autant ressenti le climat devant une oeuvre, pour ainsi dire, c'est lorsque j'avais projeté de regarder le docteur Jivago. J'ai dû arrêter au bout d'une demie-heure tant je grelottais, j'étais impressionnée.

Gracq aussi, s'il ne fait peut-être pas grand chose de bouleversant, retranscrit de façon impressionnante le climat de ses romans, l'atmosphère dirons certains. c'est déjà cela.

vendredi 22 juin 2007

yet i would lose no sting...


bien, comme l'état de décrépitude avancé de mes genoux me cloue à la maison ce soir, c'est le moment de dépoussiérer un peu ce blog...

je me rends compte qu'il y a un oubli - pour moi - d'une note sur ce fragment d'un merveilleux poème d'Emily Brontë.

Poème puis remarques. Traduction trop longue pour ma paresse...




Silent is the house – all are laid asleep


“He comes with western winds, with evening’s wandering eyes,

With that clear dusk of heaven that brings the thickest stars;

Winds take a pensive tone, and stars a tender fire

And visions rise and change which kill me with desire-


Desire for nothing known in my maturer years

When joy grew mad with awe at counting future tears;

When, if my spirit’s sky was full of flashes warm,

I knew not whence they came, from sun or thunderstorm;


But first a hush of peace, a soundless calm descends;

The struggle of distress and fierce impatience ends;

Mute music soothes my breast – unuttered harmony

That I could never dream till earth was lost to me.


Then dawns the Invisible, the Unseen its truth reveals;

My outward sense is gone, my inward essence feels-

Its wings are almost free, its home, its harbour found;

Measuring the gulf it stoops and dares the final bound!


Oh, dreadful is the check – intense the agony

When the ear begins to hear and the eye begins to see

When the pulse begins to throb, the brain to think again,

The soul to feel the flesh and the flesh to feel the chain!


Yet I would lose no sting, would wish no torture less;

The more that anguish racks, the earlier it will bless;

And robed in fires of Hell, or bright with heavenly shine,

If it but herald Death, the vision is divine.”

Emily Jane Brontë, 1845

C'est l'histoire d'une jeune captive prisonnière qui raocnte à l'homme venu la délivrer - c'est une ballade -les rêves qui l'avaient et l'aidaient à supporter sa captivité. Tout d'abord, il est notable, pour ceux qui le connaissent, que le poème entretient une ressemblance du diable avec Erlkoenig de Goethe... le cavalier qui vient et ravi l'enfant, ravi dans tous les sens du terme et surtout le pire. ici, on a à faire à la même aphasie.

et je trouve, personnellement, que c'est une des plus belles façon d'écrire, l'air de pas y toucher, la petite mort. Elle nous fait passer cela pour un rêverie, une médiatation, l'esprit, libéré de ses fers s'envolent. mais si on y regarde de plus près... combien cela dure-t-il ... une strophe, quelques secondes, quels en sont les traits, l'absence perceptive au monde, la libération, l'envolée... le ravissement... pour mieux retomber ensuite...

elle ne parlerait pas tant de la chair, sans doute cela n'aurait-il pas retenu mon attention, mais elle dit tout de même ici que son âme elle-même vacille...

c'est magnifique non ?

et la façon dont la cavalcade s'sincrit, de vers en vers, par les rythmes dévalant vers la captive, jusqu'au ravissement, avant la retombée... et là encore, "if it but heralds death, the vision is divine"... la "vision" est présentée comme un simile de mort... que dire de plus...

toute la dernière strophe est magnifique en fait, une vraie déclaration, plutôt subir mille tourments que de renoncer à cet instant...

ce qui est d'autant plus frappant, c'est qu'il a été écrit par une jeune femme morte à 26 ans, et jamais tombée amoureuse, n'ayant jamais eu de courtisan.

on n'a pas fini de vanter le talent des Brontë.

mais ce poème là, vraiment, par sa subtilité, sa douceur et sa force, on sent la lande derrière, on voit le cavalier venir, et avec elle, on a ce moment digne des films indiens où on voit un court instant les pieds du personnage quitter le sol avec un sourire de ravissement sur son visage...

ça paraît trivial et si inapproprié, mais, clairement, ce poème fait planer...