mardi 21 octobre 2008

Défense de la poésie


Défense de la poésie !


Défense oui ! Car elle est attaquée. La poésie sombre, la poésie disparaît, la poésie ne fait plus vendre, elle devient de plus ne plus l’apanage de spécialistes. Les étudiants la travaillent parce qu’obligés – la résignation de Bertrand Marchal est encore fraîche dans ma mémoire. La littérature n’est déjà plus très en vogue. Non, ce n’est plus la littérature qui plaît, mais les romans, de préférence gros et dense, avec plein d’intrigue, de personnages, de sentiments, de mystère, je reprends les mots du maître car j’acquiesce, en effet, dans le métro, dans la rue, si on lit encore, on est bien loin du roman sur le vide de Flaubert…

Et la poésie dans tout cela ?

La poésie ? Mais c’est encore pire… Qui lit encore de la poésie aujourd’hui ? Qui peut dire y comprendre quelque chose. Combien n’y a-t-il pas de gens intelligents dans mon entourage, y compris un diplômé d’Oxford en philosophie, qui disent n’y rien entendre en poésie. Alors en effet, si personne n’y comprend rien, à quoi bon ? à qui bon encore la lire … ?


Parce qu’on ne peut tout simplement pas décider de la rayer de nos vies. C’est tout simplement impossible. Si on réfléchit, si je repense à mon enfance, je me souviens des Colchiques et de Prévert, et de Marie-Noel que j’apprenais à l’école primaire, et de combien j’aimais les réciter, et dessiner à côté. C’était beau et rigolo la poésie, ça racontait une histoire et c’était musical.

Et c’est drôle la poésie, c’est drôle… ! Prenez Donne et sa puce - il propose à sa dulcinée qu’il n’a pas encore épousée qu’ils se fassent mordre par la même puce pour qu’ils puissent enfin se fondre l’un dans l’autre, partageant leur sang. C’est Corbière, c’est Musset et leurs parodies, enfin sérieusement, c’est à mourir de rire.

C’est engagé la poésie, reagrdez Victor Hugo et le coup d’Etat de Napoléon III, ça par contre, ça ne fait guère rire, il ne fait pas bon être Napoléon III dans l’entourage d’un Hugo.

C’est émouvant la poésie : « demain, dès l’aube, je partirai, je sais que tu m’attends… » ! Qui honnètement, ira nier que ces vers d’Hugo à sa fille morte ne l’ont pas touché !

C’est une déclaration la poésie, regardez Elizabeth Barrett Browning et ses sonnets du Portugais, elle n’est pas aussi connue que son mari, et pour cause, mais enfin là, elle y a mis toute son âme, et c’est beau, ce n’est pas Ronsard, elle aime, et elle sait le faire sentir… !

La poésie, c’est épique, c’est un élan de l’âme, une exhortation, ouvrez l’Iliade bon sang !

Mais surtout, pour tout le monde, la poésie c’est un écho, ce sont ces sentiments qu’on n’arrive pas à nommer et qui tout d’un coup trouvent les mots parfaits sous nos yeux, si parfaits qu’on les apprends par cœur, qu’on les garde avec soi, et qu’on ne les oublie plus.

Pour moi, ce sont les premiers vers de Bishop dans "Argument" :

Argument

Days that cannot bring you near

Or will not,

Distance trying to appear

Something more than obstinate,

Argue argue argue with me

Endlessly

Neither providing you less wanted nor less dear. (...)

C’est ma vie en ce moment, et ça le sera encore longtemps. Ma vie est dans ces vers, nulle part ailleurs, pas dans Dan Brown ou Cecilia Ahern que pourtant j’apprécie.


D’ailleurs, c’est un coup bas, mais que pensez-vous qu’on se rappelle dans des situations désespérées… ? Robinson Crusoé, à quoi il pense sur son île ? à de la poésie ! sur le front en 1914, à quoi ils pensent, qu’est-ce qu’ils écrivent, les gamins ? des lettres à leurs fiancés et des poèmes, regardez seulement toutes les anthologies qui traînent ! et là le coup bas, ouvrez Primo Levi, si c’est un homme, un autre de ces livres que tout le monde a « dû » lire… à quoi ils pensent aux tous là-bas, dans l’enfer ? à de la poésie… !

Et pourquoi diable à de la poésie ? Parce que c’est beau, c’est en vers, ça sonne bien, c’est facile à retenir… ?

Certes.

Ou alors parce que ça les a marqué, parce qu’ils n’ont pas compris au départ mais ces mots son restés et prennent leur sens maintenant.

C’est ça la poésie, c’est une bombe à retardement. Et quand tout le monde arrêtera de penser avec un léger complexe d’infériorité que c’est trop dur, et se mettra vraiment à la lire, avec ses tripes, alors ce fameux monde verra un monde s’ouvrir devant lui, un monde merveilleux, ou les choses habituelles changent de couleur, et les mots prennent de la saveur, où le monde devient vraiment charnelle. La poésie, c’est l’âme qui part au corps. C’est ce qui fait de nous plus que des animaux, c’est notre capacité à parler par référence, par figuration, à comprendre les analogies. C’est notre goût pour le beau, juste beau, et pas directement utile, alors qu’au fond, il n’y ait pas un vers, pas un vers de poésie qui n’ait pas son utilité pour notre âme.

Alors ne lâchons rien sur la poésie !

Courrez acheter des livres – non mieux, commencez par relire ceux qui traînent chez vous, confortablement installé, et laissé vous porté, n’essayez pas de faire attention, écoutez la musique des mots, la musique des mots qui pénètre l’âme, et laissez-la incuber.