vendredi 22 juin 2007

yet i would lose no sting...


bien, comme l'état de décrépitude avancé de mes genoux me cloue à la maison ce soir, c'est le moment de dépoussiérer un peu ce blog...

je me rends compte qu'il y a un oubli - pour moi - d'une note sur ce fragment d'un merveilleux poème d'Emily Brontë.

Poème puis remarques. Traduction trop longue pour ma paresse...




Silent is the house – all are laid asleep


“He comes with western winds, with evening’s wandering eyes,

With that clear dusk of heaven that brings the thickest stars;

Winds take a pensive tone, and stars a tender fire

And visions rise and change which kill me with desire-


Desire for nothing known in my maturer years

When joy grew mad with awe at counting future tears;

When, if my spirit’s sky was full of flashes warm,

I knew not whence they came, from sun or thunderstorm;


But first a hush of peace, a soundless calm descends;

The struggle of distress and fierce impatience ends;

Mute music soothes my breast – unuttered harmony

That I could never dream till earth was lost to me.


Then dawns the Invisible, the Unseen its truth reveals;

My outward sense is gone, my inward essence feels-

Its wings are almost free, its home, its harbour found;

Measuring the gulf it stoops and dares the final bound!


Oh, dreadful is the check – intense the agony

When the ear begins to hear and the eye begins to see

When the pulse begins to throb, the brain to think again,

The soul to feel the flesh and the flesh to feel the chain!


Yet I would lose no sting, would wish no torture less;

The more that anguish racks, the earlier it will bless;

And robed in fires of Hell, or bright with heavenly shine,

If it but herald Death, the vision is divine.”

Emily Jane Brontë, 1845

C'est l'histoire d'une jeune captive prisonnière qui raocnte à l'homme venu la délivrer - c'est une ballade -les rêves qui l'avaient et l'aidaient à supporter sa captivité. Tout d'abord, il est notable, pour ceux qui le connaissent, que le poème entretient une ressemblance du diable avec Erlkoenig de Goethe... le cavalier qui vient et ravi l'enfant, ravi dans tous les sens du terme et surtout le pire. ici, on a à faire à la même aphasie.

et je trouve, personnellement, que c'est une des plus belles façon d'écrire, l'air de pas y toucher, la petite mort. Elle nous fait passer cela pour un rêverie, une médiatation, l'esprit, libéré de ses fers s'envolent. mais si on y regarde de plus près... combien cela dure-t-il ... une strophe, quelques secondes, quels en sont les traits, l'absence perceptive au monde, la libération, l'envolée... le ravissement... pour mieux retomber ensuite...

elle ne parlerait pas tant de la chair, sans doute cela n'aurait-il pas retenu mon attention, mais elle dit tout de même ici que son âme elle-même vacille...

c'est magnifique non ?

et la façon dont la cavalcade s'sincrit, de vers en vers, par les rythmes dévalant vers la captive, jusqu'au ravissement, avant la retombée... et là encore, "if it but heralds death, the vision is divine"... la "vision" est présentée comme un simile de mort... que dire de plus...

toute la dernière strophe est magnifique en fait, une vraie déclaration, plutôt subir mille tourments que de renoncer à cet instant...

ce qui est d'autant plus frappant, c'est qu'il a été écrit par une jeune femme morte à 26 ans, et jamais tombée amoureuse, n'ayant jamais eu de courtisan.

on n'a pas fini de vanter le talent des Brontë.

mais ce poème là, vraiment, par sa subtilité, sa douceur et sa force, on sent la lande derrière, on voit le cavalier venir, et avec elle, on a ce moment digne des films indiens où on voit un court instant les pieds du personnage quitter le sol avec un sourire de ravissement sur son visage...

ça paraît trivial et si inapproprié, mais, clairement, ce poème fait planer...

samedi 16 juin 2007

enfoncer le clou de la tolérance !

allez, une petite pause dans la lecture de mes journaux en retard (ouf, plus que deux et demie), pour vous faire profiter d'un article bien intéressant dans le Monde du 9 juin 2007, qui s'inscrit bien dans la ligne de ma gue-guerre contre ces super mâles à deux balles pour qui se traiter de "PD" est l'insulte surpême... véridique, j'ai l'occasion de le constater assez souvent tout de même.

"Lorsqu'elle évoque son enfance et son adolescence, Camille Barré parle toujours au féminin. "J'étais souvent silencieuse, raconte-t-elle. Un peu explosive aussi." Pourtant, à l'époque, Camille Barré s'appelait Gilles et était l'un des deux garçons d'une famille de cinq enfants. " J'étais un petit gars pas du tout efféminé, toujours prêt à en découdre avec ses camarades dans la cour de récréation. Mais, très rapidement, je me suis sentie différente, j'avais l'impression d'être une fille. Cela a évidemment crée une grande confusion dans mon esprit : je vivais cela comme une anomalie, une singularité, un dérèglement."

Camille Barré, qui a changé de sexe en 1999, est la candidate du Parti Communiste dans les Hauts-de-Seine (...). A 48 ans, elle est la première transsexuelle à se présenter aux élections législatives. " C'est une femme courageuse, qui a choisi d'assumer son identité, note la secrétaire départementale du PCF du département, Brigitte Gauthier-Maurin. Quelqu'un de très dynamique, de très original, qui a beaucoup galéré. Son engagement politique est le prolongement de son combat personnel en faveur de l'émancipation et de l'égalité.

Dans cette circonscription où le candidat communiste a recueilli 1,47% des voix en 2002, Camille Barré affrontera le nouveau président (UMP) de l'Assemblée Nationale, Patrick Ollier. Les deux candidats se connaissent bien pour avoir bataillé, par justice interposée, au cours de l'année 2005 : Camille Barré souhaitait alors se marier avec sa compagne, Monica Leon, un transsexuel argentin qui était resté un homme pour l'état civil. En tant que maire de Reuil-Malmaison, Patrick Ollier s'était alors fermement opposé à cette union "militante".

Camille Barré a grandi à Paris, dans la loge de l'école Notre-Dame-de-Grâce de Passy, dont sa mère était concierge. Son père, qui parcourt le monde dans la marine marchande, quitte très vite le domicile conjugal. "Ses absences lui permettaient d'échapper à ses responsabilités d'époux et de père". Après son départ, Mme Barré élève seule ses cinq enfants. "Elle travaillait dut et elle nous dressait plus qu'elle ne nous élevait. Le sentiment que j'ai aujourd'hui, c'est qu'elle nous aimait mais n'arrivait pas à l'exprimer".

Vêtue des blazers bleu marine que les familles de l'école donnent à sa mère, Camille Barré grandit dans le petit monde feutré du Passy des années 1960. Dans la loge, la table de la salle à manger est recouverte d'une montagne de linge à repasser et on sonne la soupe en tapant sur les tuyaux de chauffage. Le soir, les enfants jouent dans la cour de l'école, à côté d'une statue de la Vierge Marie, et se déguisent avec les costumes destinés aux spectacles de fin d'année. "Mon frère faisait le prince, moi la princesse. J'essayais déjà de m'approprier les codes vestimentaires féminins".

A 13 ans, Camille Barré change brusquement d'univers : la famille quitte les rues tranquilles du 16° pour une cité HLM de Boissy-Saint-Léger dont Mme Barré devient la gardienne. "Je me suis retrouvée au milieu de jeunes de banlieue qui roulaient des mécaniques, des petits mâles ne puissances qui disaient des gros mots et se bousculaient dans la cour. Il fallait que je me défende: j'ai fini par endosser un habit qui n'était pas le mien". L'adolescent fréquente les loubards et fini par être suivi par un éducateur à la suite d'un vol de vêtements dans un magasin. "J'ai vite réalisé le danger de cette dérive".

Pour Camille Barré, qui se sent de plus en plus mal dans son corps de garçon, l'adolescence est une véritable épreuve : sa voix mue, son corps se transforme, son statut social change. Pour échapper à ce corps d'homme, l'adolescent ruse avec les codes vestimentaires et adopte un look androgyne qui le fait passer pour un excentrique. "C'est très difficile de vivre avec un secret aussi terrible. On a l'impression d'être dans un mensonge permanent, on a tout le temps peur d'être démasqué, on a envie de se supprimer: je serrais les dents pour éviter de pleurer ou de hurler."

Camille Barré, qui se travestit en femme à son domicile, devient commis dans une boulangerie préparateur de commandes pour un grossiste, livreur de linge pour des hôtels, puis agent technique au conservatoire de Reuil-Malmaison. En 1989, le jeune homme se marie. " On s'aimait bien mais on était dans le mensonge: mon épouse voyait ma fragilité et elle connaissait bien mes problèmes de sexualité. Pendant ces années, j'ai réfléchi à ces problèmes d'identité et, un jour, j'ai trouvé au Virgin Megastore un bouquin sérieux de sociologie sur la transsexualité. Je me suis dit ! voilà le point d'ancrage de tous mes problèmes."

En 1993, Camille Barré décide de divorcer et distribue à ses proches un document sur al trassexualité photocopié à la bibliothèque de Beaubourg. "Je n'étais ni surpris ni choqué, raconte un de ses amis d'enfance, Jean Damiens. Je me suis juste dit: tiensn c'était donc ça. J'avais toujours senti un malaise, mais je n'avais jamais mis les mots de transsexualité dessus." Commence alors un long parcours médical : Camille Barré se rend en 1996 à la consultation d'andrologie de l'hôpital Cochin, passe des tests hormonaux et chromosomiques, est suivi pendant plus d'un an par un psychiatre.

Son corps se transforme peu à peu grâce à un traitement hormonal et, en 1998, Camille Barré se fait opérer. "Ma vie de femme a vraiment commencé là. Je suis rentré chez moi, je pleurais de joie. J'habitais enfin ma maison corporelle. Je ne l'ai jamais regretté: accepter son corps, c'est tellement apaisant." La justice française, qui accepte les changements de sexe depuis un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme de 1992, modifie en 1999 son état civil : Gilles choisit de s'appeler Camille, Joséphine, les seconds prénoms de son épouse et de sa mère, les deux femmes qui ont compté dans sa vie. "Elle s'est enfin trouvée, résume Jean Damiens. Elle est en harmonie avec elle-même."

Sa mère, aujourd'hui décédée, a toujours eu du mal à lui parler au féminin, mais ses soeurs, et surtout son frère, ont accepté sa transformation. Au conservatoire de Reuil-Malmaison, certains parents d'élèves l'ont accueillie avec des fleurs, d'autres ont continué à l'appeler Gilles. Après avoir milité dans les associations "trans", Camille Barré a rejoint l'Inter-LGBT (lesbienne, gay, bi trans), qui organise tous les ans la marche des fiertés, à Paris. Aujourd'hui, elle milite au Parti Communiste, un mouvement qui porte, dit-elle, de belles idées. "Ce long parcours m'a donné une force immense, conclut-elle. Aujourd'hui, pour m'arrêter, il faut m'abattre !".

vendredi 15 juin 2007

Gisèle Halimi - la cause des femmes

une note que j'aurais dû faire bien plutôt, si j'y avais pensé, sur une femme que peu connaissent mais qui est vraiment une des personnalités incontournables de la lutte des femmes en France : Gisèle Halimi. ça fait un moment que je pensais à elle, et ça devient d'autant plus important que la misogynie et le machisme à outrance est encore bien trop présent dans notre société pour toute occidentalisée et polie qu'elle se donne. clin d'oeil à ceux qui savent quelle fut ma journée d'hier.

Gisèle Halimi, avant tout, est célèbre pour avoir plaidé au fameux procès de Bobigny, en 1972. Elle y défendait une fille et sa mère, accusées respectivement d'avortement illégal et de complicité. elle a ouvert la voie à la loi de 1975 légalisant l'IVG. de ce procès, elle nous dit, dans le monde de samedi 2 juin, que ce fut un vrai procès politique :

c'est ainsi que nous avions voulu ! avec trois ingrédients : 1. les accusés ne demandent pas pardon, 2. on dépasse les faits pour mettre en accusation la loi qui accuse, 3. on s'adresse, apr dessus la tête des magistrats, au pays tout entier. et nous avons atteint notre but: démontrer qu'on réprimait les femmes auxquelles on n'avait pas donné les moyens de ne pas commettre d'infraction; et permettre aux femmes de choisir de donner la vie ou de ne pas la donner.


son combat aujourd'hui, à travers Choisir, la cause des femmes, l'association fondée en 1971 avec Simone de Beauvoir, est de faire adopter la clause de l'Européenne la plus favorisée :

nous proposons de choisir, dans les 27 pays de l'Europe, les lois qui nous semblent les plus favorables aux femmes et d'en faire un bouquet législatif qui s'imposerait dans toute l'Europe : avortement, divorce, droit du travail, prostitution... ce serait le nivellement par le haut. une source de solidarité entre Européennes. et une façon de propulser l'Europe en avant. (...). on emprunterait à la Suède le congé parental rémunéré et obligatoirement alterné entre le père et la mère; et aussi, sa législation antiprostitution qui pénalise le client. on prendrait aux Pays-Bas la loi sur l'IVG qui offre eux femmes huit semaines supplémentaires. à l'Espagne sa loi-cadre sur les violences et à la France la parité constitutionnelle, à condition d'en renforcer les sanctions.

voilà, c'est pas mal non ? ça me semble souhaitable...

d'autant plus qu'il y a encore un tas de balourds sans aucune éducation, ou même avec quelqu'une parfois, qui nous prennent, encore aujourd'hui, assez allégrement pour des salopes, il fait dire ce qui est. donc le jour où les gars arrêterons, même sous couvert d'humour - ils n'ont pas encore compris que ça ne faisait rire qu'eux, les pauvres cons - de nous considérer comme tout juste bonnes à ça, et n'attendant que ça, on aura fait un grand pas. quand en plus, ils cesseront de nous regarder de travers parce qu'on travail, parce qu'on veut choisir notre vie, et que, manque de pot, on peut tout aussi bien se débrouiller qu'eux, et même bien souvent sans eux aussi, on aura fait un pas de plus.

peut-être qu'après on arrivera même à vivre ensemble, et à arrêter, pour eux, de chercher à affirmer à tout prix leur supériorité de mâles incapables de gérer leurs pulsions, et nous - statues de glace, et pour cause, il faut bien qu'on se défende - de chercher à prouver qu'on peut faire mieux qu'eux juste pour avoir le droit de faire aussi bien qu'eux...

je suis pas sûre, honnêtement, de voir ça encore de mon vivant. mais je veux bien me battre aujourd'hui, même si j'en ai marre de faire la guerre à une poignée de cons, pour que ça aille mieux demain. et de toute façon, c'est pas comme si c'était vivable...


dimanche 10 juin 2007

The age of innocence


je me rends compte que ça fait un moment que j'ai fini cet excellent livre et toujours pas fait de note dessus. vu que c'était mon dernier livre loisir avant un moment, il convient de lui rendre hommage comme il faut. d'autant plus qu'il a valu le prix Pulitzer à Edith Wharton en 1920...

The age of Innocence, c'est l'histoire de ce jeune homme, de la haute société new-yorkaise du début du siècle, qui est forcé de revenir sur tous les principes qui ont régi sa vie jusque là. il vit dans une société où un jeune homme de bonne famille ne travaille pas, c'est vulgaire, où l'on ne voit qu'un certain groupe de gens, du même milieu, au sein duquel les mariages se font, au sein duquel aussi tout, absolument tout se sait, et est jugé à l'aune du bon goût, de la décence, du sens du clan... tout un ramassis d'idioties aurais-je envie de dire, mais Edith Wharton est extrêmement fine lorsqu'il s'agit de dépeindre le fonctionnement de ce microcosme. les gens s'y ennuient à mourir, Archer, c'est le nom de notre jeune homme, se damnerait pour fréquenter un peu plus les arts, pour voir des journalistes, avoir une vie intellectuelle, car il est très cultivé, et ce genre de soirée existent, chez des gens de moyenne bourgeoisie, soit des inférieurs, qui ont mauvais genre... c'est le genre de société, où lorsqu'une femme de la haute se promène en calèche sur la 5° avenue, et voit une autre femme de "mauvaise réputation", une demi-mondaine par exemple, maîtresse de l'un des aigles de la haute, elle fait demi-tour et rentre chez elle, car il est hors de question qu'elle soit associée à elle dans l'esprit des gens, ne serait-ce que comme parcourant la même avenue... c'est fascinant je trouve. l'aptitude à la frustration et à la tristesse de ces gens m'a beaucoup touchée, leur sens du devoir, la constance avec laquelle ils s'y attachent; l'oubli d'eux même totalement sidérant devant les devoirs dûs au clan... c'est aussi énigmatique que fascinant à notre époque d'invidualisme forcéné. à le dire comme cela, ça paraît une critique, mais je ne voudrais pas échanger, et me sachant incapable de faire cela, j'admire, en un sens, leur capacité à vivre ainsi... !

ce jeune homme donc, d'une des plus puissantes familles, est très snob, très conscient de ce qu'il doit à son rang etc... il projette d'épouser une jeune fille de bonne famille, d'égal rang social, calme, douce, gentille, innocente, bien élevée.... rentre alors d'Europe la comtesse Ellen Olenska, cousine de May, la gentille fiancée... la comtesse est scandaleuse, elle a fuit son mari qui l atrompait allégrement, et peut-être même la violentait. mais, même pour cela, on ne l'excuse pas, au contraire, elle essuie réprobation de toute part. le clan Welland, sa famille décide néanmoins de la soutenir et de la recueillir (quelle magnanimité a-t-on envie de dire...), pour que ceux-ci n'essuient pas cette opprobre seuls, Archer annonce leurs fiançailles plutôt, pour que sa famille aussi face rang derrière les Welland et impose au monde la comtesse... (ça va loin tout de même...).

Archer, au départ, est plutôt contrarié par l'arrivée de cette Européenne qui complique tout et ne se rend pas compte des faveurs que les Newland et les Welland lui font. de plus, elle se montre, alors qu'elle devrait se terrer chez elle. et, sacrilège, elle voudrait divorcer... il se fait donc un devoir de lui expliquer ce qu'elle peut faire (pas grand chose), et ne doit pas faire. et la comtesse, ayant vécu si longtemps à l'étranger, trouve cela étrange, elle ne comprend pas pourquoi ces cercles sont si fermés, si hautains. elle trouve les Van Luydens ennuyeux comme la pluie, comme tout le monde d'ailleurs, mais le dit. ce que personne n'avait osé faire auparavant. et Archer est désarmé par cette innocence et cette fraîcheur, et peu à peu, toutes les pesanteurs de l'ordre social archi stricte qui régente sa vie s'abattent sur lui. ce qui lui semblait si naturel qu'il n'y pensait même pas lui semble étrange, lui pèse, il remet tout en question. et c'est passionnant, parce qu'il ne veut faire de mal à personne, encore moins à sa famille, mais il se rend compte qu'il étouffe, un peu comme Emma Bovary, mais dans un autre milieu. et arrive ce qui devait arriver, il tombe amoureux de la comtesse, et le lui dit.

évidemment c'est réciproque, mais, la comtesse, bien qu'étrangère, bien que moins conformiste que les autres, a tout de même des principes, elle force Archer à épouser May, et sort de sa vie...
l'histoire pourrait s'arrêter là, mais au fil des mois, Archer trouve que l'innocence et la naïveté qu'il prisait tant chez May n'est peut-être que l'autre face d'une certaine stupidité. impossible de parler littérature avec elle, ni même de grand chose ailleurs. pas la peine de lui demander à quoi elle pense, parce qu'elle ne pense vraiment à rien. donc il est déçu, forcément, il essaie de se faire une raison, il sort quand il peut, il trouve un équilibre pour supporter sa femme pour laquelle, au demeurant, il a tout de même beaucoup de tendresse. c'est juste qu'elle est ennuyeuse, creuse et un peu vaine...

et là la comtesse ressurgit dans sa vie, bien malgré eux. et il se rend compte qu'il n'en peut plus, qu'il n'y tient plus. il ne le supporte plus. il la convaint de revenir s'installer à New york, pour qu'il la voie au moins. ça leur suffit, ils n'ont jamais éprouver le besoin de se toucher au-delà d'un chaste baiser. elle accepte, car elle non plus ne supporte plus de vivre sans lui. et peu de temps après, sur un coup de tête, apparemment, elle décide de rentrer en Europe. May et Archer organisent alors sa fête d'adieu, Archer est profondément triste, bien qu'il le cachât, et il ne supporte plus de voir sa femme, il chercher une échappatoire, et décide, après la fête, de lui annoncer qu'il veut faire un long et lointain voyage au Japon, sans elle, et avec le projet inavoué d'y entraîner la comtesse. May s'afflige alors de ce qu'il choisisse une contrée si éloignée, où cela l'étonnerait grandement que les docteurs consentent à la laisser le suivre. Archer se dit alors, quoi ? et oui, May est enceinte, elle l'a d'ailleurs dit à la comtesse, avant même d'être sûre, quelques heures avant que celle-ci n'annonce sa décision de partir... pas si sotte la May...

Archer est partagé entre la joie, n'oublions pas qu'il aime bien sa femme, mais davantage comme une soeur je suppose, et l'accablement.

elle lui aura donné trois enfants qu'il adore, avant de mourir en soignant la tuberculose du dernier. il ne s'est pas remarié, n'a pas revu la comtesse. un jour, son grand fils l'entraîne dans un tour de paris, et veut aller voir la comtesse, pour sa fiancée, à qui elle a rendu de grands services il fut un temps. il le plaisante alors en lui disant qu'il a très bien compris qu'il l'avait aimé dans sa jeunesse, sa mère le lui avait dit, sur son lit de mort, en ajoutant qu'elle partait l'esprit tranquille, laissant ses enfants à un homme qui avait renoncé à ce à quoi il tenait le plus au monde quand elle le lui avait demandé. Archer de s'étonner, elle ne lui a jamais rien demandé... son fils de rétorquer, mais vous ne vous parliez jamais de toute façon, vous vous compreniez par des regards, des demi-mots, vous lisiez dans vos âmes...

le livre se clôt sur une petite réflexion sur l'évolution de la société, entre celle, très cloisonnée, rigide d'avant, qui du coup se trouve rédimée par l'abnégation incroyable de ses membres, et celle, plus individualiste, plus hédoniste qui commence à naître...

de la société d'avant, je pense, très sincèrement, qu'on peut admirer le maintien, le sens du devoir de l'oubli de soi, mais le prix en est énorme. celle qui de la génération d'après est plus permissive, plus exigeante, et ne condamne plus la recherche du bonheur personnel. disons qu'on commence à admettre le droit au bonheur, avant la question ne se posait pas.

personnellement, j'aurais tendance à lier cela au recul de la religiosité, la recherche du bonheur n'est plus condamnée, ou, mettons, plutôt dans l'autre sens. auparavant, quand les gens étaient malheureux, ils se tournaient vers dieu pour trouver du réconfort, n'ayant plus ce réconfort, pour des raisons multiples et variées, ils cherchent à être davantage heureux, et ne se sentent plus coupables de l'être...

pour la polémique, j'avouerai qu'à mon sens, la foi et le respect d'un certain nombre de lois, d'interdits etc a toujours été une des causes profondes du malheur des hommes, alors la religion a beau jeu, ensuite, de tâcher de les réconforter par la pensée d'un autre monde... la religion a toujours tenté de se justifier en se posant en garante de la morale... le jour où on a pu émanciper la morale de la religion, prouver qu'on pouvait être athée et avoir des principes, on a fait un immense progrès, l'homme est devenu adulte, il arrête de se référer à un autre pour savoir si ce qu'il fait est bon ou pas... alors évidemment, il y a toujours eu des gens qui ont réglé leur conduite sur des principes qu'eux-mêmes embrassaient, les trouvant bons, et qu'ils ne suivaient pas tout d'abord par obéissance à leur foi, mais pour les autres, quelle hypocrisie... je vous renvoie à l'anneau de Gygès... qu'auraient fait tous ces gens s'ils avaient pu se rendre invisibles à Dieu...

les optimistes diront, ils auraient été forcés de se prendre en charge tous seuls et de grandir...
j'ai tendance à croire qu'historiquement, depuis la fin du XIX°, c'est ce qui s'est passé...


vendredi 8 juin 2007

à contre - courant ...


alors là, je vis dangereusement parce que je pense que je vais me faire laminer par la critique...
mais tant pis, au moins ça fera débat !

ce soir, je suis allée voir boulevard de la mort. pas très confiante, vu qu'il s'est fait descendre comme pas possible par une critique radio (qu'au demeurant j'avais oublié que je méprisaiss, j'ai la mémoire courte parfois...)(mais ils étaient vraiment convaincants il faut dire...), j'ai encore eu des échos négatifs par ailleurs, et je me suis dit... ça promet...

et en fait je l'ai trouvé génial !

bon, attention, les reproches qu'on lui fait sont fondés, c'est vrai, on peut trouver ça énervant le manque de subtilité absolu, de renouveau, le recyclage intensif de cliché, les longs dialogues avant les morceaux d'actions, mais ils m'ont amusée, les filles ont pas arrêté de se lancer des vannes, alors évidemment ça vole pas haut, c'est même sous la ceinture, mais bon, on rit de ces choses avec nos amis, enfin pas forcément à ce point là, ... mais on peut accepter d'en rire au ciné.

après, il y a le cas Kurt Russel. il a veilli, et il me rappelle mon ancien boss. qui m'avait laissé un très mauvais souvenir, donc, si déjà en soi, la fin du film est jouissive pour une fille, quoique le coup de pied final version manga est parfaitement gratuit et sert à rien, m'enfin j'imagine que c'est pour le fun, mais bon, dans plus non plus quoi... jouissif donc, dans la mesure où ça l'est forcément toujours quand on voit le sale type du début se faire démolir par les filles précisément qu'il avait cherché à tuer... non vraiment, c'est jouissif, et tellement énorme par moment, il y a un réel comique de situation, d'outrance... et puis ça fait du bien de voir un film purement bestial parfois, c'est vrai, ça repose, pas besoin de se prendre la tête, on apprécie, ou pas, ça fait appel aux sentiments primaires, et c'est cathartique pour ça...

et on peut rire sans adhérer, enfin, je suis pas forcément pour tuer juste comme ça, allez, soyons fous, le gars qui aura essayé de me tuer parce que je considère que ce n'est pas à moi qu'il appartient de décider de cela. et de plus je suis profondément opposée à la peine de mort. mais bon, tout comme les romans à l'époque, prenons Emma Bovary tiens, on lui a quand même fait un procès parce que ça choquait les moeurs, ça allait détourner les gentilles et un peu stupides épouses du droit chemin... de qui se moque-t-on ? boulevard de la mort n'est pas une apologie de la loi du talion, mais ça fait tout de même bien plaisir parfois de la fantasmer...

et le cinéma pour moi, c'est ça, rien que ça. ce n'est pas un substitut à ma vie, ce n'est pas une vraie passion, c'est juste une fenêtre ouverte sur autre chose, tout comme j'ouvrirais un roman. et je suis capable de lire de vrais déchets aussi en romans et d'y prendre du plaisir. pareil pour les films. surtout avec une aussi bonne BO.

Jaccottet, disait de la poésie que c'est "une porte ouverte ou entr’ouverte, quelquefois trop vite refermée, sur plus de réalité". pour moi, le cinéma, c'est tout le contraire, pas de réalité à y chercher. enfin si, on peut ergotter là-dessus, et même bien, mais voilà, pour moi, c'est purement de la fiction, c'est une fenêtre ouverte un autre monde, un monde où, comme dans les contes de fées, on peut s'identifer à un personnage, un monde codé, un véritable ailleurs, et c'est tout ce dont j'ai besoin...

alors après que ce soit crédible, vraisemblable, énorme ou non à la fin, ou pire que ce soit fidèle ou non à la source dont c'est tiré m'est complètement égal (et là, c'est crucial pour moi de faire la différence, le ciné est une oeuvre d'art à part entière, indépendante, on ne saute pas au plafond quand Racine change des choses au mythe d'Andromaque ou que sais-je, alors pas la peine de le faire quand Troie n'est pas fidèle à l'Iliade... franchement, qui pensait qu'ils feraient l'effort, ce n'est même pas le but, là ce serait grave, mais c'était loin d'être le cas, ça se voulait un blockbuster, ça l'a été... en ce sens, il est réussi...et en attendre autre chose, c'est d'abord s'exposer à être déçu, ensuite faire un contresens de base).

et de toute façon, comment pourrais-je prendre Tarentino au sérieux, quand dans un même mouvement, il nourrit à la fois les instincts mâles les plus primaires, avec les plans serrés sur les fesses de ses actrices, avec la lap dance de Rosario Dawson, et de l'autre côté, les filles qui font leur fête à un gars ? c'est le brouillage des genres, y'a pas de sens à chercher, je sais même pas s'il fait autre chose que se faire plaisir en fait, et, derrière lui, au spectateur qui a envie de jouer le jeu. le problème, c'est que c'est vraiment une question de jour.... ce qui m'a fait rire aux larmes aujourd'hui, n'aurait peut être eu qu'un haussement de sourcils snob et exaspéré demain... heureusement que c'était le jour du coup... :-)


lundi 4 juin 2007

Gary Snyder - traduction

de quoi vous mettre sous la dent avant que je n'ai de nouveau le temps de faire de vrais articles. il s'agit d'une des traductions sur lesquelles je travaille, un peu à la va-vite celle-ci parce qu'elle n'est pas ma priorité, mais je l'aime bien quand même. vos commentaires, autant sur le poème que sa traduction sont les bienvenus. et ce d'autant plus que j'ai un creux de découragement vis-à-vis de ce blog sur le mode à quoi bon, donc ça serait pas mal. :-)

Four Poems for Robin by Gary Snyder

Swashing It Out Once in Suislaw Forest




I slept under rhododendron
All night    blossoms fell
Shivering on          a sheet of cardboard
Feet stuck   in my pack
Hands deep    in my pockets
Barely  able    to   sleep.
I remembered    when we were in school
Sleeping together   in a big warm bed
We were     the youngest lovers
When we broke up     we were still nineteen
Now our   friends are married
You teach  school back east
I dont mind     living this way
Green hills   the long blue beach
But sometimes        sleeping in the open
I think back    when I had you.
 
      A Spring Night in Shokoku-ji
 
Eight years ago this May
We walked under cherry blossoms
At night in an orchard in Oregon.
All that I wanted then
Is forgotten now, but you.
Here in the night
In a garden of the old capital
I feel the trembling ghost of Yugao
I remember your cool body
Naked under a summer cotton dress.
 
    An Autumn Morning in Shokoku-ji
 
Last night watching the Pleiades,
Breath smoking in the moonlight,
Bitter memory like vomit
Choked my throat.
I unrolled a sleeping bag
On mats on the porch
Under thick autumn stars.
In dream you appeared
(Three times in nine years)
Wild, cold, and accusing.
I woke shamed and angry:
The pointless wars of the heart.
Almost dawn. Venus and Jupiter.
The first time I have
Ever seen them close.
 
           December at Yase
 
You said, that October, 
In the tall dry grass by the orchard 
When you chose to be free, 
"Again someday, maybe ten years."
 
After college I saw you
One time. You were strange.
And I was obsessed with a plan.
 
Now ten years and more have 
Gone by: I've always known
         where you were-- 
I might have gone to you
Hoping to win your love back.
You still are single.
 
I didn't.
I thought I must make it alone. I
Have done that.
 
Only in dream, like this dawn,
Does the grave, awed intensity
Of our young love
Return to my mind, to my flesh.
 
We had what the others
All crave and seek for;
We left it behind at nineteen.
 
I feel ancient, as though I had 
Lived many lives.
And may never now know
If I am a fool
Or have done what my 
        karma demands.



From The Back Country, by Gary Snyder. Published by New Directions, copyright © 1968.
Reprinted with permission.

Quatre poèmes pour Robin

Le faire sortir une bonne fois dans la Forêt de Suislaw

J’ai dormi sous le rhododendron

Toute la nuit les fleurs sont tombées

Frissonant sur une feuille de carton

Les pieds recroquevillés dans mon paquet

Les mains au fond de mes poches

A peine capable de parler

Je me souvins quand nous étions à l’école

On dormait dans un grand lit chaud

On était les plus jeunes amoureux

Quand on se sépara on avait encore dix-neuf ans

Maintenant nos amis sont mariés

Tu enseignes à la primaire loin dans lest

Ça m’est égal de vivre ainsi

Les collines vertes la longue plage bleue

Mais parfois à dormir à la belle étoile

Je repense à quand je t’avais.

Une nuit de printemps à Shokoku-ji

Il y a huit ans ce mois de mai

Nous marrions sous les cerisiers en fleurs

La nuit dans un verger de l’Oregon.

Tout ce que je voulais alors

Je l’ai oublié aujourd’hui, sauf toi.

Ici dans la nuit

Dans un jardin de la vieille capitale

Je sens le fantôme tremblant de Yugao

Je me souviens de ton corps tiède

Nu sous une robe d’été en coton.

Un matin d’automne à Shokoku-ji

La nuit dernière en regardant les Pléidaes,

En exhalant de la fumée au clair de lune

D’amers souvenirs comme des vomissures

Me prirent à la gorge.

Je déroulai un sac de couchage

Sur des tapis sur le porche

Sous les épaisses étoiles automnales.

Je rêvai que tu apparaissais

(trois fois en neuf ans)

Furieuse, froide, et accusatrice.

Je me réveillais honteux et en colère :

Les guerres vaines du cœur.

Presque l’aube. Vénus et Jupiter.

La première fois que je les ai

Même jamais vu de près.

Décembre à Yase.

Tu dis, ce mois d’octobre ;

Dans l’herbe sèche et haute près du verger

Quand tu fis le choix d’être libre

« à nouveau un jour, peut-être dans dix ans ».

Après l’université je t’ai vu

Une fois. Tu étais étrange.

Et j’étais obsédé par un plan.

Maintenant dix ans et plus ont

Passé : j’ai toujours su

Où tu étais.

J’aurais pu aller vers toi

Espérant reconquérir ton amour

Tu es toujours célibataire.

Je ne l’ai pas fait

J’ai pensé devoir m’en sortir seul. J’ai

Fait cela.

Rien qu’en rêve comme ce matin,

Me reviens l’intensité grave et angoissée

De notre jeune amour,

A l’esprit, au corps.

Nous eûmes ce que les autres

Tous recherchent et crèvent d’avoir.

Nous l’avons laissé derrière nous à dix-neuf ans.

Je me sens ancien, comme si j’avais

Vécu de nombreuses vies.

Et puisse ne jamais savoir

Si je suis un fou

Ou si j’ai fait

Ce qu’exige mon karma.