mercredi 25 avril 2007

Lutetia

C'est le dernier (il me semble) roman de Pierre Assouline, qui traînait sur mes étagères depuis quelques mois, un an peut-être, prenait la poussière, déménageait avec moi sans que je ne trouve jamais le courage de l'ouvrir. J'avais peur d'être déçue, je suis toujours exigeante avec les livres traitant de la période de la Seconde Guerre mondiale. Et c'est un sujet difficile et lourd, il faut être bien disposée à le lire. Ce que je n'étais pas. Puis je terminai récemment l'excellent Vienne la nuit de Naguib Mahfouz. Je me suis dis que j'étais prête pour une autre lecture exigeante en français. Par choix pour une fois. D'habitude, depuis longtemps maintenant, librement, je le fais en anglais, et non plus dans ma langue.

J'ouvrais donc Lutetia. Au départ, pas grand chose, cette focalisation zéro omniprésente, cette voix qui parle de son travail (responsable de la sécurité au Lutetia, le plus grand hôtel de la Rive gauche) , s'examine sans cesse, me rappelle un peu les Mémoires de Saint-Simon pour l'exactitude de ses portraits, et la façon de toujours relever le petit détail marquant. On avance, on glisse comme cela. Le livre ne me plaît pas trop. Pour autant je le lis abondamment, je ne le lâche pas.



Arrive l'occupation allemande. Ca devient déjà plus intéressant. Et surtout, il y a le déchirement de ce personnage, il est alsacien, et il aime, vraiment, viscéralement, l'allemand, la langue de Goethe et de Novalis, la magnifique culture, Hitler, il n'y croyait pas trop, il pensait que les Allemands savaient ce qu'ils faisaient. Tout le monde a un peu été pris de cours. Alors il est un peu déchiré, et bien vite, il fait la différence, son allemand n'est pas cet allemand qui a pris ses quartiers au Lutetia. Mais son allemand semble perdu.

Et tout d'un coup, on saute en 44, on se retrouve à la Libération, et là, là dans les quelques cent dernières pages ce roman devient bouleversant. Excellent, réellement, il déploie ses ailes en un sens et révèle toute son envergure, je l'avais sous-estimé, presque lu d'une traite du coup pour la fin. La fin, qu'est-ce que c'est ? Mais c'est quand on rapatrie les déportés, le Lutetia est l'un des principaux endroits où ils arrivent, où on rétablit leur identité, où on les lave, les désinfecte, les soigne, où ils redécouvrent la nourriture, les lits, les gens, la gentillesse, l'humanité. Le narrateur est très bon, il est vraiment très bon sur toute la fin. Non pas qu'il ne l'ait pas été au début, non, bien au contraire, c'est ce qui rend la fin possible, qui permet de la savourer. Mais vraiment, je ne m'attendais pas à cela, pas à aimer tant ce livre, même si j'en appréciais l'auteur pour le reste de son travail.

Lutetia est plus qu'excellent.
Dans la rubrique à voir, le lien vers son blog.

samedi 21 avril 2007

"le choc - poésie"


En ce moment, je travaille sur Pierre Reverdy, et en musant un peu dans ses écrits théoriques, j'ai retrouvé un de ces passages que j'aime beaucoup, que je garde toujours dans un coin de mon esprit. Ma rencontre - virtuelle - avec lui m'a permis de mettre des mots sur nombre de mes intuitions en poésie. Voyez-plutôt :

Et le poète écrit. Il écrit d’abord pour se révéler à lui-même, savoir de quoi il est capable, pour tenter l’ambitieuse aventure d’accéder peut-être un jour au domaine féerique dont les oeuvres qu’il aime lui ont donné l’insurmontable nostalgie. S’il est réellement marqué, il ne lui faut pas bien longtemps pour sentir et comprendre que ce qui importe c’est d’arriver à mettre au clair ce qu’il a de plus inconnu en lui, de plus secret, de plus caché, de plus difficile à déceler, d’unique. Et, qu’il ne se trompe pas de voie, il aboutira bientôt au plus simple. Car, si ce qui importe surtout, c’est ce qu’il peut avoir à dire pour exprimer sa personnalité la plus intime, ce qui importe autant, au moins autant, ce sera la façon de dire une chose très simple et très commune qui ira la porter au plus secret, au plus caché, au plus intime d’un autre et produira le choc. Car le choc poétique n’est pas de même nature que celui des idées qui nous apprennent et nous apportent du dehors quelque chose que nous ignorions ; il est une révélation d’une chose que nous portions obscurément en nous et pour laquelle il ne nous manquait que la meilleure expression pour nous la dire à nous-même. Cette expression parfaite donnée par le poète, nous l’adoptions, nous nous l’approprions, elle sera désormais l’expression de notre propre sentiment qui l’épouse.


J'aime vraiment beaucoup le paradoxe apparent entre la quête pour le poète de queque chose d'unique en lui, digne qu'il l'offre à son lecteur, et la découverte que c'est précisément ce qu'il a de plus simple, comme un condensé de son essence, qui sera la meilleure chose qu'il puisse offrir à celui-ci. En descendant dans ce qu'il a de plus intime, il touche également l'autre en ce qu'il a de plus intime. Ce qui permet de voir l'intimité comme un double mouvement : plongée en soi, main tendue vers l'autre, au même niveau de profondeur.

Et l'idée de grand cycle de la vie poétique est très belle aussi. Un jeune homme, une jeune femme aussi, adaptons à aujourd'hui, lit des textes, en est boulversée, émue, elle ne comprend pas que des choses qui l'accableraient, si elles lui arrivaient réellement, puisse lui procurer une telle jouissance esthétique. A titre de comparaison, regarder le plaisir malsain que l'on éprouve devant les films de combats asiatiques ou la violence est si chorégraphiée qu'elle en devient belle. C'est la même idée. Ce jeune est boulversé, changé à jamais, et que faire d'autre, quelle autre voie pour lui après, que de tenter de perpétuer pour d'autre cette émotion qui l'a rendu autre... Il écrit, il devient un grand poète, il fait naître d'autres vocations, la boucle est joliement bouclée...


Il y a quelques années, les études littéraires avaient une sous-discipline, qui s'appelaient les études d'influences, aujourd'hui, on parle d'intertextualité, le socle même de la littérature comparée dans laquelle j'évolue. L'intérêt en est une approche autre de la littérature. La comparaison entre des auteurs de pays différents, de langues différentes permet d'éclairer sous un jour nouveau les grands courants littéraires qui ont traversé l'histoire, d'apporter des réponses différentes aux questions de littérature générale. De voir que la vraie différence ne se situe pas à l'échelle de la nationalité, de la langue, de la culture ou je ne sais quoi, mais à l'échelle de l'individu.

C'est le paradoxe même de Reverdy, trouver ce qu'il y a d'unique en soi parce que c'est ce dont l'autre sera le plus proche. Il ne fait en soi que reformuler et réorganiser les notions de singulier, particulier et universel, en rappelant qu'il y a un degré où le singulier abolit les frontières et s'élève à l'universel. Mais ça, les philosophes le disent beaucoup mieux que moi...

mercredi 18 avril 2007

appartenir à la beat generation...

... c'est écrire comme ça...

I saw the best minds of my generation destroyed by
madness, starving hysterical naked,
dragging themselves through the negro streets at
dawn looking for an angryfix,
angelheaded hipsters burning for the ancient
heavenly connection to the starry dynamo in the
machinery of night,
who poverty and tatters and hollow-eyed and
high sat up smoking in the supernatural darkness
of cold-water flats floating across the tops of
cities contemplating jazz,
who bared their brains to Heaven under the El
and saw Mohammedan angels
staggering on tenement roofs illuminated,
who passed through universities with radiant cool
eyes hallucinating Arkan-
sas and Blake-light tragedy among the scholars of
war,
who were expelled from the academies for crazy
& publishing obscene odeson the windows of the skull,
who cowered in unshaven rooms in underwear, burning
their money in
wastebaskets and listening to the Terror through
the wall,
who got busted in their pubic beards returning
through Laredo with a belt
of marijuana for New York,
who ate fire in paint hotels or drank turpentine
in Paradise Alley, death, or
purgatoried their torsos night after night
with dreams, with drugs, with waking nightmares,
alcohol and cock and
endless balls, (...).

Haro à Ginsberg, The howl, pour cela.
Les poètes de la beat generation, c'est un souffle,
mais celui du neant, du manque, ils sont nés au début
des années 30, ont été élevés pendant la grande
dépression, ont grandi pendant la guerre. ils
n'attendent plus grand chose de quoi que ce soit.
ils sont résignés, pragmatiques, ils cherchent à
survivre, et à agrémenter la torpeur de ce quotidien
où toute foi, tout mysticisme a disparu, de quelque
paradis artificiels.
mais leur souffle est puissant, je trouve, leur
émotion crue, mise à nue, et j'ai beau être derrière
Bishop la plupart
du temps, les beat, tout de même, je les aime.

un petit dernier, un peu plus personnel, pour se faire
une idée :

December at Yase



You said, that October,

In the tall dry grass by the orchard

When you chose to be free,

"Again someday, maybe ten years."



After college I saw you

One time. You were strange.

And I was obsessed with a plan.



Now ten years and more have

Gone by: I've always known

where you were--

I might have gone to you

Hoping to win your love back.

You still are single.



I didn't.

I thought I must make it alone. I

Have done that.



Only in dream, like this dawn,

Does the grave, awed intensity

Of our young love

Return to my mind, to my flesh.



We had what the others

All crave and seek for;

We left it behind at nineteen.



I feel ancient, as though I had

Lived many lives.

And may never now know

If I am a fool

Or have done what my

karma demands.


c'est le dernier des "four poems for Robin" de Snyder.
il est de ces poèmes qu'on pourrait prendre pour...
comment dire... symbole.
Reverdy considère que la poésie est là
pour nommer ce qui échappe, trouver les mots
qu'on cherche depuis longtemps, jusqu'à se lire en
ceux-ci et sentir une affinité profonde, une
épiphanie...

dimanche 15 avril 2007

Parce que "Ségolène" n'a pas le monopole des énormités...


Il y a Sarkozy aussi...
Un article est très éclairant là-dessus : "Sarkozi ou l'art ed la confusion", d'Eric Fassin, sociologue, prof à l'ENS et chercheur à l'IRIS, dans le monde du 13 avril 2007.
je vous en mets quelques extraits :


"La réflexion de Nicolas Sarkozy "on naît pédophile", dans un échange avec Michel Onfray que publie Philosophie Magazine, fait scandale aujourd'hui. Le candidat à l'élection présidentielle prétend en effet expliquer par le déterminisme génétique aussi bien le suicide des jeunes que le cancer du fumeur.

D'ailleurs, pour lutter contre la délinquance dès l'école maternelle, ce ministre de l'intérieur s'autorisait déjà l'an dernier d'un rapport sulfureux de l'Inserm, condamné récemment par le Comité national d'éthique, sur "l'héritabilité (génétique) du trouble des conduites".

Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Aux Etats-Unis, La Courbe en cloche, best-seller pour la révolution conservatrice de Newt Gingrich en 1994, affirmait démontrer, en superposant quotient intellectuel, race, et gènes, que l'intelligence serait innée, et inégalement répartie selon la couleur de peau. Or, si l'ordre social repose sur l'ordre biologique, pourquoi s'entêter à vouloir le modifier ? On comprend le succès du déterminisme génétique chez les ennemis de l'Etat-providence. Les inégalités seraient fondées en nature : chacun est bien à sa place. (...)

Nicolas Sarkozy déclare d'abord : "Il n'y a pas d'un côté des individus dangereux et de l'autre des innocents." Et d'expliquer : "C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons tant besoin de la culture, de la civilisation." Puis, lorsque Michel Onfray lui répond que "ce sont les circonstances qui fabriquent l'homme", il se cabre et change de position : "Mais que faites-vous de nos choix, de la liberté de chacun ?"

Et comme le philosophe enfonce le clou du déterminisme sociologique, c'est finalement en réaction que le candidat s'approprie la génétique - au mépris des arguments qu'il vient d'avancer lui-même : "Je ne suis pas d'accord avec vous. J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie." Bref, en trois paragraphes, trois arguments différents : la culture, la liberté individuelle, et la nature. Une chose, une autre, et leur contraire. (...)

En réalité, l'incohérence est aussi une politique. C'est d'abord une question d'opportunisme intellectuel (...)

Ainsi, interpellé le 5 février 2007 à la télévision sur son refus d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe, Nicolas Sarkozy déclarait : "Je n'ai pas fait le choix de l'hétérosexualité, je suis né hétérosexuel." Pourquoi ce coming out, qu'on eût cru superflu ? C'est que le candidat, dont la position est dictée par la crainte de déplaire à son électorat conservateur, n'avait aucun argument à objecter aux revendications d'égalité - sinon, simple tautologie, qu'on "donne alors à la société une image de la famille qui n'est pas celle que je souhaite que l'on donne".

Aussi est-il réduit à invoquer, au principe d'une conviction forcément intime, sa nature hétérosexuelle. "Naître" (hétérosexuel, pédophile ou délinquant, mais aussi français ou étranger, riche ou pauvre, blanc ou pas), c'est le degré zéro du raisonnement, un "c'est ainsi" génétique, à défaut d'autres arguments.

Mais cette faiblesse intellectuelle est aussi une force rhétorique. Car à force de dire tout et l'inverse de tout, Nicolas Sarkozy parvient à son but : on ne sait plus où on en est. On rassure les parents (des jeunes suicidés), déclarés non responsables, et on stigmatise les parents irresponsables (des jeunes délinquants). On dénonce les violences (à la gare du Nord), et on justifie les violences (des marins qui incendient le Parlement de Bretagne). On s'affiche en défenseur des classes populaires, et on redistribue l'argent aux riches. On fait miroiter des régularisations, et on donne en spectacle des expulsions. On se pose en ami des minorités raciales, et l'on couvre les violences policières racistes. On invoque l'identité nationale et ses relents maurrassiens, pour la définir ensuite par l'égalité républicaine entre les sexes. (...)

L'incohérence se présente ainsi comme "parler vrai". Même Jean-Marie Le Pen semble déboussolé : réagissant aux propos de Nicolas Sarkozy sur la pédophilie, il estime que celui-ci "a dû se tromper, ce n'est pas possible".

Cette confusion politique est une politique de la confusion : désorienter la politique par un discours désordonné, c'est créer les conditions de l'avènement d'une droite de dérive, plutôt que de rupture. On l'a vu avec l'insécurité depuis 2001. La présidence de George W. Bush a démontré qu'on pouvait à loisir brandir l'épouvantail terroriste pour susciter la peur et prétendre y répondre ensuite. La leçon n'a pas été perdue pour Nicolas Sarkozy : attiser l'insécurité, du terrorisme aux violences urbaines, c'est faire le jeu de la politique sécuritaire. Il en va de même dans le discours.





l'homme, cet autre


Je viens de finir un livre aujourd'hui. Ca ne m'arrive pas si souvent que ça puisse ne pas être souligné - combien en ai-je abandonné avant la fin, volontairement ou non. Ce livre, qui a été capable de me tenir en haleine du début à la fin, c'est un livre que je n'ai pas choisi mais qu'une amie chère m'a donné à lire, et qui m'a prise, c'est l'excellent Dans ces bras-là, de Camille Laurens.

Elle en fait une véritable typologie, le père, le mari, le frère, le grand-père, l'amant, le fils, l'inconnu, le premier amour. Tous y passent, tous sont traités, analysés, déchiquetés à la pointe de son désir. Désir sexuel il est vrai, mais qui plonge ses racines dans le "et il la connu" biblique, qu'elle retourne.

Connaître l'autre, pour elle, c'est s'en approcher au plus près, même si elle sait que la distance ne sera jamais comblée, ne fût-ce que l'espace d'un instant.
Pourquoi ? parce que l'homme, c'est cet autre radical. La femme, elle connaît. Elle en est une. Mais l'homme, l'homme est si différent, il est pour elle une énigme perpétuelle, et elle a un appétit d'explorateur à son sujet, peut-être parce que derrière l'homme, elle pourra trouver qui elle est. Qui nous sommes.

Elle est profondément vivante. Je crois que c'est l'adjectif qui la définit le mieux. Elle ne cherche pas à percer le secret des relations humaines. Non, elle voit comment ça marche. L'homme même, elle sait ce que c'est. Pourquoi elle est attirée, encore et toujours, ça aussi elle le voit. Toujours ce besoin d'être vue par l'autre, parce qu'une identité ne se construit que contre quelque chose, l'identité, c'est un globe fermé qui se différencie des autres. Sa propre identité se dessine face à ces hommes.

Elle est la femme qui est à la fois purement féminine, dans son apparence, et masculine de caractère, car elle est dominatrice, affirmée et volontaire. Elle est capable de suivre un homme dans la rue juste parce qu'il a attiré son regard. Elle est capable de céder à la pression de l'inconnu qui l'a suivie et veut la connaître. Elle est une créature libre, l'idée même de l'esprit libertin qu'on inventés nos philosophes à partir du XVII° siècle : des esprits curieux de tout, allant vers la connaissance, vers les expériences, des gens sans a priori, animés d'un appétit de liberté et de savoir.

C'est un merveilleux moment que ce livre.


dimanche 8 avril 2007

comment détourner du Shakespeare...





Oh, pas le détourner au sens strict, mais donner une nouvelle perspective à l'une de ses citations. Démonstration. Quel vers de Shakespeare tout un chacun cite-t-il spontanément quand on l'interroge ?

All the world's a stage,
And all the men and women merely players

Citation archi-connue, et aimée, on en conviendra. Au point qu'on oublie parfois que c'est du bon vieux Shakespeare. Ou du moins la pièce dont elle vient - As you like it - comme il vous plaira. Consiédrons que le titre lui même est une incitation au jeu sur le texte de Bill.

Justement, cette citation trouve sa place dans une réplique de Jacques, un personnage secondaire, amoureux malheureux car sa belle est morte, et il ne parvient pas à se consoler. Ca le rend mélancolique, et par là, philosophe. La citation prend sa place dans une plus grande variation sur les âges de l'homme. Trois à l'époque d'Oedipe et du Sphinx, sept à celle de Shakespeare. Le chiffre sept est populaire à l'époque.

Mais on peut le lire d'une autre manière. Si on y regarde de plus près, on relève une petite étrangeté, la porte ouverte à notre analyse. Shakespeare dit bien "and all the men and women...". Et après, plus rien, toutes les illustrations des âges sont portées par des hommes. Evidemment, on peut le lire comme l'Homme. Ca en est le sens principal. Mais bon, on est au théâtre, on a une mise en abîme, ça vaut la peine d'y regarder à deux fois.



Il renvoie à la matérialité du théâtre tout d'abord. Il souligne ce qui se passe sous les yeux des spectateurs comme étant un spectacle de théâtre, qui n'est plus métaphore - image - détail de monde, mais métonymie - fragment d'une scène bien plus grande. Ca explique cette réflexion. Mais reste entier un autre problème, pourquoi parler des femmes là pour n'en plus parler après. C’est Shakespeare. Rien n'est gratuit...

On peut ainsi commencer par réfléchir au fait qu'on est dans une pièce où une femme se travestit en homme. Mieux, mettons d'emblée le schéma en entier : un homme (l'acteur), joue une femme (Rosalinde) qui joue un homme (Ganymède), jouant une femme (Rosalinde, son propre rôle, si on s'arrête à l'illusion théâtrale). On a un premier déplacement. La comédie - le théâtre que joue les hommes et les femmes sur la scène du monde, ce n'est pas tant celui des sept âges, que celui de l'identité elle-même... Qui sont-ils ? Hommes ? Femmes ? Les deux en même temps ?




L'idée, c'est si Rosalinde est une femme, et peut jouer un homme, et être prise pour telle, par les personnages de la pièce, et par nous dans une certaine mesure, et bien les qualités qu'on accole d'habitude aux hommes et aux femmes pour les différencier deviennent obsolètes, vu qu'elle peut aussi bien assumer les deux rôles. Il n'y a donc pas d'éternel féminin, ou plutôt si : l'éternel féminin, c'est la définition qu'on a des femmes, les clichés, lieux communs etc qu'on accumule dessus. C'est un ensemble de qualités sociales, - artificielles, un peu outrées (il faut toujours marqué le trait pour être vu), qu'on groupe, et sur lesquelles on colle l'étiquette (typiquement) féminin. La féminité - l'éternel féminin, c'est donc un pack. Et ici, apparemment, il est vendu avec le costume. Costume de femme - être - paraître une femme ; costume d'homme : être - paraître - un homme... Et oui, en un sens, ça peut être aussi simple que cela.

L'idée (sic), c'est une lecture existentialiste que je fais là de la pièce : c'est que le masculin - féminin n'est pas lié au sexe de l'individu. S'il peut se déguiser et être pris pour l'autre, c'est que la différenciation ne se fait pas là. Elle se fait au niveau de l'apparence. Et les apparences, avant tout, qu'est-ce ? Une mise en scène, un jeu, une construction - consciente ou non, le recours à certains codes... A la base, on peut donc dire que l'individu est libre de choisir le sexe auquel il veut socialement apparaître, et pour cela, il lui suffit de revêtir les insignes du sexe choisi. Revêtir les insignes implique une action, (agere en latin : jouer). Le jeu est donc dès ce niveau. A ce niveau.

Donc "all the men and women merely players " oui, en effet, on n'est que cela, on est des acteurs à la base, des acteurs nés, qui jouons avant tout notre propre rôle, et depuis tout petits. Parfois sans s'en rendre compte, parce que pour beaucoup de gens, l'appartenance à un sexe physique va nécessairement de pair avec son pendant social. Parfois en s'en rendant compte : quand les femmes veulent être plus féminines, quand les hommes veulent faire virils. Parfois en le construisant clairement, et là, on est du côté des travestis, pour le degré le plus construit, l'individu va chercher à faire coïncider ses actes - ce qu'il ressent - son apparence physique pour clairement coder le message de son apparence sexuelle. Enfin clairement. cela se veut clair, mais n'est pas accepté / respecté comme tel. L'autre degré, c'est celui de l'individu qui fait coïncider ses actes avec ce qu'il ressent mais ne cherche pas à encoder son apparence plus que cela, et là, on sera, pour faire bref et sans assez de nuances, du côté de l'homosexuel et du bisexuel. D'où l'ambiguïté - délicieuse - qu'on ressent souvent en présence de gens conscients du fait qu'il ne va pas de soi d'exister socialement en tant d'homme ou que femme.

L'homme est celui dont "l'existence précède l'essence", pas vrai ?



Le sphinx - deux Rosalinde en Ganymede, et Viola et Orsino, de Twelth night.

vendredi 6 avril 2007

Dilemme



Je discutais hier avec une amie proche sur l'avenir de ce blog. Elle me demanda "mais tu écris pour être lue ou tu écris pour écrire ?". Elle pensait sans doute que j'allais répondre pour écrire, car elle aime mon style. Mais, si tel était le cas, si ce n'était que cela, je tiendrais un journal intime - papier- et basta...

Ce qu'il y a, c'est que j'ai aussi envie de communiquer mes passions, de soulever un petit grain d'enthousiasme, de faire découvrir des choses, des petits détails, qui ont compté pour moi et dont je pense qu'ils peuvent apporter quelque chose aussi aux gens qui les découvrent.
Mais pour cela, il faut un minimum de retour. Dans mon grand rêve naïf, cela faisait débat, suscitait des réactions, portait à controverse. Ce n'est pas le cas. Et un débat où seule une opinion s'exprime, n'est pas un débat, mais un soliloque...

Mais une autre question se pose alors... mon blog n'est pas ce que j'en attends, mais je ne sais pas si j'ai envie de renoncer à ces articles, parce que j'aime les faire. Et je me dis toujours peut-être que quelqu'un les apprécie, peut-être qu'ils ont l'effet que j'espère, et que personne ne prend la peine de le dire tout simplement. Ou peut-être qu'un jour ils le feront pour quelqu'un...

Je suis naïve je sais, mais ça rend la vie tellement plus douce...

Et comme dit, il me reste le plaisir de les écrire..



.

mercredi 4 avril 2007

un anglais à paris


Certains livres sont bons pour la santé, ils font rire, ils mettent de bonne humeur... Ce sont des livres qui, sans être de la littérature de gare, font passer un bon moment quand on a besoin de se reposer intellectuellement. Parmi ces livres qu'on doit lire de temps en temps, on a les deux (chiffre que j'espère non exhaustif) ouvrages de Stephen Clarke : "a year in the merde" et "merde actually". Réservé à un public anglophone de bon niveau par contre, il est impératif de le lire en anglais et de le comprendre pour en apprécier toute la saveur. La fameuse ironie anglaise. Décoiffant. Et il faut accepter avant de commencer à le lire le ridicule possible d'éclater de rire toute seule dans le métro et ce genre de choses. Mais c'est justement dans "ce genre de choses" que réside son intérêt.


Ils racontent les aventures d'un jeune anglais, qui ne va jamais sans rappeler quelqu'un, qui arrive en France, à Paris, se confronte à nos habitudes subtiles, irrationnelles, illogiques, que même nous bien souvent ne supportons pas, et essaie d'y survivre. On y trouve des morceaux d'anthologie sur les cafés parisiens, sur les administrations, les crottes de chien, le système immobilier... on a tous vécu cela, mais pour nous, c'est normal, on vit dedans, on ne le remarque même plus. Et ça fait juste PLAISIR quand quelqu'un pointe le doigt dessus et plus encore, quand il en parle avec cet humour légèrement décalé, fondé sur l'ironie, l'hyperbole, la métaphore la plus invraisemblable qui puisse être... Non vraiment : ça vaut le coup !!!

Petit ps de fonctionnement... l'absence de commentaire me laisse craindre que vous ne faites que passer et que le blog ne vous intéresse pas. Est-ce le cas ?

dimanche 1 avril 2007

Diatribe d'un déçu de "Madame Royal"

Un petit article sur Ségolène Royal, du Monde du 17 mars, enfin lu, que je pense intéressant. Évidemment, il faut faire la part des choses, mais tout de même, ça pousse à réfléchir, à voir un peu plus loin que les apparences lisses (et trompeuses). Il a particulièrement retenu mon attention pour ce que Besson dit de l'utilisation que Royal fait du féminisme, je partage totalement son opinion. Encore une fois, ce n'est pas parce que c'est une femme qu'on devrait voter pour elle, par pitié, compassion, pour montrer qu'on est féministe et ouvert où je ne sais quel autre motif qui n'a rien à voir avec le politique. Dommage pour le PS qui lui avait peut-être envie d'en faire...

Voici des extraits de l’entretien entre le journaliste du Nouvel Observateur Claude Askolovitch et Eric Besson, ex-secrétaire national à l’économie du PS, qui paraît le 20 mars aux éditions Grasset sous le titre Qui connaît Madame Royal ? (166 pages, 12,90 euros).

« Eric Besson voterez-vous Ségolène Royal à l’élection présidentielle ?

Non. Je ne voterai pas pour Ségolène Royal. Ni au premier ni au second tour de l’élection. Sauf, évidemment, si elle était opposée à Jean-Marie Le Pen.

Il y a quelques semaines, vous faisiez encore campagne pour elle ?

Il y a quelques semaines, je n’étais pas encore libre. Et sans doute pas mûr dans ma tête. J’étais secrétaire national du Parti socialiste, chargé de l’économie. J’étais un camarade dirigeant, « dévoué et travailleur », qu’on envoyait au front des médias pour défendre la cohérence d’un programme qui s’élaborait au gré des inspirations de la candidate ou de son entourage. Je faisais mon travail et je masquais mes doutes. J’étais dans une histoire, dans un parti pris de fidélité à mon parti et à la candidate qui avait été choisie. (…)

C’est l’homme blessé qui parle ?

Non. Ce serait trop commode de s’en sortir comme cela. si je suis avec vous aujourd’hui, si j’ai décidé de faire ce livre, ce n’est pas par vengeance ou pour purger je ne sais quelle humiliation. Je le dis sans passion aucune, calmement, mais fermement : ce que construit Ségolène Royal dans cette campagne présidentielle est mensonger et dangereux, pour la gauche et pour la France. Elle prétend porter une rénovation démocratique ? En réalité elle construit un pouvoir personnel. Elle attise la méfiance envers les élus et la démocratie représentative. Elle joue de sa victimisation, elle instrumentalise le féminisme, les souffrances des femmes et celles des exclus, pour asseoir son pouvoir. Elle promeut une démocratie participative qui n’est qu’une mascarade. Elle fait croire aux citoyens qu’ils seront les inventeurs de son programme, les vrais héros de l’aventure ? Tout le monde sait que c’est faux. Seule sa propre gloire la motive. Elle use et abuse de démagogue. Elle prétend briser des tabous, mais elle ne fait qu’accompagner l’opinion dans ses pulsions majoritaires. Et quand elle rencontre une résistance, elle édulcore, se réfugie dans le flou, ne précise rien. Alors, tout est possible, tout peut arriver. Rien ne peut être débuté, discuté, argumenté, puisque rien n’est clair. A l’arrivée, c’est l’arbitraire, des décisions incompréhensibles, l’opinion flattée, distraite, amusée et des catastrophes économiques programmées…

Vous exagérez …

Non. C’est vous qui ne réalisez pas. En janvier dernier, Ségolène Royal avait décidé, d’une phrase, de rayer tout notre avenir énergétique. Ça c’était fait dans une discussion émouvante, au détour d’une lettre réponse qu’elle envoyait à Nicolas Hulot : une lettre qu’un conseiller avait rédigée et qu’elle avait signée, comme ça ! d’un coup, elle s’engageait à amener la part des énergies renouvelables à 50% - et non plus 20%, notre engagement initial, déjà très ambitieux. De fait, elle tuait le nucléaire, elle hypothéquait notre avenir industriel… et ce sans en avoir débattu, sans en avait discuté, sans avoir argumenté, ne serait-ce qu’une fois, avec des industriels, des élus ou des experts – ou même, tout simplement, à la télévision par exemple, devant les Français ! Non. C’était décidé comme ça, à la sauvette !

Elle ne dit plus cela…

Exact. Elle est revenue à la position initiale du PS – on l’a appris soudain dans son discours programme de Villepinte [le 11 février], décision royale tombée d’en haut ! Mais, avant, cela a duré des semaines ; des semaines de tractations internes, obscures, éreintantes, où j’ai eu l’impression d’évoluer dans les arcanes d’une cour d’Ancien Régime, entre favoris et conseillers ! On y reviendra, j’insiste. Un autre jour, elle a expliqué au peuple qu’il faudrait choisir entre un porte-avion nucléaire et le budget de l’éducation nationale ! Comme si on pouvait, décemment, mettre en balance, opposer la défense nationale et l’éducation… démagogie pure. Enterrement délibéré de toute notre culture de gouvernement. Et je ne vous parle pas, pas encore, de l’archaïsme qui sous-tend toute sa pensée : une détestation sourde de la modernité, de la science, de la raison et du progrès…

Vous auriez pu entendre…

Mais la fausseté de la démarche était elle – est telle, continuellement – qu’elle obère tout. Ses propres valeurs, elle ne les tient pas. Vous vous souvenez des centres fermés et de l’encadrement militaire pour les jeunes délinquants ? Ce tabou brisé dont on avant tant parlé au printemps dernier ? Pouvez-vous me dire où en est cette proposition aujourd'hui ? Aux dernières nouvelles, il s’agirait d’organiser des camps humanitaires pour jeunes délinquants en Afrique, encadrés par des soldats ou des gendarmes… Mais c’est une blague ? Le développement, je sais ce que c’est. L’Afrique, je connais ses besoins. Le tiers-monde n’est pas un terrain de heu pour petits Français à problèmes, qu’une politique rouée voudrait rééduquer de façon exotique. (…) Que des militaires viennent accompagner et appuyer le travail des éducateurs, cela ne me choque en rien. Mais toute une France faussement humaniste de la gauche é été heurté dans sa bonne conscience. Manque de chance, ces gens-là étaient précisément des partisans de Royal. Alors, elle a battu en retraite, émoussé sa doctrine, inventé quelque chose de poisseux et consensuel, donc de parfaitement indigne : et c’est cela, la politique autrement ?

Qu’est-ce qui vous a réveillé ?

Le hasard, ou la chance. On n’a pas toujours l’occasion de redevenir libre. Pour moi, c’est un événement fortuit qui en a entraîne un autre, puis un autre. Un agacement d’un autre moment, qui a provoqué des blessures puis une rupture. Et qui m’a ouvert les yeux… ça commence à Villepinte, où Ségolène Royal a présenté son programme. Les fameuses 100 propositions, que l’immense sagesse des débats participatifs avait inspirées… vaste blague évidemment, puisque tout s’est décidé entre Ségolène et ses conseillers, dans l’opacité la plus insupportable, à l’insu même des dirigeants du PS ! (…)

Racontez Villepinte

Quand j’entre dans la salle, François Hollande est en train de faire un numéro d’anthologie sur le droit possible et ses variantes : droit opposable au logement, aux crèches, aux maisons de retraire… Il se moque des propositions de Nicolas Sarkozy sur le fond, mais avec une verve comique épatante. C’est pour ces moments-là que j’ai aimé François Hollande… Le seul problème est que nous pourrions nous-mêmes, socialistes, être la cible de ses moqueries. Le droit opposable au logement, dont François est en train de se moquer, il est dans notre programme…

Hollande ne connaît pas son programme ?

Disons qu’il avait eu un trou de mémoire… ou, comme tous les grands acteurs, il n’avait pas voulu se priver d’une belle réplique…

Dont acte. Et ensuite ?

A midi, on se retrouve autour d’un buffet froid. Il y a quelques secrétaires nationaux, quelques artistes, les familles des nouveaux seigneurs – les écuyers de la candidate… Au milieu de ce brouhaha, Jean-Louis Bianco, le directeur de sa campagne, se lève, et égrène les propositions que va donner la candidate dans l’après-midi. Tout ça dans un joyeux désordre organisé. J’essaie de capter ce qu’elle va annoncer. Je m’aperçois que ça va charger la barque en termes de dépenses. Je comprends qu’il va falloir revoir notre chiffrage. Et je réalise, également, que François hollande, compagnon de la candidate et premier secrétaire du PS, découvre visiblement les propositions en même temps que moi !

Plus tard, dont le discours de Ségolène, je verrai que Bianco lui-même sera pris au dépourvu, quand sa candidate modifiera son texte, à l’inspiration du moment. Deux ou trois fois, je vais me tourner vers Jean-Louis pour lui faire une petit signe d’un air de dire : « ce n’est pas ce que tu m’as dit. » Il me fait un autre petit signe d’un air de dire : « oui, min vieux, ce sont les charmes du métiers. Je n’y suis pour rien ».

Je vous résume. Pouvoir personnel, affaiblissement des élus et des contre-pouvoirs, diabolisation morale de ceux qui s’opposent au bien… C’est quoi politiquement ? Ce n’est pas de la gauche…
Je sais. Dites « populisme », pour rester modéré. On est en France, pas en Amérique latine, même si certaines ressemblances sont troublantes…

Si elle l’emporte, elle devra gouverner. La raison l’emportera…

Si elle gagne, je plains son premier ministre. Il devra appliquer une politique imprécise, sous l’égide d’une présidente invitant au culte de la personnalité, tournant le dos à toute l’histoire de la gauche progressiste… Je ne sais pas où cela mènera. Je pense qu’on est sur une pente très dangereuse pour la France, si elle gagne.

Et si elle perd ?

Si elle perd, le PS qui aura abandonné ses principes et son identité pour une illusion, sera une nouvelle fois en crise majeure. J’en serai triste, au moins pour les militants, que j’aime et respecte, et pour tous ceux qui placent leurs espoirs dans le parti.
Mais je préfère voir le PS obligé d’opérer enfin sa mue et devenir un parti réformiste assumé, plutôt que de risquer l’embolie de mon pays ».