vendredi 10 août 2007

in my skin


Il y a quelques temps, j'ai cédé à mon démon familier et fait une razzia de livres anglophones dans ma librairie préférée - Gibert, allez, un peu de pub... je les aime quand même... parmi les livres que j'en ramenais, se trouve In my skin de Kate Holden.

c'est un livre assez particulier, assez marginal dirais-je, non pas tant par sa forme, que par son fond. il se veut profondément autobiographiques, l'auteur (vous me pardonnerez si je laisse le -e- - totalement ridicule à mon sens - du féminin en arrière) écrit à partir de carnets qu'elle a tenu pendant des années, à un rythme presque quotidien, autant que faire se peut vu la vie qu'elle a mené pendant environ huit ans.

Elle nous raconte comment enfant, elle voulait toujours appartenir, mais se sentait toujours déplacée, à la marge du groupe, vaguement exclue, comment, en grandissant, elle voulait s'intégrer, les autres fument des joints, ils trouvent que ce n'est pas pour moi, mais moi je veux être avec eux, je vais leur prouver que je peux le faire moi aussi. elle suit ses amis, elle suit son copain, et bientôt elle se retrouve à s'injecter de l'héroïne. d'abord de façon casuelle, de temps en temps, puis à un rythme régulier. son copain la quitte, ses parents le découvrent, elle veut s'arrêter, fait une semaine de cure de désintox, se dit que ça va aller, mais replonge. elle reste chez ses parents, se dit que ça va aller, mais continue, continue, et continue, jusqu'à ce que ses parents ne le supportent plus et lui demandent, si elle n'arrive pas à se contrôler, de quitter leur demeure.

Elle assume, elle le fait, à ce moment, elle a besoin de toujours plus de drogue, toujours plus d'argent, son petit job à la librairie ne lui suffit plus, ses études, son master, elle n'en a rien fait, elle ne peut pas, la drogue lui prend tout son temps, toute son énergie. elle perd son travail, il lui faut bien de l'argent cependant. alors elle descend dans la rue, se dit qu'elle peut le faire, que ce n'est pas si terrible. les clients se succèdent, elle gère, elle fait ce qu'on lui demande, et elle n'est pas chère, elle a trop besoin d'argent. puis elle a l'occasion d'entrer dans un bordel, c'est plus sûr... en attendant, elle gagne alors assez pour ses deux doses par jour, un micro loyer, et les doses de son nouveau copain qui vit à ses crochets. elle fait ainsi trois bordels, du plus minable, pour finir par le plus prestigieux. avant de finir, elle même, par vouloir sortir la tête de l'eau, à force de ne plus supporter son copain à entretenir, la routine de la drogue. elle devient clean, elle bosse pour mettre de l'argent, et finis par s'offrir un voyage qui lui donne la distance nécessaire pour rompre définitivement avec ses vieux démons.

ce livre est passionnant à plus d'un titre, plongée dans l'univers de la drogue, puis dans celui de la prostitution... soit... c'est une fenêtre facilement ouverte sur ce monde, il faut bien l'avouer, fascinant par ses dangers, son caractère extrême.

ce qui m'a profondément intéressée ici, c'est la lucidité constante, sidérante, avec laquelle elle décrit son expérience, sans complaisance, sans culpabilité non plus, pour ainsi dire, elle dit les choses telles qu'elles sont, je me droguais, j'en avais besoin, je n'aimais pas tant ça non plus, mais c'était ainsi. elle explore les racines psychologiques de son addiction, ce qui l'y pousse, ce qui la retient dans la drogue. et plus intéressant même, parce que le sujet me fascine, elle nous offre un tableau de la prostitution comme on en voit peu. elle parle de son travail avec une grande tendresse, de la détresse émotionnelle de certains de ses clients, de ce qu'elle considère comme une forme de conscience professionnelle, parce que - eh oui - elle met un point d'honneur à être une bonne pute, à ce que le client en ait pour son argent. j'ai trouvé cela très impressionnant, très fort, et également très juste.

on dit toujours "il n'y a pas de sot / sous (suivant l'école à laquelle on n'appartient) métier". mais la société bien pensante ne va pas élargir cela jusqu'aux putes. oui, ce sont elles les méchantes, il est évident qu'elles tirent les gars de leurs voitures de force, et s'il n'y avait plus de bordel, il n'y aurait plus de putes. regardez autour des gares, plus de bordels - plus de putes, non ? j'avoue que ce point là m'a toujours énervé. je n'irais pas jusqu'à dire que c'est un métier comme un autre, loin s'en faut. et en France, c'est une question difficile à penser parce qu'il n'existe plus en tant que tel, il est profondément hors la loi. mais je trouve bien, audacieux, mais bien, qu'elle montre qu'une une pute n'est pas une salope, mais quelqu'un qui essaie de gagner sa vie, de s'en sortir. ses collègues, ce sont des femmes qui essaient d'éduquer leurs enfants, qui, pour une raison ou pour une autre, ont besoin d'argent, et parfois, c'est plus facile de faire cela qu'autre chose. j'ai envie de demander, est-ce si condamnable... ? honnêtement ? n'y aura-t-il pas toujours des gars qui rechercheront ça, et des femmes qui s'en fichent assez pour accepter de vendre ce service. c'est le moment où surgit sur scène la morale - deus ex machina. mais ce genre de pièce est bien daté, peut-être nos jugements, eux aussi pourraient évoluer...

quitte à prendre un parti clair et anticonformiste, pour une fois, je dirais que non, ce n'est pas un crime horrible que d'en être réduite à se prostituer pour survivre, et il y a un certain courage à l'accepter, qui appelle une forme de respect plutôt qu'un haussement de sourcil méprisant, c'est si facile quand on a les moyens de faire autrement... et au demeurant, ce n'est que son corps, qu'une telle femme vend, pas son âme, elle est toujours un être humain, et pas un animal, ou mieux, une bête de sexe...