C'est paradoxal, et en même temps si logique... On peut passer ses journées à travailler sur la catharsis et en oublier que c'est quelque chose de très concret, que c'est plus qu'un de ses nombreux concepts qu'on passe son temps à manipuler en littérature. On peut en oublier que la littérture est fichée dans la vie, ancrée dedans, et qu'elle n'est pas que mots creux, complètement détachés de la réalité. Que la fiction est ce qui est le plus proche de la réalité...
Je travaille beaucoup en ce moment, et mon temps libre, le peu que je prends, soit je le passe à danser, soit à parler avec mes proches, soit à lire le journal... et j'en oublie l'essentiel, je suis une littéraire et je ne prends plus le temps de lire et d'aller au cinéma. De rester au contact de ces formes sur lesquels je travaille... ! Depuis un moment il y a un film que je dois voir, et pour une raison ou pour une autre, je retardais, je ne prenais pas le temps, c'est tellement dur de se dire de prendre du temps pour faire quelque chose d'aussi gratuit que regarder un film quand on a plein d'autres choses à faire qui elles, n'engagent pas que vous, ne sont pas juste que pour vous, et que donc vous faites nécessairement toujours passer avant ce qui est juste pour vous. Pour soi on prend rarement le temps. Et quand on est déprimé, moi en tout cas, j'ai encore moisn envie de faire quelque chose pour moi, encore plus envie de travailler pour pouvoir me retourner avec fierté sur ma journée le soir...
Néanmoins, aujourd'hui, j'ai commencé à regarder Narnia. Et bien c'est juste génial. C'était une très bonne idée de manger lentement, de juste regarder ce film, comme ça, sans rien faire d'autre, en acceptant de "gâcher" ce temps... Et ça m'a permis d'éprouver le caractère cathartique de la fiction, que j'avais complètement oublié. Évidemment, si je m'en étais souvenue, je me serai mise devant un livre ou un film bien avant... ! Ce qui me permet de replonger dans la base de la catharsis aristotélicienne, version G. Forestier... le principe de la tragédie grecque, envisagée comme spectacle, c'est de poser un public devant une histoire, qu'on lui raconte, mettant en scène des personnages dignes d'admiration, ni trop bons ni trop mauvais, auxquels il arrive un grand retournement de situation, passage d'un grand bonheur à un malheur extrême, d'une situation malheureuse à un grand bonheur (on oublie, mais ça marche aussi dans ce sens, la catharsis, c'est juste très rare...). Le principe, c'est que le spectateur, non pas nécessairement s'identifie, mais se reconnaît, reconnaît des choses à lui dans ce roi, dont il voit la vie, et compatit. Il est saisi de pitié devant son sort, d'effroi devant l'idée que le sort pourrait tout aussi bien le toucher. Il projette donc ses émotions en l'autre, et par cette projection, vit une purge des siennes. C'est très efficace, c'est ce qui fait pleurer devant Titanique..., et surtout ça fait du bien parce qu'on sort du spectacle comme neuf. On n'a pas oublié ses problèmes, non, mais ça va mieux, ils sont mis à distance car pendant un moment, on est sortis de nous même. Là où le 17° siècle se plante, c'est quand il pousse à l'extrême la règle de la vraisemblance, il faut que le temps de l'action dure le temps de la représentation, une seule pièce (chambre) sur scène, on doit vraiment avoir l'impression que cela se passe sous nos yeux. Sauf que, on verrait sous nos yeux Horace tuer sa soeur, chez Corneille, on serait probablement au choix en train de vomir ou évanouis.. Ou encore d'hurler, ça dépend des tempéraments. Ça, c'est l'apport de Forestier. Aristote avait très bien compris qu'on avait pas besoin de croire vraiment se dérouler sous nos yeux la mort d'Andromaque pour qu'on compatisse, qu'on se projette dans l'action, que la pièce nous fasse vivre autre chose... On est tout à fait capable de se représenter, de s'imaginer.
Cela me renvoie au propos de quelqu'un disant "ah moi j'aime pas les fictions, je préfère les histoires vraies, au moins ça m'apporte quelque chose dans ma vie". J'avais répondu ironiquement que sans doute était-ce parce que la jeune personne n'arrivait pas à concevoir le sens symbolique de la fiction... C'est ce qui est merveilleux dans la fiction, elle parle de nos vies, les films et les livres fantastiques parlent de nos vies, et de façon sans doute plus juste et plus efficace que certains partis pris réalistes. Parce qu'ils passent par le chemin de la parabole, du sens symbolique. Ils détournent notre attention pour mieux nous parler de ce que l'on ne voit pas d'habitude et qu'on refuserait peut-être d'aborder si on y était confronté...(ce n'est pas pour rien si les Anciens élaboraient des mythes pour répondre à leurs questions... !!!) La fiction est rusée, elle prend des chemins détournés, et au final, elle nous en a fait comprendre, l'air de pas y toucher, bien plus sur nos problèmes, sur notre vie, nous aura purgé en plus, qu'un reportage d'une immédiateté peut-être un peu lourde. J'avoue que j'ai un parti pris contre les reportages par contre... je n'aime pas leur exigence d'adhésion (non pas à leur propos, mais ils requièrent toute notre attention et ça m'énerve parce que je suis un être dissipé qui se concentre très difficilement... donc pour moi, c'est un genre trop contraignant).
La leçon de Narnia, aujourd'hui, du début, je précise, je n'en suis qu'à la rencontre avec le couple de castors... c'est précisément la question de la foi en une histoire... de l'acceptation, on accepte de jouer le jeu pour découvrir un univers autre, on lâche un peu de lest avec le concret pour aller un peu plus dans le symbole, parce que déjà, c'est très fertile pour l'esprit, et j'ai toujours tendance à considérer que celui travaille bien plus efficacement en rideau, quand on fait autre chose en même temps, que directement appliqué à la chose. Exemple, mes plans d'analyse, ce n'est pas en contemplant ma feuille blanche que je les fais mais en dessinant, années après années toujours la même chose, une rose des vents. En cherchant le très parfait, l'angle juste, je n'ai pas le trac pour trouver une solution, l'argument parfait, et mon esprit peut tranquillement se colleter au problème sans la pression... Regarder un film, c'est la même chose, on distrait l'attention pour que l'esprit travaille mieux derrière, et après, on est tout content, car outre avoir passer un bon moment, on est aussi plus riche en sortant...
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