samedi 20 septembre 2008

avant première de "si sos brujo"...

Il y a des choses qui ne s’apprennent pas sur le seuil, mais au cœur de l’orchestre, dit en substance Wynton Marsalis , l’un des musiciens invités d’une histoire du tango.

C’est la raison d’être de l’Orquesta Escuela de Tango Emilio Balcarce, sujet du documentaire de Caroline Neal. Le projet naît de la rencontre entre la réalisatrice et Ignacio Varchausky, l’homme à l’initiative de cet orchestre. Ignacio a un rêve, une obsession, reconstituer un orchestre comme d’antan, pour renouer avec une façon de jouer, un toucher qui a disparu avec la fin des grands orchestres. Les maîtres ont pris leur retraite, leur savoir ne se transmet plus, c’est toute une tradition qui risque de disparaître. Outre son rêve, Ignacio est également poussé par la conscience aigue de la perte possible, et par un désir altruiste de permettre aux musiciens de la jeune génération d’accéder à une façon de jouer qui ne se maîtrise pas juste en écoutant les disques. Il faut un maître. Et au cœur de ce projet, Emilio Balcarce, monstre sacré du tango. Le film documente au moins autant la formation de l’orchestre, qu’il rend hommage à cette figure tutélaire qui fait l’unanimité aussi bien auprès des maîtres, que des jeunes musiciens.

Le film suit une trame chronologique, sans fausses frayeurs, sans anticipation. Caroline, souvent caméra à l’épaule, est l’ombre d’Ignacio, un œil qui le suit partout, l’accompagne dans une discrétion impressionnante. Elle ne prend pas parti, si ce n’est par son souhait même de faire le film, et jamais les personnes ne s’adressent à elle, ne reconnaissent réellement sa présence, ce qui crée un grand sentiment d’intimité pour le spectateur, et lui permet de s’impliquer bien plus en le laissant libre de ses émotions. Plutôt que d’assener un sentimentalisme de mauvais ton à l’entreprise presque philanthropique d’Ignacio, le film manifeste une réserve qui ne peut que séduire. Ignacio lui-même, colonne vertébrale de l’orchestre, celui par qui tout est devenu possible, est discret au point d’en être absent. Au fond, on ne sait même pas vraiment s’il joue dans l’orchestre, on le voit à peine avec les musiciens – or c’était son rêve, il pourrait en vouloir un peu pour lui ; tout ce qu’il veut c’est permettre le passage, la transmission, la rencontre avec une sobriété d’émotions incroyables – ce n’est pas la question au fond.



La subtilité est donc le maître mot de ce documentaire, éloge, mais qui pense convaincre davantage par la qualité de son sujet que par ses ronds de jambes, et plaidoyer pour la musique. Il s’agit de retrouver les arrangements originaux, les grands maîtres, mais pas parce qu’ils sont meilleurs, parce que c’est quelque chose qui se perd, parce que c’est une façon de jouer – en soit, un instrument – qui disparaît. Ramiro Gallo, l’un des violonistes de l’orchestre compose lui-même et l’orchestre joue sa musique. Il ne s’agit pas tant de faire revivre un vieux Buenos Aires mythifié que d’offrir à la musique, et surtout aux musiciens, toutes les opportunités possibles, une liberté de choix et de moyens incroyables pour s’exprimer dans leur art. Et les voir répéter, étudier, communiquer entre eux, un maître mot du documentaire, ne peut qu’enlever l’assentiment et susciter l’admiration du spectateur.

Une histoire du tango est un excellent documentaire, les dix premières minutes de film sont maladroites, trop de plans serrés, de tournage caméra à l’épaule, mais le sujet est excellent, et la réalisation devient vite très bonne. Le film est extrêmement riche en plus, on se passionne devant les difficultés pour créer et faire fonctionner l’orchestre, on vibre à l’unisson avec les cordes des violons, sans trémolos maladroits, on voit un rêve devenir réalité, rêve matérialisé de façon très poétique par diverses scènes très épurées qui scandent le film, tournées à la Milonga Ideal – nom bien choisi pour l’occasion – un haut lieu de la danse et de la musique à Buenos Aires. On y voit au fur et à mesure le rêve devenir réalité, et l’orchestre se constituer.

Et le rêve est bien réel, l’orchestre existe maintenant depuis huit ans, il joue depuis des années à Chaillot, comme lors du grand festival de tango de juin dernier, et a un fort succès. Si Emilio Balcarce, 89 ans maintenant, ne joue plus qu’en tant que maître invité, on peut reconnaître sur scène certains des musiciens du documentaire, et l’orchestre survit à son maître dont il a prit le nom, sous la direction cette fois d’un autre maître, Nestor Marconi.

Le film, en complète résonance avec son sujet, peut donc être considéré comme un modèle de générosité et d’altruisme en son genre qui ne peut que conquérir son spectateur.



Retrouvez l'Orquesta Escuela sur le post "la bonne étoile" de juin, chronique du festival de Chaillot. http://lenora-latourdivoire.blogspot.com/2008/06/la-bonne-toile.html



Retrouvez d'autres critiques de films, de livres, de musique sur l'excellent culturopoing qui m'a permis d'assister à cette avant-première.
http://culturopoing.com/

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