Voici des extraits de l’entretien entre le journaliste du Nouvel Observateur Claude Askolovitch et Eric Besson, ex-secrétaire national à l’économie du PS, qui paraît le 20 mars aux éditions Grasset sous le titre Qui connaît Madame Royal ? (166 pages, 12,90 euros).
« Eric Besson voterez-vous Ségolène Royal à l’élection présidentielle ?
Non. Je ne voterai pas pour Ségolène Royal. Ni au premier ni au second tour de l’élection. Sauf, évidemment, si elle était opposée à Jean-Marie Le Pen.
Il y a quelques semaines, vous faisiez encore campagne pour elle ?
Il y a quelques semaines, je n’étais pas encore libre. Et sans doute pas mûr dans ma tête. J’étais secrétaire national du Parti socialiste, chargé de l’économie. J’étais un camarade dirigeant, « dévoué et travailleur », qu’on envoyait au front des médias pour défendre la cohérence d’un programme qui s’élaborait au gré des inspirations de la candidate ou de son entourage. Je faisais mon travail et je masquais mes doutes. J’étais dans une histoire, dans un parti pris de fidélité à mon parti et à la candidate qui avait été choisie. (…)
C’est l’homme blessé qui parle ?
Non. Ce serait trop commode de s’en sortir comme cela. si je suis avec vous aujourd’hui, si j’ai décidé de faire ce livre, ce n’est pas par vengeance ou pour purger je ne sais quelle humiliation. Je le dis sans passion aucune, calmement, mais fermement : ce que construit Ségolène Royal dans cette campagne présidentielle est mensonger et dangereux, pour la gauche et pour la France. Elle prétend porter une rénovation démocratique ? En réalité elle construit un pouvoir personnel. Elle attise la méfiance envers les élus et la démocratie représentative. Elle joue de sa victimisation, elle instrumentalise le féminisme, les souffrances des femmes et celles des exclus, pour asseoir son pouvoir. Elle promeut une démocratie participative qui n’est qu’une mascarade. Elle fait croire aux citoyens qu’ils seront les inventeurs de son programme, les vrais héros de l’aventure ? Tout le monde sait que c’est faux. Seule sa propre gloire la motive. Elle use et abuse de démagogue. Elle prétend briser des tabous, mais elle ne fait qu’accompagner l’opinion dans ses pulsions majoritaires. Et quand elle rencontre une résistance, elle édulcore, se réfugie dans le flou, ne précise rien. Alors, tout est possible, tout peut arriver. Rien ne peut être débuté, discuté, argumenté, puisque rien n’est clair. A l’arrivée, c’est l’arbitraire, des décisions incompréhensibles, l’opinion flattée, distraite, amusée et des catastrophes économiques programmées…
Vous exagérez …
Non. C’est vous qui ne réalisez pas. En janvier dernier, Ségolène Royal avait décidé, d’une phrase, de rayer tout notre avenir énergétique. Ça c’était fait dans une discussion émouvante, au détour d’une lettre réponse qu’elle envoyait à Nicolas Hulot : une lettre qu’un conseiller avait rédigée et qu’elle avait signée, comme ça ! d’un coup, elle s’engageait à amener la part des énergies renouvelables à 50% - et non plus 20%, notre engagement initial, déjà très ambitieux. De fait, elle tuait le nucléaire, elle hypothéquait notre avenir industriel… et ce sans en avoir débattu, sans en avait discuté, sans avoir argumenté, ne serait-ce qu’une fois, avec des industriels, des élus ou des experts – ou même, tout simplement, à la télévision par exemple, devant les Français ! Non. C’était décidé comme ça, à la sauvette !
Elle ne dit plus cela…
Exact. Elle est revenue à la position initiale du PS – on l’a appris soudain dans son discours programme de Villepinte [le 11 février], décision royale tombée d’en haut ! Mais, avant, cela a duré des semaines ; des semaines de tractations internes, obscures, éreintantes, où j’ai eu l’impression d’évoluer dans les arcanes d’une cour d’Ancien Régime, entre favoris et conseillers ! On y reviendra, j’insiste. Un autre jour, elle a expliqué au peuple qu’il faudrait choisir entre un porte-avion nucléaire et le budget de l’éducation nationale ! Comme si on pouvait, décemment, mettre en balance, opposer la défense nationale et l’éducation… démagogie pure. Enterrement délibéré de toute notre culture de gouvernement. Et je ne vous parle pas, pas encore, de l’archaïsme qui sous-tend toute sa pensée : une détestation sourde de la modernité, de la science, de la raison et du progrès…
Vous auriez pu entendre…
Mais la fausseté de la démarche était elle – est telle, continuellement – qu’elle obère tout. Ses propres valeurs, elle ne les tient pas. Vous vous souvenez des centres fermés et de l’encadrement militaire pour les jeunes délinquants ? Ce tabou brisé dont on avant tant parlé au printemps dernier ? Pouvez-vous me dire où en est cette proposition aujourd'hui ? Aux dernières nouvelles, il s’agirait d’organiser des camps humanitaires pour jeunes délinquants en Afrique, encadrés par des soldats ou des gendarmes… Mais c’est une blague ? Le développement, je sais ce que c’est. L’Afrique, je connais ses besoins. Le tiers-monde n’est pas un terrain de heu pour petits Français à problèmes, qu’une politique rouée voudrait rééduquer de façon exotique. (…) Que des militaires viennent accompagner et appuyer le travail des éducateurs, cela ne me choque en rien. Mais toute une France faussement humaniste de la gauche é été heurté dans sa bonne conscience. Manque de chance, ces gens-là étaient précisément des partisans de Royal. Alors, elle a battu en retraite, émoussé sa doctrine, inventé quelque chose de poisseux et consensuel, donc de parfaitement indigne : et c’est cela, la politique autrement ?
Qu’est-ce qui vous a réveillé ?
Le hasard, ou la chance. On n’a pas toujours l’occasion de redevenir libre. Pour moi, c’est un événement fortuit qui en a entraîne un autre, puis un autre. Un agacement d’un autre moment, qui a provoqué des blessures puis une rupture. Et qui m’a ouvert les yeux… ça commence à Villepinte, où Ségolène Royal a présenté son programme. Les fameuses 100 propositions, que l’immense sagesse des débats participatifs avait inspirées… vaste blague évidemment, puisque tout s’est décidé entre Ségolène et ses conseillers, dans l’opacité la plus insupportable, à l’insu même des dirigeants du PS ! (…)
Racontez Villepinte…
Quand j’entre dans la salle, François Hollande est en train de faire un numéro d’anthologie sur le droit possible et ses variantes : droit opposable au logement, aux crèches, aux maisons de retraire… Il se moque des propositions de Nicolas Sarkozy sur le fond, mais avec une verve comique épatante. C’est pour ces moments-là que j’ai aimé François Hollande… Le seul problème est que nous pourrions nous-mêmes, socialistes, être la cible de ses moqueries. Le droit opposable au logement, dont François est en train de se moquer, il est dans notre programme…
Hollande ne connaît pas son programme ?
Disons qu’il avait eu un trou de mémoire… ou, comme tous les grands acteurs, il n’avait pas voulu se priver d’une belle réplique…
Dont acte. Et ensuite ?
A midi, on se retrouve autour d’un buffet froid. Il y a quelques secrétaires nationaux, quelques artistes, les familles des nouveaux seigneurs – les écuyers de la candidate… Au milieu de ce brouhaha, Jean-Louis Bianco, le directeur de sa campagne, se lève, et égrène les propositions que va donner la candidate dans l’après-midi. Tout ça dans un joyeux désordre organisé. J’essaie de capter ce qu’elle va annoncer. Je m’aperçois que ça va charger la barque en termes de dépenses. Je comprends qu’il va falloir revoir notre chiffrage. Et je réalise, également, que François hollande, compagnon de la candidate et premier secrétaire du PS, découvre visiblement les propositions en même temps que moi !
Plus tard, dont le discours de Ségolène, je verrai que Bianco lui-même sera pris au dépourvu, quand sa candidate modifiera son texte, à l’inspiration du moment. Deux ou trois fois, je vais me tourner vers Jean-Louis pour lui faire une petit signe d’un air de dire : « ce n’est pas ce que tu m’as dit. » Il me fait un autre petit signe d’un air de dire : « oui, min vieux, ce sont les charmes du métiers. Je n’y suis pour rien ».
Je vous résume. Pouvoir personnel, affaiblissement des élus et des contre-pouvoirs, diabolisation morale de ceux qui s’opposent au bien… C’est quoi politiquement ? Ce n’est pas de la gauche…
Je sais. Dites « populisme », pour rester modéré. On est en France, pas en Amérique latine, même si certaines ressemblances sont troublantes…
Si elle l’emporte, elle devra gouverner. La raison l’emportera…
Si elle gagne, je plains son premier ministre. Il devra appliquer une politique imprécise, sous l’égide d’une présidente invitant au culte de la personnalité, tournant le dos à toute l’histoire de la gauche progressiste… Je ne sais pas où cela mènera. Je pense qu’on est sur une pente très dangereuse pour la France, si elle gagne.
Et si elle perd ?
Si elle perd, le PS qui aura abandonné ses principes et son identité pour une illusion, sera une nouvelle fois en crise majeure. J’en serai triste, au moins pour les militants, que j’aime et respecte, et pour tous ceux qui placent leurs espoirs dans le parti.
Mais je préfère voir le PS obligé d’opérer enfin sa mue et devenir un parti réformiste assumé, plutôt que de risquer l’embolie de mon pays ».
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