mercredi 26 septembre 2007

territoires légitimes ?


Il y a eu une controverse, à la fin de l'été, autour de Tom est mort, le dernier roman de Marie Darrieussecq, opposant l'auteur et son éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, à Camille Laurens. Cette dernière a publié il y a quelques années un récit autobiographique, Philippe, sur la perte de son enfant mort à la naissance si je ne me trompe pas. Marie Darieussecq écrit, elle aussi, sur la mort d'un enfant, Tom, mais sous la forme du roman. Laurens, en découvrant le roman, s'est sentie profondément plagiée et a réagi.

Ce qui la choque, c'est tout d'abord que Darrieussecq parle du "thème" de l'enfant mort. Pour elle qui en a perdu un, ce n'est pas un thème mais une réalité profondément ancrée dans sa chair. On peut comprendre que cela la dérange. Ce qui la dérange davantage, c'est que ce thème soit développé en récit fictif, alors qu'elle en a fait un récit autobiographique. On serait tenté de lui répondre, comme l'éditeur de Tom est mort, qu'elle n'a pas l'exclusivité de la douleur, que ce n'est pas son territoire et qu'un romancier est libre de choisir son sujet. Il pense que Camille Laurens confond l'individuel et l'universel et veut faire de son individuel - universel une propriété privée. J'ai lu tout d'abord cet article, la tribune de Otchakovsky-Laurens dans le Monde des livres du 31 août. J'ai pensé en effet que Laurens réagissait peut-être parce que le sujet était très sensible, qu'elle c'était emportée en parlant de plagiat, et que ce qui la gênait, c'était de voir quelque chose d'aussi intime pour elle, rabaissé au rang de sujet littéraire en un sens. Je n'avais donc pas d'opinion pour donner tort ou raison à l'un ou à l'autre.
la semaine suivante Camille Laurens a répondu à son ancien éditeur par le même biais, et a indiqué où trouver le texte intégral qu'elle avait écrit pour dénoncer le livre de Darrieussecq, qui avait tant indigné leur éditeur :

http://www.leoscheer.com/spip.php?article675&var_recherche=camille%20laurens

Je suis allée lire le texte, ça a un peu fait changer mon point de vue. Je ne trouve pas particulièrement convaincantes les accusations de Laurens basée sur le style, la grammaire, le souffle de son texte, elle fait tout un développement sur le fait que l'écrivain a un univers mental propre, que Darrieussecq serait rentrée dans le sien pour le piller, et que si les critiques et lecteurs ne le sentent pas, un écrivain, lui ne s'y trompe pas. Honnêtement, je n'arrive pas à trancher dans un sens où dans un autre, mais il est clair que ça, ajouté à d'autres petites choses fini par faire s'interroger. Elle accuse Darrieussecq de suivre ce qui lui semble être un cahier des charges des scènes à écrire quand on parle de ce thème, de manquer le point essentiel de la culpabilité, de faire de l'émotion facile tout en survolant le plus important, de faire pleurer dans les chaumières en fait. Pour le cahier des charges, il est vrai qu'il est assez confondant que Darrieussecq effectue un trajet qui rappelle une sorte de pèlerinage à travers des passages obligés du deuil maternel. Ajoutez à cela que Marie Darrieussecq, depuis des années, insiste sur l'importance qu'a eu Philippe pour elle, mais qu'elle n'en fasse pas mention à la fin de son livre, on se dit qu'elle a dû profondément intégrer toutes les structures mentales d'une mère en deuil, là encore, est-ce forcément volontaire. Puis il y a encore le fait qu'il y a déjà eu ces accusations contre elle de la part de Marie NDiaye il y a des années, plagiat, singerie... ça en vient à faire beaucoup.

la vraie question, au fond, il me semble, le vrai problème, c'est celui de la source, de la légitimité à écrire, que pointe Laurens. Pas dans la mesure où ne pas avoir souffert ne donne pas le droit d'écrire, d'aborder un sujet. Laurens aborde ce point de façon intéressante plus loin, mais ce n'est pas cela qui est au coeur ici. plutôt, si Darrieussecq n'a pas perdu d'enfant, si elle parle de tout cela, si elle a tant de ressemblance avec Laurens, comme l'expliquer alors... On ne peut pas dire, elles ont vécu la même chose, elles sont tombées sur la même chose, communauté d'expérience... De quoi se sert-elle alors ? Quel hasard de tomber toujours sur les mêmes choses, les mêmes scènes, sans l'avoir vécu ? est-elle douée d'une formidable intuition, qui lui donnerait le ton juste, ce que lui dénie Laurens, mais expliquerait alors qu'elle ait sentie le parcours d'une mère en deuil, que celui-ci l'ait amené au même point que Laurens, mais a-t-elle encore droit à l'intuition quand elle a tant lu Laurens ? C'est profondément problématique...

Les détails ne plaident pas franchement en faveur de Marie Darrieussecq dans cette controverse, en plus, la mort d'un enfant est d'autant plus dure à aborder que cela relève presque du tabou, vu la douleur que cela peut réveiller, mais l'accusation de plagiat est grave, on ne peut la faire porter comme cela sur quelqu'un... A tout le moins, ma position personnelle est que Marie Darrieussecq a été d'une grande indélicatesse, sans doute due à la distance qu'elle peut se permettre d'avoir avec le sujet. Maintenant, elle a le droit de vouloir en parler, d'explorer cette face de la souffrance humaine, même si elle ne l'a pas vécu. Le problème n'est peut-être pas tant dans le fait d'avoir vécu quelque chose ou non, pour avoir le droit d'en parler, que dans la façon de le faire, dans le respect dû à ceux qui l'ont vécu. Que Darrieussecq l'ait fait exprès ou non, elle a blessé Laurens, et celle-ci a répondu, s'est défendue. C'est à la fois très personnel -la douleur d'une femme, et plus large, qu'a-t-on le droit d'écrire, est-on réduit au silence... Le problème est que dès qu'on explore une douleur qui n'est pas la sienne, on tombe deux fois plus vite dans le voyeurisme, la pornographie, la saleté, mais, autant pour celui qui l'écrit sans l'avoir vécu, que pour celui qui le lit sans l'avoir vécu, pour le vivre... Le seul qui en ressort intact, c'est celui qui l'a vécu, s'il ne tombe pas dans la complaisance devant l'horreur. C'est donc plus une différence de degré qui se dessine ici, que de qualité, où le but du jeu est de rester le plus respectueux possible de la douleur, à qui qu'elle appartienne, et de ne pas en faire un spectacle, un fond de commerce, un divertissement. cf l'exhibition de l'intime et du personnel dans la sphère publique aujourd'hui...

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