C’est le premier type d'exil, quitter la maison familiale. La plupart d'entre nous, fort heureusement, l’éprouvent une fois dans sa vie. Quitter son chez soi pour la maison de retraite peut être un exil inverse, que tout le monde n'est pas toujours prêt a faire. Cela veut dire accepter que ce soit la fin de la vie telle qu'on l’a le plus longtemps connue, sa vie d'adulte indépendant.
Changer de ville, c'est différent. C'est aller plus loin, mettre plus de distance entre soi et les autres, s'offrir la chance de se réinventer là où personne ne nous connait encore. Il faut être plus fort pour partir ainsi, mais il faut aussi avoir plus envie ou besoin d'être un autre. Il faut avoir des choses à quitter pour partir aussi loin. Ou avoir des ailes plus longues, plus grandes, qui demandent plus de place, une ville à soi, où l'on crée son monde, parce que le précédent n'est plus a la taille. Et bon, le monde du lycée, pour moi en tout cas, je n'avais certainement pas envie d'y continuer ma vie. Aller de l'avant dans le temps peut aussi être bouger dans l'espace, les villes apparaissant alors comme autant de marques temporelles pour rendre son expérience plus lisible, plus marquée aussi.
Changer de pays, là, c'est autre chose. Il faut ou beaucoup à gagner (emploi, liberté, quelqu'un à rejoindre), ou beaucoup à laisser derrière soi. A fuir. En général un peu des deux. Il faut bien plus de force pour celui-là, être contenu en soi-même, être son centre. L'exil dans la langue, et c'est ce qui m'intéresse en particulier, ajoute une dimension supplémentaire à cet exil. Quitter sa langue, et son pays, c'est couper tout lien avec sa naissance. C’est pour ainsi dire changer d'identité. Évidemment, les identités se gagnent, on peut embrasser la nationalité de son pays d'accueil, ou exhausser la sienne, ou on peut, insatisfait des deux, renoncer à toute nationalité et se dire citoyen du monde. Je suis de là où je suis, et non de là où je viens. Je me définis par qui je suis, et non qui j'étais, et encore, je suis la somme de tout. Mais je refuse d'être limitée à l'étiquette étriquée d'un pays ou d'une ville longtemps - souvent volontairement - quittés.
L'exil dans la langue, c'est la liberté absolue. Perdre son accent, c'est perdre toute étiquette et devenir pur potentiel, les gens ne peuvent plus décider à votre place qui vous étés (Allemand, donc telle qualité, tel défaut... Alsacienne, donc ci et ca). C'en est fini de ca, c'est la paix absolue. C’est la façon la plus simple de se réinventer. Parler et penser dans une autre langue opère un léger mais néanmoins réel et délectable dédoublement de votre être. On choisit la langue dans laquelle on pense, on devient libre, et on peut l'utiliser comme une arme. Changer brutalement de langue dans une dispute par exemple, prétendre ne pas comprendre ailleurs. Échapper. C’est l'excuse absolue, la liberté absolue. Finie la pollution des conversations quotidiennes dans le bus ou le café, écouter maintenant relève d'un choix conscient pour comprendre. Dans sa langue maternelle, ces parasites font irruption dans notre pensée, à l'étranger, dans une autre langue, ils toquent à la porte, et si on refuse d'écouter, cela devient un simple bruit comme un autre.
Penser dans une autre langue, c'est enrichir sa pensée, parce que la grammaire et les mots différent subtilement, on n'a pas le même rapport au tabou, on est plus libres dans une autre langue, plus audacieux, et on découvre et entend des choses qui passent inaperçues dans sa langue. C'est aussi la dernière façon, la façon ultime de bruler les ponts derrière soi. Si je le veux, je peux oublier que je suis française, pour aussi longtemps que je le souhaite, rayer ce pays et tous mes souvenirs, tout ce a quoi je peux vouloir échapper, de ma carte mentale, simplement en changeant ma langue. C'est une paix provisoire, mais totale... Une bouffée d'air.
Et s'exiler c'est s'enrichir, découvrir qui on est vraiment, seul là-bas, ses forces et ses faiblesses, se découvrir comme autre absolu face à un groupe d’autochtones et réfléchir sur son identité ; suis-je française, correspondé-je a l'image qu'ils en ont ? Le plus souvent, on n'est ni des leurs, et on n'a plus de nôtres, on les perd en partant, on y renonce volontairement. Les gens qui partent, sans prendre de billet de retour, ne sont plus vraiment ce qu'ils étaient, ne sont pas si Français, ou Allemands, ou Italiens (qu'est-ce qu'une nation de toute façon, sinon l'ensemble de tous ses individus différents). Ce qu'on ne voit pas, ou qu'on veut ignorer, c'est qu'ils ne l'ont jamais vraiment été, que l'exil n'arrive pas du jour au lendemain mais qu'il a toujours été la. Simplement, un jour, quelqu'un décide de le rendre visible, palpable, et traverse une frontière.
Au tango, il y a deux positions : en ouvert (loin) et en ferme (près). Pour certains danseurs, certains mouvements ne se font bien qu'en ouvert. En général, je préfère danser en ouvert. C’est l’illusion de contrôler ce qu’on fait, et de le faire par et pour soi.
NB.: je ne parle ici que de l'exil volontaire et ne prétends pas savoir ce que c'est que d'être forcée à quitter son pays.
Quoique parfois, la limite entre les deux n'est pas si claire.
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trop rond. « On pourrait presque le pétrir avec les mains, un peu comme on
prépare ...
Il y a 5 ans
1 commentaire:
Bonjour, je suis votre voisin virtuel. J'ai fait un clic sur "Next Blog" et me voilà. Apprendre une langue étrangère pour s'exiler ? Je m'imagine donc exilé... mais à vrai dire, j'étais déjà exilé il y a longtemps. A part de tout ce qui est affiché et les appartenances visibles, essayer de dire la vérité, vous voilà vite exilé... et ce n'est pas un exil volontaire, parfois. Une indifférence vous suivra à côté de votre ombre.
Votre billet m'a plu.
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