lundi 21 mai 2007

Miller, l'immoraliste

"La rupture dans la continuité" aujourd'hui. Non, je ne vais pas parler politique, mais de Henry Miller. Rupture, parce que d'habitude je ne prends pas position sur des livres aussi crus, ou disons mieux, je ne dirais pas forcément que je les lis comme cela, de façon anodine. Ils sentent un peu le souffre tout de même. Continuité, parce qu'en un sens, il est plus que logique que je fasse cette note aujourd'hui, après la semaine que je viens de passer, après le passage que je viens de lire dans reading Lolita in Tehran. la semaine que je viens de passer m'a rappelé de ne pas juger les gens sur leurs écrits. Spécialement quand on se dit littéraire... mais le recul manque parfois, et il n'est pas facile à conquérir. Après ce passage : parce que dans celui-ci, l'auteur explique un différend qu'elle a eu avec ses élèves, pile pendant la Révolution islamique, sur l'opportunité ou non de lire Gatsby. Parce qu'il est profondément immoral. La lecture est jugée corruptrice par les plus durs de ses élèves. Lire cette apologie de l'adultère, de l'argent facile, de la tromperie, c'est apprécier ces valeurs, y adhérer, et trahir la Révolution islamique. Et l'auteur y fait un petit rappel, elle remet les choses à leur place, parce que dans Gastby, Nick montre bien que l'envers du rêve américain c'est son prix, et qu'il peut être très élevé. parce que c'est un roman et pas une Bible, pour faire court, qu'il vaut par son pouvoir de dérangement, de dénonciation, de bouleversement des habitudes...

Alors Miller, pour ceux qui ne connaissent pas, et ils sont nombreux je pense, ce n'est déjà pas Arthur, (Monsieur Mort d'un commis voyager, alias l'un des époux de Marilyn Monroe aussi accessoirement). C'est Henry. Un auteur très libre, très anticonformiste, qui a fait partie des américains exilés à Paris pendant l'entre-deux guerres, comme Hemingway par exemple... de cette génération d'artistes bohèmes, pour faire court. Son oeuvre peut-être majeure, c'est "la crucifixion en rose", composée de Sexus, Plexus et Nexus. je dis peut-être parce que c'est quand même un très grand auteur, donc... le choix est délicat. Et elle a été censurée pendant de très longues années. Pourquoi ? Pour sa crudité absolue. Lady Chatterley, à côté, c'est du petit-lait.

C'est l'histoire, Sexux, d'un homme, qui se cherche écrivain, et qui erre, il est marié mais cela ne va plus trop avec sa femme, et il en rencontre une autre qui l'envoûte : Mona. Il en tombe amoureux, il la suit, il reste avec elle. Une histoire d'amour somme toute banale. à la différence près que Miller ne nous en cache rien, il nous convie dans sa chambre à coucher comme si cela lui était, en un sens, une stimulation supplémentaire, ou une forme de communion générale dans la célébration de la vie. Miller est, littéralement, un homme de chair et de sang, et qui s'assume au-delà de toute espérance. C'est cette liberté en elle-même qui, je le pense, est dérangeante. parce que nous, déjà, nous ne ferions sans doute jamais cela, comme ça, dans la rue le soir en rentrant chez soi, même déserte... et nous ne serions pas davantage capables de le dire. Lui si. sans problème apparent. et ce n'est jamais... pornographique, parce qu'il a une véritable verve, parce que c'est de la littérature avant tout, un roman, et pas de gare, parce qu'il y a quelque chose dans ces périodes jubilatoires, jouissives, extatiques, qui vont bien plus loin que ce qui est en train de se passer. pour lui, le sexe relève d'une expérience fondamentale de la liberté et de la condition même de l'homme. Pour une fois, je l'entends au sens restreint : du mâle : désirer, être satisfait - désirer encore. se sentir dans cet état de perpétuelle incomplétude et frustration, hormis quelques minutes volées de ci de là qui, pour un instant, oblitèrent toute conscience d'autre chose. Miller montre au grand jour ce que la société a de plus enfoui pour nous. c'est un en sens un livre sein à bien des égards, déculpabilisant, libérateur, drôle, et profond, aussi. On peut être tout cela à la fois.

On commence à voir en quoi il n'est pas toujours bon l'avoir sur ses étagères suivant les gens qu'on invite chez soi... Le problème fondamental que pose ce genre de livres, au même titre de ceux de Nabokov, de Lawrence, de Flaubert à l'époque... c'est qu'il met à nu de l'impolitiquement correct. des choses qu'on a beau désirer faire, que l'on s'interdit pourtant au nom de la morale, ou de la timidité... et il nous met face à face avec celles-ci dans une confrontation soit sidérante, soit insoutenable. Deux seules positions sont possibles, l'adhésion ou la condamnation. Condamnation pourquoi, pour incapacité à accepter cela, pour refuser d'avoir quoi que ce soit de commun avec un homme pareil. Non pas qu'on mène une vie chaste, mais, enfin quand même, lui.... c'est un dépravé. Et l'aimer ferait de nous des dépravés au même titre, pensée insoutenable, s'il en est.

Ou non pensée... parce que là est l'erreur... depuis quand un roman est-il un encouragement à l'adultère, au meurtre, à la dépravation, que sais-je... c'est nier le sens de la littérature en lui-même que de raisonner ainsi... Un roman, c'est avant tout un regard offert sur la réalité. c'est une façon de la voir, de dire, regardez la façon dont moi je la perçois. on montre de nouvelles choses, ça peut toujours servir. mais ça ne va pas au-delà. ON peut lire sans adhérer. On peut lire en réfléchissant. Pire on peut apprécier sans faire pareil le livre à peine refermé. On peut lire sans moraliser parce que là n'est pas la question et que la littérature va bien au-delà de cette foutue morale qu'on nous met sans cesse dans les pattes. la morale, c'est une façon de dicter leur conduite à ceux qui n'ont pas l'intelligence ou le courage d'inventer eux-mêmes leur propres règles. cela me fait sans cesse penser au traité théologico-politique de Spinoza où il explique qu'il a fallu donner les tables de la loi aux Hébreux pour les faire vivre ensemble, sans s'entretuer, leur faire peur étant la seule façon de les faire obéir... J'estime personnellement que si on se refuse à un péché, un délit, je ne sais pas... imaginons, le meurtre... par peur du châtiment plutôt que parce qu'on a le sentiment profond de l'illégitimité d'un tel acte... c'est assez pathétique. Du jour où l'invisibilité - alias l'impunité - deviendra possible, il ne fera plus très bon vivre... et ça, on le savait dès Platon et son anneau de Gygès...

La morale, la mauvaise morale, celle des irréfléchis, des adeptes du prêt-à-penser, celle de la facilité est méprisable et condamnable, elle ne vaut guère mieux qu'un état de nom droit, une dictature ou régnerait le plus fort, qui édicterait ses lois auxquels on obéirait parce que le dictateur nous fait peur plutôt parce qu'on en éprouve soi-même la justice. Mais bon, l'expérience prouve qu'il est plus simple de faire obéir les gens à une morale générale qu'à leur sens de l'éthique. si tant et plus est qu'il en aient. Mais le sens de l'éthique n'est pas toujours si rare non plus. La société ne tiendrait déjà plus si c'était le cas.

Pour en revenir, et en terminer avec Miller, je dirais que j'ai décidé cette fois de le laisser à sa place sur mes étagères, non pas que je me fiche de ce qu'on en pense, ou que cela me plairait qu'on fasse l'amalgame livre de débauche égale moeurs débauchées. Mais je me dirai plutôt que tant pis... Cette personne n'aurait rien compris, et tant qu'à faire, je préfère être vue comme esprit libre, c'est quand même ainsi qu'on pense le mieux ...






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