dimanche 10 juin 2007

The age of innocence


je me rends compte que ça fait un moment que j'ai fini cet excellent livre et toujours pas fait de note dessus. vu que c'était mon dernier livre loisir avant un moment, il convient de lui rendre hommage comme il faut. d'autant plus qu'il a valu le prix Pulitzer à Edith Wharton en 1920...

The age of Innocence, c'est l'histoire de ce jeune homme, de la haute société new-yorkaise du début du siècle, qui est forcé de revenir sur tous les principes qui ont régi sa vie jusque là. il vit dans une société où un jeune homme de bonne famille ne travaille pas, c'est vulgaire, où l'on ne voit qu'un certain groupe de gens, du même milieu, au sein duquel les mariages se font, au sein duquel aussi tout, absolument tout se sait, et est jugé à l'aune du bon goût, de la décence, du sens du clan... tout un ramassis d'idioties aurais-je envie de dire, mais Edith Wharton est extrêmement fine lorsqu'il s'agit de dépeindre le fonctionnement de ce microcosme. les gens s'y ennuient à mourir, Archer, c'est le nom de notre jeune homme, se damnerait pour fréquenter un peu plus les arts, pour voir des journalistes, avoir une vie intellectuelle, car il est très cultivé, et ce genre de soirée existent, chez des gens de moyenne bourgeoisie, soit des inférieurs, qui ont mauvais genre... c'est le genre de société, où lorsqu'une femme de la haute se promène en calèche sur la 5° avenue, et voit une autre femme de "mauvaise réputation", une demi-mondaine par exemple, maîtresse de l'un des aigles de la haute, elle fait demi-tour et rentre chez elle, car il est hors de question qu'elle soit associée à elle dans l'esprit des gens, ne serait-ce que comme parcourant la même avenue... c'est fascinant je trouve. l'aptitude à la frustration et à la tristesse de ces gens m'a beaucoup touchée, leur sens du devoir, la constance avec laquelle ils s'y attachent; l'oubli d'eux même totalement sidérant devant les devoirs dûs au clan... c'est aussi énigmatique que fascinant à notre époque d'invidualisme forcéné. à le dire comme cela, ça paraît une critique, mais je ne voudrais pas échanger, et me sachant incapable de faire cela, j'admire, en un sens, leur capacité à vivre ainsi... !

ce jeune homme donc, d'une des plus puissantes familles, est très snob, très conscient de ce qu'il doit à son rang etc... il projette d'épouser une jeune fille de bonne famille, d'égal rang social, calme, douce, gentille, innocente, bien élevée.... rentre alors d'Europe la comtesse Ellen Olenska, cousine de May, la gentille fiancée... la comtesse est scandaleuse, elle a fuit son mari qui l atrompait allégrement, et peut-être même la violentait. mais, même pour cela, on ne l'excuse pas, au contraire, elle essuie réprobation de toute part. le clan Welland, sa famille décide néanmoins de la soutenir et de la recueillir (quelle magnanimité a-t-on envie de dire...), pour que ceux-ci n'essuient pas cette opprobre seuls, Archer annonce leurs fiançailles plutôt, pour que sa famille aussi face rang derrière les Welland et impose au monde la comtesse... (ça va loin tout de même...).

Archer, au départ, est plutôt contrarié par l'arrivée de cette Européenne qui complique tout et ne se rend pas compte des faveurs que les Newland et les Welland lui font. de plus, elle se montre, alors qu'elle devrait se terrer chez elle. et, sacrilège, elle voudrait divorcer... il se fait donc un devoir de lui expliquer ce qu'elle peut faire (pas grand chose), et ne doit pas faire. et la comtesse, ayant vécu si longtemps à l'étranger, trouve cela étrange, elle ne comprend pas pourquoi ces cercles sont si fermés, si hautains. elle trouve les Van Luydens ennuyeux comme la pluie, comme tout le monde d'ailleurs, mais le dit. ce que personne n'avait osé faire auparavant. et Archer est désarmé par cette innocence et cette fraîcheur, et peu à peu, toutes les pesanteurs de l'ordre social archi stricte qui régente sa vie s'abattent sur lui. ce qui lui semblait si naturel qu'il n'y pensait même pas lui semble étrange, lui pèse, il remet tout en question. et c'est passionnant, parce qu'il ne veut faire de mal à personne, encore moins à sa famille, mais il se rend compte qu'il étouffe, un peu comme Emma Bovary, mais dans un autre milieu. et arrive ce qui devait arriver, il tombe amoureux de la comtesse, et le lui dit.

évidemment c'est réciproque, mais, la comtesse, bien qu'étrangère, bien que moins conformiste que les autres, a tout de même des principes, elle force Archer à épouser May, et sort de sa vie...
l'histoire pourrait s'arrêter là, mais au fil des mois, Archer trouve que l'innocence et la naïveté qu'il prisait tant chez May n'est peut-être que l'autre face d'une certaine stupidité. impossible de parler littérature avec elle, ni même de grand chose ailleurs. pas la peine de lui demander à quoi elle pense, parce qu'elle ne pense vraiment à rien. donc il est déçu, forcément, il essaie de se faire une raison, il sort quand il peut, il trouve un équilibre pour supporter sa femme pour laquelle, au demeurant, il a tout de même beaucoup de tendresse. c'est juste qu'elle est ennuyeuse, creuse et un peu vaine...

et là la comtesse ressurgit dans sa vie, bien malgré eux. et il se rend compte qu'il n'en peut plus, qu'il n'y tient plus. il ne le supporte plus. il la convaint de revenir s'installer à New york, pour qu'il la voie au moins. ça leur suffit, ils n'ont jamais éprouver le besoin de se toucher au-delà d'un chaste baiser. elle accepte, car elle non plus ne supporte plus de vivre sans lui. et peu de temps après, sur un coup de tête, apparemment, elle décide de rentrer en Europe. May et Archer organisent alors sa fête d'adieu, Archer est profondément triste, bien qu'il le cachât, et il ne supporte plus de voir sa femme, il chercher une échappatoire, et décide, après la fête, de lui annoncer qu'il veut faire un long et lointain voyage au Japon, sans elle, et avec le projet inavoué d'y entraîner la comtesse. May s'afflige alors de ce qu'il choisisse une contrée si éloignée, où cela l'étonnerait grandement que les docteurs consentent à la laisser le suivre. Archer se dit alors, quoi ? et oui, May est enceinte, elle l'a d'ailleurs dit à la comtesse, avant même d'être sûre, quelques heures avant que celle-ci n'annonce sa décision de partir... pas si sotte la May...

Archer est partagé entre la joie, n'oublions pas qu'il aime bien sa femme, mais davantage comme une soeur je suppose, et l'accablement.

elle lui aura donné trois enfants qu'il adore, avant de mourir en soignant la tuberculose du dernier. il ne s'est pas remarié, n'a pas revu la comtesse. un jour, son grand fils l'entraîne dans un tour de paris, et veut aller voir la comtesse, pour sa fiancée, à qui elle a rendu de grands services il fut un temps. il le plaisante alors en lui disant qu'il a très bien compris qu'il l'avait aimé dans sa jeunesse, sa mère le lui avait dit, sur son lit de mort, en ajoutant qu'elle partait l'esprit tranquille, laissant ses enfants à un homme qui avait renoncé à ce à quoi il tenait le plus au monde quand elle le lui avait demandé. Archer de s'étonner, elle ne lui a jamais rien demandé... son fils de rétorquer, mais vous ne vous parliez jamais de toute façon, vous vous compreniez par des regards, des demi-mots, vous lisiez dans vos âmes...

le livre se clôt sur une petite réflexion sur l'évolution de la société, entre celle, très cloisonnée, rigide d'avant, qui du coup se trouve rédimée par l'abnégation incroyable de ses membres, et celle, plus individualiste, plus hédoniste qui commence à naître...

de la société d'avant, je pense, très sincèrement, qu'on peut admirer le maintien, le sens du devoir de l'oubli de soi, mais le prix en est énorme. celle qui de la génération d'après est plus permissive, plus exigeante, et ne condamne plus la recherche du bonheur personnel. disons qu'on commence à admettre le droit au bonheur, avant la question ne se posait pas.

personnellement, j'aurais tendance à lier cela au recul de la religiosité, la recherche du bonheur n'est plus condamnée, ou, mettons, plutôt dans l'autre sens. auparavant, quand les gens étaient malheureux, ils se tournaient vers dieu pour trouver du réconfort, n'ayant plus ce réconfort, pour des raisons multiples et variées, ils cherchent à être davantage heureux, et ne se sentent plus coupables de l'être...

pour la polémique, j'avouerai qu'à mon sens, la foi et le respect d'un certain nombre de lois, d'interdits etc a toujours été une des causes profondes du malheur des hommes, alors la religion a beau jeu, ensuite, de tâcher de les réconforter par la pensée d'un autre monde... la religion a toujours tenté de se justifier en se posant en garante de la morale... le jour où on a pu émanciper la morale de la religion, prouver qu'on pouvait être athée et avoir des principes, on a fait un immense progrès, l'homme est devenu adulte, il arrête de se référer à un autre pour savoir si ce qu'il fait est bon ou pas... alors évidemment, il y a toujours eu des gens qui ont réglé leur conduite sur des principes qu'eux-mêmes embrassaient, les trouvant bons, et qu'ils ne suivaient pas tout d'abord par obéissance à leur foi, mais pour les autres, quelle hypocrisie... je vous renvoie à l'anneau de Gygès... qu'auraient fait tous ces gens s'ils avaient pu se rendre invisibles à Dieu...

les optimistes diront, ils auraient été forcés de se prendre en charge tous seuls et de grandir...
j'ai tendance à croire qu'historiquement, depuis la fin du XIX°, c'est ce qui s'est passé...


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