Ce n'était pas gagné d'avance...
En règle générale, jusque là, je hais les bibliothèques. Universitaires. Pas les bibliothèques municipales. D'aussi loin que je me souvienne, ma mère m'emmenait toutes les trois semaines au minimum à notre bibliothèque changer notre stock de 6 livres. J'adorais y aller. Renifler les livres, regarder leur converture, découvrir le titre qui allait m'attirer. Parfois vouloir plus de livres que je n'en pouvais prendre. Parfois incapable d'en trouver 6. Parfois les finissant en deux semaines, parfois n'en ayant ouvert que deux. Avec souvent, le problème, quand on en a lu un qui était vraiment excellent, de lire n'importe quel autre livre quand il n'y a que celui-ci seul qu'on veut lire, encore, sans le vouloir relire ...
Le jour où je fus (enfin!) admise à la section adulte fut un grand jour pour moi !
Puis je découvris les CDI, et leur entêtée bonne conscience d'eux-mêmes. Tels livres n'y sont pas, tels livres sont réservés à tel niveau, tel ci, et tel ça, et vous devriez lire cela. Vous devriez, allez vous êtes censé... résume pour moi toute ma haine des bibliothèques universitaires et scolaires. Vous êtes censés vous taire - soit, je suis bien d'accord, m'enfin, avec le troupeau de sauvages que représente une meute de lycéens pour un rat de bibliothèque comme moi... Et puis au lycée, il ne s'agit jamais des livres, il s'agit de la pose sociale à adopter avec le livre, tel livre, telle façon de s'asseoir, de se tenir. Le CDI est un lieu de représentation. La fac ne change guère, n'était-ce que cette fois, vous devez faire deux choses, donner l'air et tout de même accomplir une certaine quantité de travail, ce qui fait que bien souvent on perd plus de temps qu'on en gagne.
J'ai recensé les inconvénients majeurs des bibliothèques universitaires que j'ai pu fréquenter, en gardant à l'esprit que la seule chose positive qui s'y trouve en général est son personnel, agréablement sympathique et serviable, et que les défauts que j'y vois ne sont bien souvent le fruit que de ma propre particularité au sujet des bibliothèques.
- il fait toujours trop chaud (Ascoli) ou trop froid (La Sorbonne).
- on est toujours mal assi (table trop haute en Ascoli), (truc absurde pour les pieds en Sorbonne), (sans parler des chaises pour les deux).
- au calme ? où avez-vous vu du calme ? Les gens passent leur temps à tapoter sur leur clavier, à soupirer, à écouter leur mp3, envoyer des sms, se parler, et pire, circuler... les kilomètres qui se marchent en bibliothèques...
- il n'y a jamais assez de place (dans la bibliothèque Ascoli tout court de toute façon), (sur les tables en Sorbonne). Pas moyen de travailler décemment là-dessus.
- le temps d'avoir les ouvrages... j'ai le temps de m'endormir, vu que les problèmes de température m'assoupissent. De 20 minutes à une demi-heure en Sorbonne. Je ne doute pas qu'il y a une infrasctruture qui le justifie, mais cela me décourage déjà d'y aller.
- ça change tout le temps. Ils ont une manie de changer constamment les choses de place à la Sorbonne, sans doute pour me désorienter (facile, vu que j'y vais 3 fois l'an).
- on n'est jamais tranquille, on finit toujours par tomber sur quelqu'un qu'on connaît. Quand je veux travailler, je ne veux pas être polie, et quand je veux travailler, je ne veux pas me sentir obligée d'avoir à en donner l'air.
- la pression sociale justement. Il faut travailler. Là, maintenant, précisément, cent, cinq cent autres personnes sont là à bosser autour de vous, c'est ce qu'on attend de vous, prenez l'air d'être dans une bibliothèque, réalisez votre essence d'étudiant en bibliothèque...
Personnellement, je ne peux pas. ça me coupe l'envie, ça me fait dormir, ou ça me met en rage. De plus avec tout le spectacle des étudiants autour de moi, impossible de me concentrer cinq minutes d'affilée. Trop de petits spectacles partout.
Alors la BNF, la bibliothèque des bibliothèques françaises, je n'avais que des a priori - négatifs évidemment - dessus.
Déjà, avoir la recommandation fut difficile, ensuite, sur leur site, ils marquent dix jours d'attente entre la pré-accréditation et l'entretien. Là, je piquai une crise de rage noire qui m'empêcha complètement de dormir la veille - toute l'absurdité de notre administration française tenait pour moi dans ces dix jours...
Le lendemain, j'y allai épuisée, donc me trompai d'arrêt, arrivai par le côté ouest pour entrer à l'est - que de kilomètres à faire à talon aiguilles sur les lattes de bois spéciales - attrape-talon de la BNF. Un cauchemar.
Je finis par arriver au Service d'Orientation des lecteurs. Pas d'attente. Je fais ma carte. Je réalise après coup que c'était là mon entretien, ce que j'avais pris pour une discussion charmante avec l'ancienne prof de lettres en face de moi. Du reste, elle m'a tout de même enterrée sous les dépliants pour la journée, mais avec tant de serviabilité et de gentillesse. Je n'ai guère l'habitude d'être si bien traitée en ce genre de lieux. Première bonne impression.
Deuxième, ma petite carte toute neuve et moi passons les portiques vers les niveaux jardin. Passer les lourdes portes de métal, avec leur parfum d'exclusivité, ne lassa pas de me faire éprouver un petit frisson jubilatoire. Descendre ensuite les longs escalators, dans la Tour des Lois, avec les murs si gris et sobres, les boiseries brun doré foncé. Sobriété et élégance. Nouveaux portiques vers le Rez de Jardin ensuite. Encore un peu plus d'exclusivité. La magie commence à opérer, je me sens privilégiée de pénétrer si avant dans le coeur de la BNF, et le jardin - oasis au centre ne fait que renforcer ce sentiment. Je suis en salle U, je la cherche, entreprends de commander mes livres, ce qui me permet une fois de plus d'éprouver la serviabilité du personnel.
Et là, surprise délicieuse... je dois travailler dans la réserve des livres rares... le sein des seins. Une salle suspendue au-dessus de la salle T, protégée du jour, où l'on entre en sonnant, comme à la banque. La salle Y est plus stricte (on écrit qu'au crayon à papier), mais plus indépendante également. Elle se fiche éperdument de quelle place l'ordinateur vous y a assigné, aussitôt entré, vous héritez de la place qui va avec votre trousseau de clefs, et oui, celles de votre casier. On ne promène pas ses affaires partout là, et j'avoue que le casier a son charme - ne serait-ce que la garantie que maintenant au moins on aura la paix avec les portables. Et il y a peu de monde... peu de monde ! Et le peu de monde qu'il y a travaille ! Les gens ne s'y connaissent pas, donc ne bavardent pas, et ont autre chose à faire que draguer. C'est la paix royale, enfin. Et les chaises sont confortables, les tables immenses... Le silence total.
Et les livres sont au centre. Enfin. Enfin ce sont les livres dont il s'agit lorsqu'on va en bibliothèque. Le symbole ? Les petits coussins repose-livre sur chaque espace de table, avec le marque page - boudin en sable. Les livres sont soignés, choyés, on vous les apporte un par un, les installe, sur leur petite couverture quand ils sont trop fragiles. Ici, parfois, il faut se tordre le cou pour lire une page et l'autre, parce le livre ne doit pas être ouvert davantage pour ne pas l'abîmer. Le livre a son reposoir, son marque page, sa couverture, sa petite lampe, et même sa température - et oui, on se gèle dans cette salle au bout de deux heures en général. La différence? Et bien quand je vois mon livre arriver aux bras du personnel et se faire déposer devant moi, ouvert à la première page, quand je commence à y fureter, regarder la page de titre, je sens mon visage se tendre en un sourire involontaire, émotion, fierté, sentiment de privilège, devant un objet si rare et si précieux. Révérence. Et l'élation que je ressens à en tourner les pages me fait oublier le froid et la faim juqu'à la fin du temps que je m'étais impartie ici ce jour-là, et qui en général, me semble toujours trop court.
La BNF opère une révolution dans mon petit monde. Elle me donne envie de me lever tôt pour y passer plus de temps ...