samedi 3 mars 2007

can poetry redeem the world ?


La poésie peut-elle changer le monde ?
Notre regard sur celui-ci au moins ?

C'est l'une des questions centrales du XX° siècle, oh, avant déjà, mais elle est devenue centrale. C'est un siècle fertile en interrogations sur le pouvoir de la littérature et de la poésie, qu'on repense à Adorno qui au lendemain de la guerre déclare qu'on ne peut plus écrire de poésie dans la langue qui fut celle des nazis. Face à lui Paul Celan, Mohn und Gedachtnis, prouve le contraire...

Il n'y a pas de position unanime, juste un besoin, une volonté de dire pour commencer. Reverdy a une très belle formule pour cela dans "cette émotion appelée poésie", il parle de la poésie comme "le bouche-abîme du réel désiré et qui manque". IL assigne là une vocation supérieure à ce genre: la compensation.
Mais est-ce seulement possible, est-ce qu'on peut tout compenser, la souffrance amoureuse, la douleur, la mort d'un proche, par le pouvoir des mots ?

Auden a tendance à penser que non. Qu'on ne s'y trompe pas, c'est l'un des plus grands poètes de langue anglaise du XX° siècle. Et il continue à écrire, alors qu'il n'y croit pas, si on peut dire.
Peut-être veut-il nous dire que la poésie ne change pas le monde mais elle le dit, d'abord à soi, écrivant ou lisant le poème, et aux autres, et par là, elle crée ce lien, cette empathie proprement humaine, l'identification à la douleur de l'autre. L'émotion de l'épiphanie, prise de conscience, oui, c'est vrai, c'est cela, c'est exactement cela que je ressents. C'est beau de découvrir qu'un auteur latin a pu trouver l'assortiment de mots parfait pour dire ce qu'un homme du XXI° siècle ressent.

La poésie c'est déjà cela, et c'est aussi, d'une certaine façon, esthétiser le monde, la douleur, je peux la regarder, donc je peux vivre avec. Elle n'aide pas à la surmonter, elle aide à la contempler, aux sens esthétique et philosophique, la poésie réalisant selon moi le parfait équilibre entre la beauté de l'art et la profondeur de la pensée. Elle ne la rend pas acceptable, on peut hurler sa perte dans un poème, mais elle fait dire, elle est sortie vers l'extérieur de tout ce qui est intérieur et qui ronge l'âme, cherchant son expression.
Pour illustration, la parole en revient évidemment à Auden :

Funeral Blues

Stop all the clocks, cut of the telephone

Prevent the dog from barking with a juicy bone

Silence the pianos and with muffled drum

Bring out the coffin, let the mourners come

Let aeroplanes circle moaning overhead

Scribbling on the sky the message: he is dead

Put crêpe bows round the white necks of the public doves

Let the traffic policemen wear black cotton gloves

He was my north, my south, my east and my west

May working week and my Sunday rest

My noon, my midnight, my talk, my song

It thought that love would last forever, I was wrong

The stars are not wanted now, put out every one

Pack up the moon and dismantle the sun

Pour away the ocean and sweep up the wood

For nothing now can ever come to any good.


Ce poème, apparemment, hurle la perte de l'être aimé. Le compagnon du poète vient de mourir, la terre s'arrête de tourner pour le poète. Ou en tout cas elle devrait le faire, comment le monde peut-il encore être le monde, alors qu'il y a cette mort ? Sa peine prend des résonnances cosmiques. Et on le comprend, parce que non seulement c'est magniifque, mais parce qu'on s'est tous déjà demandé comment le monde pouvait-il ne porter aucune trace de ce changement qui pourtant nous nous ravage...

Auden dit cela, en première lecture, et en deuxième lecture plus fine, beaucoup plus fine et plus belle, il met le doigt sur la vanité et la vacuité de ce cri. Ca ne changera rien, absolument rien d'hurler, la peine sera la même, le monde reste le même. Il n'y a pas de sortie possible où tout viendrait s'effacer dans la conflagration finale. Comment fait-il pour dire sa peine et la vanité de celle-ci sans qu'on s'en doute... par l'outrance de ce qu'il exige tout d'abord, qu'on vide l'océan, qu'on balaie les forêts, qu'on chasse les étoiles, démantèle le soleil et emballe la lune... il va loin, il va loin jusqu'à la beauté de l'absurde, mettre des noeuds de crêpe au cou des colombes en signe de deuil... Non, décidément, rien à faire, cette mort ne pourra être surmontée ainsi. L'impossibilité de le faire se laisse lire en doux filigranes.

Mais la dire... la dire déjà est beaucoup : la disant il est humain, il offre aux autres la possibilité de l'appréhender. Et, de plus, la disant, il la pense, la conçoit, il est obligé de la regarder en face, la rendant belle, c'est plus facile, mais néanmoins, ce n'était pas gagné.

C'est ça la poésie, c'est l'échappée belle...


(En vignette, à gauche, Christopher Isherwood, le dédicataire du poème, et à sa droite, Wystan Hugh Auden).




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