lundi 12 mars 2007

"en lisant, en écrivant"


Je travaille en ce moment sur la notion de lyrisme, et je n'ai pu, en les lisant, ne pas retenir ces deux très belles citations de Jean-Michel Maulpoix dans son ouvrage Du lyrisme. Il reprend et augmente son ouvrage initial, La voix d'Orphée. Voici donc :

Le langage reste la marque d'un exil : si l'homme parle, s'il compose des poèmes, c'est aussi qu'il n'est jamais présent sur la terre à la manière immédiate et naïve de la plante ou de l'animal.

Écrire n'est après tout rien d'autre que de faire don à autrui de ce qu'on ne possède pas soi-même...


Deux idées clefs de la poésie s'expriment là.

Tout d'abord, l'idée que l'homme est en exil sur la terre, celle-ci, elle est vieille, mais au-delà de tout syncrétisme, de toute idéologie, ce qu'elle a d'intéressant à mes yeux ici, c'est qu'elle pose le langage à la fois comme barrière et comme lien. Le langage est la distance que nous mettons entre les choses et nous, un recul, derrière un mot, il y a un média, une prise de distance indéniable, parce que formulation. Conversion de ce qu'on voit, d'une idée, d'une notion en son. Comme lien, parce qu'il est le média de notre rapport au monde. Il est ce qui nous permet d'entrer en contact avec lui, notre façon de nous y rapporter, de l'appréhender.

Ensuite, la deuxième idée, qui m'est assez chère, c'est la conception selon laquelle on écrit pour pallier un manque, faire être ce qui n'est pas ou plus. Reverdy a cette très belle formule bien connue "la poésie, c'est le bouche-abîme du réel désiré et qui manque". Et il est vrai que fondamentalement, on ne peut se contenter ni se satisfaire de ce qui est : desirare en latin veut avant tout dire "regretter l'absence de...", peut-être est-ce pour cela, pour ce manque intrinsèque et originel, que le désir est parfois si impérieux, si douloureux, "like there was no tomorrow" disent joliment les Anglais. En un sens, la poésie est là parce que ce qui est ne suffit pas. Pulsion de maîtrise, volonté d'avoir plus ou autre chose, poursuite du bonheur, on est toujours poussés en avant, et quand on cesse de l'être, il faut commencer à s'inquiéter. La poésie serait alors la mise en mots de ce trouble, de cette sorte de perplexité devant la vie et son désir impérieux.

Cela nous ramène alors à Rimbaud, comme souvent, qui a le mot de la fin :

« Décrire le silence, noter l’inexprimable, fixer des vertiges ».


Ci-contre, Hésiode et la Muse de Moreau.

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