dimanche 18 février 2007

Antigone ou de l'utilité de la résistance


Ce soir, un peu de littérature française pour changer, avec Jean Anouilh et son Antigone, dont j'ai eu l'occasion de parler aujourd'hui, remuant ainsi tout un nombre de souvenirs.
Pour rappeler rapidement le mythe, Antigone est la fille d'Oedipe, princesse de Thèbes donc, soeur d'Etéocle et Polynice, et nièce de Créon. Quand Oedipe part pour Colone, ses deux fils se disputent le pouvoir, il était question d'alterner, chacun un an, Etéocle commence, mais ne veut pas le quitter. Polynice lui fait donc la guerre, et accessoirement, il se retourne par là aussi contre Thèbes. Tous deux meurent en s'affrontant. Créon hérite donc du pouvoir, et décrète que ceux qui se sont battus contre leur ville ne seront pas enterrés. Antigone, scandalisée à l'idée que l'un de ses frères puisse ne pas avoir de sépulture, se met en guerre contre Créon, outrepasse son interdiction, et en meurt.
L'histoire de cette pièce commence lorsqu'elle est montée, en 1944 si j'en crois mon édition. Elle est reçue, et acclamée comme un pièce emblématique de la Résistance, qui s'incarnerait en Antigone face à ce qui est perçu comme un pouvoir autoritaire, étatique, totalitaire et tout ce qu'on veut, pour aller vite dans les esprits de l'époque, incarné par son oncle Créon. Or Anouilh à l'époque ne l'a pas du tout écrit en pensant à cela, il est le premier surpris de cette lecture... ce qui nous ramène à Proust, qui, pour le citer de mémoire, nous dit dans le contre Sainte Beuve, "sous chaque mot, chacun met son sens qui est souvent un contresens". C'est un peu le cas ici, en tout cas par rapport au propos de l'auteur à l'origine. Et c'est assez fascinant de voir comment un texte peut dépasser les intentions de son auteur...
L'autre point intéressant de cette pièce, du mythe d'Antigone de façon plus large à vrai dire, est le conflit qu'il fait naître au sein de la cité. Lorsque Sophocle commence à écrire, la cité grecque réfléchit sur elle-même, sur ce que c'est que d'exister en tant que cité, de représenter une entité, les Athéniens en l'occurrence. Et les Grecs partent du principe que la cité est bien plus importante que l'individu, car si l'individu vit en son sein, et la constitue, sa survie n'est possible que grâce à la cité, pensée comme l'ensemble de ses concitoyens. Cette pièce oppose donc Créon, le roi, celui qui défend la cité, qui fait appliquer ses lois, et surtout, qui maintient et assure son existence, sa pérennité, à Antigone, qui du coup, appartient à un monde plus ancien, à un monde où la notion de famille ou de clan était plus importante, où on vivait davantage d'après les lois divines. Pour Créon, les dieux servent à renforcer le sentiment national, pour Antigone, ils structurent l'existence de l'individu, l'échelle a changé entre les deux... Et Antigone, du côté de la famille, de la pitié, force est de constater qu'elle appartient au passé, et que sa rébellion menace la survie de la cité en tant qu'entité qui fait bloc contre l'ennemi. Car c'est ce qu'est devenu son frère en prenant les armes, un ennemi, et pour Créon, c'est ce qui prime. Il faut assurer la survie de la cité.
Après, on peut se réclamer des valeurs de pardon, de charité, d'amnistie, il n'en est pas moins vrai qu'il y a eu faute, et qu'elle mérite châtiment, en l'occurrence, l'absence de sépulture. Le sens de la cité et de la royauté aurait voulu que le frère lésé renonce au pouvoir pour le bien de la cité, tout comme devant Salomon la vraie mère renonce à son enfant pour le sauver... il ne l'a pas fait, il doit expier. C'est dur, mais Créon a raison, et Antigone, même si on l'aime, a tort, et en paie le prix. Tout le monde en paie le prix d'ailleurs, Créon y perd son fils, fiancé d'Antigone, et c'est bien, parce que ça montre à quel point rien n'est gratuit. On peut penser que Créon est inuhmain de sacrifier et sa nièce, et son fils... non, il est roi, et ses émotions n'ont pas à entrer en ligne de compte.
Une relève dialectique possible serait de penser qu'il faut des Antigone contre lesquelles la notion de cité peut se constituer, et pour nous rappeler aussi aux anciennes lois. Elle ne doit pas avoir le dernier mot, sinon la cité tomberait en déliquescence, mais elle doit nous mettre face à notre choix. C'est sans doute ce qui la rend si tragique, elle est vouée à la rébellion, vouée à la mort, vouée à l'échec, et ne peut que marcher dans cette voie. Mais, pour nous qui restons, elle est précieuse. Il faut des gens qui remettent en cause l'ordre établi, ne serait-ce que pour qu'on se souvienne pourquoi il a été établi...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore Antigone, en fait je voulais faire une maîtrise sur Antigone, toutes les Antigone... Mais je n'ai pas pu, un livre venait des sortir, "Les Antigone" de Steiner.
Je suis totalement pour Antigone contre Créon, même si je sais bien qu'on ne peut pas renier totalement Créon, et c'est là la force de la pièce: aucun des deux personnages n'a vraiment tort. Antigone représente pour moi un ordre plus fort que l'ordre de Créon avec ce culte qu'elle veut absolument rendre au mort, pas seulement parce que c'est son frère, mais parce que c'est un homme et qu'en tant que tel il mérite la dignité et le passage dans l'au-delà.
Polynice est-il coupable? L'interprétation change d'une pièce à l'autre. Chez Eschyle et Sophocle, oui. Mais dans "Les phéniciennes" d'Euripide, Etéocle est beaucoup plus chargé que Polynice. Dans cette pièce, le plus frappant est peut-être que Polynice va faire la guerre à sa cité par patriotisme. Il veut à tout prix revenir sur la terre de ses aïeux, même si cela signifie la destruction de cette terre.
Chez Anouilh, le plus frappant est la dimansion nouvelle d'absurde qui est introduite dans la pièce. Antigone est fragile, elle a peur de la mort à la fin, elle ne sait plus pourquoi elle a agi ainsi, elle regrette. Cela donne une nouvelle dimension pathétique pour le public moderne. Le personnage de Sohpocle, au contraire, incarne la volonté, ne doute pas, sait d'avance le prix à payer et l'accepte.

Lenora a dit…

merci pour ce très beau commentaire !