mardi 20 février 2007

Méprises de sa langue d'Etranger


"Rue Gît-le-coeur... Rue gît-le-coeur..."
chante tout bas l'Ange à Tobie, et ce sont là
méprises de sa langue d'Etranger.


Tels sont les magnifiques, mais au premier abord obscurs, derniers vers de "Dieux proches, dieux sanglants...", le dernier poème de la section "Poème à l'étrangère" du recueil Exil de Saint-John Perse. Une petite promenade dans le 6° arrondissement s'impose pour comprendre toute la beauté cachée de ces vers. Si on longe le quai des Grands Augustin, en partant de Saint-Michel, une des premières petites rues sur la gauche, s'appelle la rue gît-le-coeur. Et en dessous, une petite plaque se lit "anciennement rue Gilles Queux", avec une date que je n'ai par contre par retenue. La rue donc, portait anciennement le nom d'un cuisinier d'un de nos rois de France, Gilles Queux, c'est Gilles Coquus, Gilles le cuisinier... Comment SJP en est-il venu à cette rue ? Il a habité là un moment, dans les années trente me semble-t-il, et c'est le lieu qui abritait ses rendez-vous avec la dédicataire du poème. Et, ironie un peu triste, ce poème annonce déjà leur rupture, et elle le sentait en le lisant. Le nom de la rue prend donc tout son sens, le coeur gît, frappé à mort, comme celui de l'Etrangère à la lecture du poème. Mais aussi, c'est le coeur de Saint-John Perse qui rugit, devant la guerre (on est en 1942°, devant son exil (à Washington), devant sa relation qui s'effrite avec Lilita. Sous ces mots anodins, qui semblent une méprise, un univers de sens surgit donc.

Pour le plaisir, la musique, et la poésie... voici les vers de clôture des trois poèmes du "Poème à l'Etrangère":
"Rue Gît-le-coeur... Rue gît-le-coeur..."
chante tout bas l'Alienne sous ses lampes, et ce
sont là méprises de sa langue d'Etrangère.

"Rue Gît-le-coeur... Rue Gît-le-coeur..."
chantent tout bas les cloches en exil, et ce sont là
méprises de leur langue d'étrangères.

"Rue Gît-le-coeur... Rue gît-le-coeur..."
chante tout bas l'Ange à Tobie, et ce sont là
méprises de sa langue d'Etranger.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Intéressant, mais je ne trouve pas ces vers tellement beaux sur le plan poétique. Je suis une inconditionnelle de "Nocturne" de Saint-John Perse, écrit en 1972. Je ne résiste pas à en citer le début:
"Les voici mûrs, ces fruits d'un ombrageux destin. (...) Ils furent nos plus secrets complices et, souvent proches de l'aveu, nous tiraient à leurs fins hors de l'abîme de nos nuits..."

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Lenora a dit…

rassure-toi, ce ne sont pas les plus beaux à mes yeux, c'est juste le fait de voir en réalité la rue qui m'a frappée...