mercredi 30 mai 2007

Lady Lazarus

Aujourd’hui, une note sur une de mes poètes (sic) favorites : Sylvia Plath. Elle n’est pas très connue, comme souvent, davantage tout de même sue celles que je cite habituellement. Elle fut l’épouse de Ted Hughes, pendant quelques années, si cela peut aider quelques uns à la situer…

Sylvia Plath est ce que l’on peut appeler une âme tourmentée. Profondément malheureuse, certes, mais également capable d’être heureuse. La grande fêlure de sa vie fut la perte de son père, lorsqu’elle avait une dizaine d’années. Ce fut un drame incommensurable dans sa jeune existence. Il était allemand me semble-t-il. Sylvia commença a écrire assez jeune, elle était douée, même brillante ne fait. Mais une chose lui résista toujours, l’allemand. Tout au plus pouvait-elle le comprendre, mais le parler… ça… c’était trop intimement lié au père sans doute.

En fac, elle rencontra Hughes, navigua dans le cercle de ses amis poètes. Son talent était très apprécié, on dit même que son mari en était jaloux. Mais ce n’est pas tant ce qui importe au fond. Elle eu quelques années heureuse avec lui, puis sa souffrance personnelle repris sans doute le dessus, et leurs désaccord les firent se séparer. Elle vécut alors seule quelques années avec sa fille, écrivant le matin, aux petites heures du jour, pendant que sa fille était encore couchée. Et un beau jour, elle mit la tête dans le four me semble-t-il. Son mari s’occupa alors de faire publier ses œuvres, ce qui fut, là encore, largement matière à controverse. Parmi ses poèmes, un en particulier a toujours suscité de nombreuses questions en moi :

Lady Lazarus

I have done it again.
One year in every ten
I manage it-----

A sort of walking miracle, my skin
Bright as a Nazi lampshade,
My right foot

A paperweight,
My featureless, fine
Jew linen.

Peel off the napkin
O my enemy.
Do I terrify?-------

The nose, the eye pits, the full set of teeth?
The sour breath
Will vanish in a day.

Soon, soon the flesh
The grave cave ate will be
At home on me

And I am smiling woman.
I am only thirty.
And like the cat I have nine times to die.

This is Number Three.
What a trash
To annihilate each decade.

What a million filaments.
The Peanut-crunching crowd
Shoves in to see

Them unwrap me hand in foot ------
The big strip tease.
Gentleman , ladies

These are my hands
My knees.
I may be skin and bone,

Nevertheless, I am the same, identical woman.
The first time it happened I was ten.
It was an accident.

The second time I meant
To last it out and not come back at all.
I rocked shut

As a seashell.
They had to call and call
And pick the worms off me like sticky pearls.

Dying
Is an art, like everything else.
I do it exceptionally well.

I do it so it feels like hell.
I do it so it feels real.
I guess you could say I've a call.

It's easy enough to do it in a cell.
It's easy enough to do it and stay put.
It's the theatrical

Comeback in broad day
To the same place, the same face, the same brute
Amused shout:

'A miracle!'
That knocks me out.
There is a charge

For the eyeing my scars, there is a charge
For the hearing of my heart---
It really goes.

And there is a charge, a very large charge
For a word or a touch
Or a bit of blood

Or a piece of my hair on my clothes.
So, so, Herr Doktor.
So, Herr Enemy.

I am your opus,
I am your valuable,
The pure gold baby

That melts to a shriek.
I turn and burn.
Do not think I underestimate your great concern.

Ash, ash---
You poke and stir.
Flesh, bone, there is nothing there----

A cake of soap,
A wedding ring,
A gold filling.

Herr God, Herr Lucifer
Beware
Beware.

Out of the ash
I rise with my red hair
And I eat men like air.

Lady Lazarus, Sylvia Plath, 1962

Il est très riche, comme on peut le voir, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle se pose en revenante, revenante de la mort. Elle a survécu à sa dernière tentative de suicide en date, et elle revient, se donnant à la fois en spectacle pour mieux le rejeter ensuite. Elle se représente ne créature monstrueuse, en sorcière. Elle est à la fois victime et bourreau, figure christique dont on vient voir les plaies, et divinité punissant les hommes, dont elle semble porter, en un sens les péché dans sa souffrance… le poème est très riche, et très complexe, et ne saurait se limiter à ces quelques lignes, mais davantage que cela, c’est une comparaison qu’elle dresse dans le poème :

my skin
Bright as a Nazi lampshade,

Vous voyez la référence ? Elle renvoie au fait que les nazies, sur les lubies de certains, récupéraient les peux des prisonniers lorsqu’ils avaient de beau tatouages pour en faire des abat-jour… Semprun l’explique d’ailleurs dans le grand voyage.

Or, Plath n’est pas juive… et elle n’a pas fait les camps.

Le problème ici, c’est qu’elle se sert d’une image, en quelque sorte, tabou, pour renvoyer à sa souffrance personnelle. Mais la question que je me pose, et que je vous retourne là, c’est a-t-elle la légitimité à faire cela. Est-ce que l’expérience juive de l’holocauste est passée dans le fonds commun littéraire, mythique, de sorte que chacun puisse s’en servir ?

J’aime beaucoup Sylvia Plath, et je dois dire que là je suis perplexe. Je ne sais dans quel sens trancher… il aurait mieux valu ne pas l’écrire en fait. Là, c’est un peu trop tard, son poème est réussi, comment en retrancher cela… mais pour ma part, pour celle de beaucoup de gens, on n’aurait pas osé parler de cela, pas osé faire sienne cette souffrance, pas osé revendiquer une communauté d’expérience… alors je ne peux prendre position, ni la rejeter, parce que je sais qu’elle a souffert, et qu’en un sens, la compassion que je peux avoir pour elle, pour cette souffrance qui la pousse à revendiquer pour sien quelque chose d’aussi énorme que l’holocauste me sert à l’excuser, et en même temps, en même temps, je pense qu’elle a eu tort. Que la littérature, et encore moins l’histoire universelle ne sont ce « supermarket in California » dont parle Ginsberg dans le poème éponyme…

mardi 29 mai 2007

stat rosa pristina nomine, nomida nuda tenemus...

non non, je ne vais pas faire une longue note en latin (je tiens à ce que mon blog continue à avoir plus de deux lecteurs...), mais sur le Nom de la rose d'Umberto Eco.
Plus précisément sur l'inscription du Livre dans ce livre. Mais si c'est très intéressant !

Le livre, c'est évidemment, tout d'abord, la Bible à un premier niveau, mais par métonymie, il peut désigner aussi bien le Livre, horizon du poète (Mallarmé, Baudelaire), de l'écrivain (Schultz), ou tout livre en fait (les robinsonnades).

Ceci posé, ce qui est fascinant dans le Nom de la rose c'est que tous les sens sont intrinsèquement liés. On a à faire à un livre, qui se décompose en sept jours, suivant le schéma de l'apocalypse, les sept trompettes, les sept crimes, rien à voir avec la Genèse comme j'ai pu voir certains le penser... et le centre de ce livre, le noeud de l'intrigue, c'est la quête d'un livre. quête tout d'abord physique, on le cherche vraiment, c'est pour ça que des gens meurent, et aussi quête symbolique : tout auteur est en quête du Livre.


Un petit mot, le livre qu'on cherche ici c'est le tome II de la poétique d'Aristote, celui qui traite de la comédie, Eco nous donne à lire une intéressante fiction historique sur sa perte en fait. Qu'à ce livre de problématique, il dédiabolise le rire. Comme al fin l'explique très bien, le rire, c'est le propre du diable, c'est l'animalité, l'absence de peur, de respect, la distance en un mot, pour qu'on rit il faut du jeu. le rire n'était pas totalement banni jusque - là, on avait les carnavals et les farces, les saturnales, mais il restait vil, bas, animal, toléré mais méprisé. Et voilà qu'Aristote le réhabilite... catastrophe, alors l'homme, s'il peut rire, n'aura plus peur, l'homme saura prendre les choses avec distances et n'aura plus peur... fin de l'Eglise et tout s'écroule. En tout cas, c'est là la lecture que Jorge fait des événements (et pas du livre, il est aveugle, comme un prophète de malheur, face aux prophètes positifs tels Tirésias). il a tort évidemment, ce qu'il prône, c'est l'obscurantisme, mais il y croit assez pour avoir empoisonné le livre de façon à ce que tous ceux qui le touchent en meurent.

je soulignerai néanmoins ici que ce n'est pas la Bible qui est en cause, elle ne pose pas d'interdit particuliers, enfin, elle ne diabolise pas la réflexion, l'intelligence et toutes ces choses comme semble le dire Jorge, il en a fait une mauvaise lecture. La Bible, plus que tout texte, doit être soumis à interprétation, et court le risque d'une mauvaise lecture de ce genre... Ce ne sont jamais les choses qui sont bonnes ou mauvaises en soi, c'est ce qu'on en fait, c'est l'homme qui crée du sens, il n'est pas déjà là à nous attendre, il faut garder les choses à leur place...


Ce qui est intéressant dans le Livre d'Eco, c'en est justement la fin. Le livre disparaît, la quête de son savoir avec elle, il est perdu à jamais, c'est tout un pan du Moyen-Age qui s'effondre à ce moment-là, on entre dans les Ages obscurs en un sens, période des hérésies, des papes en Avignon et à Rome etc. Le Livre, la Bible tout d'abord, semblait porteuse d'un sens dans le texte d'Eco, les crimes suivaient les prophéties apocalyptiques, on pouvait les interpréter, voire les prévoir, sauf que Guillaume n'y a jamais réussi, et pour cause, tout n'était que hasard. Si cela ne prouve pas que la réalité et les signes n'ont de sens que celui qu'on leur donne... ! Le Livre est ramené à son statut de Livre soumis à interprétation, à l'herméneutique, il n'est jamais déjà là, toujours à trouver, ça Mallarmé l'a bien montré. Et alors ensuite, la disparition de la Poétique, posé en anti-Bible, par les effets qu'ont lui suppose sur l'Eglise, supprime tout livre avec elle, la bibliothèque brûle, ses précieux trésors avec elle. Un cheval en furie tue un des vieux moines. Privés du sens de l'apocalypse qu'on voulait avant voir là, les lecteurs se trouvent devant l'absurde à plein... c'est l'aporie du sens, et c'est d'autant plus choquant et destabilisant qu'on croyait s'élever dans l'analyse, c'est la chute là, totale, finale. Il ne faut pas oublier que, si tout est déjà là, déjà dans la Bible, comme le pensent les cabbalistes, dans les blancs du texte, le sens ne nous en sera délivré qu'au Jugement dernier, et visiblement, la fin du texte d'Eco, ça y ressemble, mais ne l'est pas non plus...


La conclusion du Nom de la rose est donnée par Adso. Revenu bien plus tard sur les lieux, il a sauvé quelques feuillets épars qu'il a rassemblé. Ponctuellement dans sa vie, il les a ressorti, croyant toujours y trouver, y lire, pile la réponse au problème qui le tourmentait. Il s'installe dans une espèce de culte du fragment, assez dérisoire en fait, à la fin, et s'il était encore besoin de le prouver, on voit bien que le livre n'a de sens que par la lecture que l'on en fait, et que celle-ci ne peut jamais prétendre à un absolu.



NB, le livre du début n'est qu très vaguement approchant de ce qu'aurait pu être la Poétique. Il s'agit ici juste d'un incunable, sans doute bien plus vieux que le manuscrit en question.

dimanche 27 mai 2007

for each man ...


kills the thing he loves...
c'est du Wilde, la Ballade de la geôle de Reading, pour être exacte.

Il a écrit ce long poème quand il purgeait sa peine pour sodomie. ce qu'il a vécu en prison, les gens qu'il a rencontrés l'ont fortement marqué, et il en est ressorti avec ce magnifique hymne à la tolérance, à la pitié, à la compassion, sur le ton du: il y a des gens qui font des choses horribles, mais sommes nous si purs qu'on puisse leur jeter la pierre ? potentiellement, on est tous pareils. c'est un peu l'idée derrière la geôle de Reading, en plus de la souffrance, de l'enfermement, de la tristesse... souvent, quand je pense à ce poème, je me trompe dans le titre, et je l'appelle "the sad ballad of reading goall", en faisant un mélange avec la "ballad of sad café" d'un auteur dont le nom m'échappe presque tous les jours de l'année.

un extrait, du centre du texte :

The ballad of Reading goal

He did not wear his scarlet coat,

For blood and wine are red,

And blood and wine were on his hands

When they found him with the dead,

The poor woman whom he loved

And murdered in her bed

He walked among the Trial Men

In a suit of shabby grey

A cricket cap was on his head

And his step seemed light and gay;

But I never saw a man who looked

So wistfully at the day.

I never saw a man who looked

With such a wistful eye

Upon that little tent of bleu

Which prisoners call the sky,

And at every drifting cloud that went

With sails of selves by.

I walked, with other souls in pain,

Within another ring,

And was wondering if the man had done

A great or little thing,

When a voice behind me whispered low,

“That fellow’s got to swing”.

Dear Christ, the very prison walls

Suddenly seemed to reel,

And the sky above my head became

Like a casque of scorching steel

And, though I was a soul in pain,

My pain I could not feel.

I only knew what hunted thought

Quickened his step, and why

He looked upon the garish day

With such a wistful eye;

The man had killed the thing he loved

And so he had to die.

*

Yet each man kills the thing he loves,

By each let this be heard,

Some do it with a bitter look

Some with a flattering word.

The coward does it with a kiss,

The brave man with a sword!

Some kill their love when they are young,

And some when they are old;

Some strangle with the hands of lust,

Some with the hands of Gold:

The kindest uses a knife, because

The dead so soon grow cold.

Some love too little, some too long,

Some sell, and other buy;

Some do the deed with many tears,

And some without a sight:

For each man kills the thing he loves

Yet each man does not die.

He does not die a death of shame

On a day of dark disgrace,

Nor have a hoose about his neck,

Nor a cloth upon his face,

Nor drop feet foremost through the floor

Into an empty space.

He does not sit with silent men

Who watch him night and day;

Who watch him when he tries to weep,

And when he tries to pray;

Who watch him, lest himself should rob

The prison of its pray.

He does not wake at down to see

Dead figures throng his room,

The shivering chaplain robed in white,

The sheriff stern with gloom

And the governor all in shiny black,

With the yellow face of doom.

He does not rise in piteous haste

To put on convict clothes,

While some coarse – mouthed Doctor gloats, and notes

Each new and nerve – twitched pose,

Fingering a watch whose little ticks

Are like horrible hammer blows.

He does not feel that sickening thirst

That sands one’s throat, before

The hangman with his gardener’s gloves

Comes through the padded door,

And bides one with three leathern thongs

The throat may thirst no more

He does not bend his head to hear

The Burial office read,

Nor, while the anguish of his soul

Tells him he is not dead,

Cross his own coffin, as he moves

Into the hideous shed.

He does not stare upon the air

Through a little roof of glass:

He does not pray with lips of clay

For his agony to pass;

Nor feel upon his shuddering cheek

The kiss of Cariaphas.

Oscar Wilde, July, 7th, 1896.

Cette ballade est encore très vraie aujourd'hui, la misère des condamnés, la tristesse des prisonniers, c'est un hymne au pardon, je pense, et également, un regard posé sans complaisance sur la condition humaine, sur qui nous sommes...

une poète (j'abhorre le mot poétesse), en a fait une réécriture, elle a voulu s'attacher au petit refrain, et a, en quelques sorte, rempli les blancs, sur la façon dont le meurtre s'accomplit. Il glisse ici du plan physique au plan symbolique, sans que cela ne lui enlève rien de sa force. c'est un poème de l'amertume, et de la désolation, un poème d'impuissance de la femme délaissée :

We would have made love this afternoon

Surely we would

We would have run ashore

Wrecked

Torn by an unforgettable grin

A grin that hurts you afterwards

And even while

Such a laugh that keeps a touch of eternity

Don’t even speak of those blue vertigoes

Our lips would have swelled

A fervour of absorption – remember

Our thighs would have wet

With our sweat and his semen

I’d have bruises on my bosom

The signs of his body – printed in mine

My claws on his back

My love for him on him for him to think of me

To think of what we had done and were still up to do

Of how we melted, licked and sucked

Of the bloomy agony of my face

Of how he died in me

It’s all dead now

And late in the night

In front of his mirror

He’d have to remember

Even the more unbearable

The way his soul flickered

A sense of losing himself

What he learnt

How far he went

How mesmerized he felt

And died

Attracted and repelled

A yield to passion, his own

Forgetting of my own craving for him

And thinking

Of how involved he is

And keeps growing

Of his choices

This killing he must…

True love would have found a way out

To escape it

To avoid it

True love would have fought a way out

Out of this necklace of hell – pearls

But he wouldn’t

And this pearl keeps growing into my mind

Grasping more substance

Till there’s nothing left

Rolling and swallowing

An empty seashore

This is my necklace

And I’m slightly stifling

Stifling between.

Saiorse MacCann

Il est intéressant de voir la richesse du texte original de Wilde, la façon dont il peut s'adapter à différents thèmes. A priori, c'étaient surtout des considérations humanistes qui animaient Wilde lorsqu'il l'a écrit, et on voit que Saoirse MacCann a réussi à lui donner un sens autre, sans pour autant annuler le premier. Il est étrange de voir comment la frustration, la colère en quelque sorte, cohabite avec la compréhension. c'est un peu l'idée qu'on se sauve toujours soi-même avant de sauver les autres, et que mis en danger, c'est l'instinct de survie qui prévaut. Ce n'est pas contre l'autre, c'est pour soi... Il n'y a que le véritable amour ("true love" est le titre de ce poème), qui permette de renverser la dynamique, le réflexe de conservation de soi avant les autres, mais il est rare et fugace. ce poème, c'est la prise de conscience amère qu'on ne peut forcer l'autre à nous aimer...


samedi 26 mai 2007

Tomber sept fois, se relever huit


Aujourd'hui, une note un peu particulière, sur un livre que j'aime beaucoup, Tomber sept fois, se relever huit, de Philippe Labro.
le sujet n'en est pas très gai, mais c'est un livre extrêmement utile, important je dirais même, dans la mesure où son sujet est la dépression dans toute son ampleur.

L'auteur, sur un ton très confessionnel nous raconte comment un matin il s'est rendu compte, devant le désarroi de ses proches, devant son propre mal-être, qu'il faisait une dépression. il a toujours pensé jusque là que c'était quelque chose d'étrange, même pas une maladie, mais comme un renoncement de la volonté devant la vie. et le voilà lui-même dépressif, obligé de changer de point de vue, de se rendre compte.

Il nous propose alors une description au scalpel de ses symptômes : insomnies constantes, d'une part parce que le sommeil manque, d'autre part par peur de la nuit souvent, peur des pensées qui ressurgissent, des cauchemars, peur aussi parce que c'est toujours la nuit que les choses changent. Manque d'appétit mais moments de fringale. Envie de ne voir personne et en même temps d'être entouré, serré, pressé sur un coeur. question constante à la bouche, "à quoi bon ?" On remet en question tous les choix qu'on avait fait jusque là et on se demande à quoi bon. c'est comme si d'un coup le sens avait disparu, s'en était caché. On sait qu'un jour on a fait ces choix, qu'ils nous ont parus bons, importants, mais on n'est plus capables de voir pourquoi. On tient un moment en faisant confiance à cet ancien moi qui avait décidé, en se disant qu'il y avait une raison. mais ça ne tient pas longtemps. et comme on n'est plus capable de prendre la moindre décision, même la plus simple, on en reste là, bloqué dans cette impasse. une donné cruciale manque, c'est l'amour de soi, la volonté de se battre pour une certaine idée de ce que l'on veut. On a cessé de vouloir parce qu'une grande fatigue s'est abattue sur nous et qu'on n'a plus la force de vouloir, que c'est trop d'efforts et qu'on voudrait juste... dormir, et on ne peut pas, et la vie ne nous laisse pas en paix, et on est malheureux. c'est un véritable détresse qui s'installe et qui est très souvent incompréhensible à l'extérieur. assimilée à de la paresse, à un manque de volonté, à de la mauvaise foi. pas du tout, simplement, le malade n'a plus la force de se défendre pour prouver le contraire.

Le terme de maladie est justifié dans la mesure où effectivement, il y a bien souvent des causes organiques, l'organisme a été fatigué, longtemps, par une anémie, du surmenage, il a été fragilisé. la corde est tendue, on tire, et au premier choc, elle fini par rompre. et c'est la brisure et la chose, le "break down".

Je vous épargne sa chute pour passer au moment où Labro nous décrit alors comment sa femme, sa famille l'a patiemment aidé à s'en sortir. Comment il a essayé différents psy, ce qu'ils lui ont apporté, comment il a fini par trouver les bons anti-dépresseurs - ça ne marche pas de suite - l'étrange réconfort des pilules qui, tout en pointant le mal du doigt, nous disent aussi que ça va aller parce qu'elles sont preuves que quelqu'un s'est intéressé à notre cas, et est là, pour nous tirer la tête hors de l'eau. La remontée est lente pour lui, il vient de bas, très bas. Il n'a essayé de mettre fin à ses jours, heureusement, mais, c'est l'occasion là d'ouvrir une parenthèse polémique.

Beaucoup de dépressifs se suicident. On le sait, on l'attribue justement à leur maladie. en un sens oui, mais la volonté de mourir n'est pas toujours là. souvent, c'est le quelle importance qui domine, quelle importance de continuer, je n'ai plus de projets, je ne tiens plus à ceux que j'avais de toute façon. là, oui, c'est conscient. mais il y a aussi les gens qui avalent trop de pilules. parfois, c'est simplement le désir d'oubli, de dormir un peu. les nuits sont si difficiles, les réveils encore pire, ils ont besoin et envie de dormir. et un dépressif, n'accordant d'importance à rien, est rarement capable de se souvenir des quantités de médicaments qu'il avale...


Labro, en une grosse année, s'en est sorti. il a eu de la chance. il n'en reste pas moins qu'il est marqué à vie apr cette expérience. même s'il est plus solide aujourd'hui qu'hier. il y a aussi la constante angoisse de la rechute, parce que ce qui a été supporté une fois, on n'est plus sûrs de pouvoir le faire une deuxième. Il y a la culpabilité, un dépressif se sent toujours coupable, parce qu'il est porté à l'auto-dévaluation, et nombreux sont les gens qui, consciemment ou non, en profitent pour déverser sur lui toutes les responsabilités, vu qu'il ne lutte plus. et d'autre part, la dépression n'est jamais quelque chose dont on guérisse vraiment.

Elle a un avantage toutefois, c'est qu'elle développe une certaine acuité mentale, une certaine sensibilité exacerbée à la vie. les détails n'échappent plus après, on sait le prix d'une demi heure sur un banc dans un soleil de printemps... beaucoup d'artistes sont ou ont été dépressifs. et cela sert leur création. cela développe leur sensibilité à la douleur, au sentiment douleur, pour l'avoir éprouvé dans leur âme, cela développe leur esprit fantasque, à cause des crises de paranoïa dont ils ont été les victimes. et surtout, on ne sait qui vient le premier, de l'oeuf ou de la poule, est-ce la difficulté de la création qui les a rendu dépressifs, ou parce qu'ils sont dépressifs qu'ils ont pu devenir artistes. à regarder nos grands peintres, écrivains, sculpteur, on a l'impression que si l'on n'a pas souffert de mélancolie, on ne peut créer. rares (et précieux) sont les artistes heureux. et dans tous les cas, ils ne naissent pas heureux, ils le sont devenus, ils se sont voulus l'être...

jeudi 24 mai 2007

"insomnia"





Non, pas moi pour une fois - enfin, la question ne se pose pas là précisément - mais un des poèmes de Bishop. Un de mes préférés...





The moon in the bureau mirror
Looks out a million miles
(and perhaps with pride, at herself,
But she never, never smiles)
Far and away beyond sleep, or
Perhaps she’s a daytime sleeper.


By the universe deserted,
She
’d tell it to go to hell,
And she’d find a body of water,
Or a mirror, on which to dwell.
So wrap up care in a cobweb
And drop it down the well


Into that world inverted
Where left is always right;
Where the shadows are really the body,
Where we stay awake all night,
Where the heavens are as shallow as the sea
Is now deep, and you love me.

Je ne vais pas vous en faire un vrai commentaire, quand bien même l'envie en est grande, mais quelques mots tout de même. A la fois parce qu'il me passionne et pour une amie qui m'a dit vouloir jeter un oeil à Bishop. La voici sur un plateau.

Ce poème fut un enfer à traduire. Je ne la mettrais pas sur le blog d'ailleurs parce qu'elle n'est pas protégée par contre, et j'y tiens. Un enfer dans la mesure où ce qui fait tenir ensemble ces vers qui ne riment pas, c'est tout d'abord leur musicalité. Quand on les lit, on croit la voir, cette pièce, on croit y être. Ecoutez la douce léthargie de moon, mooooon, les allitérations en R, trainantes, avec un bel accent du Sud (des Etats Unis). Le décor est déjà planté, rien qu'à l'entendre, on sent cette atmosphère...

Alors après, après, c'est tout d'abord un poème de l'insomnie justement, la narratrice est dans son bureau, contemple les jeux de la lune, nous les fait partager dans un poème. Elle fantasme sur cette lune, elle l'humanise, l'anthropomorphise, elle a un visage, mélancolique, elle regarde au loin, vaguement, orgueilleuse de toute façon, parce qu'elle est seule, là en-haut, que voit-elle, quand elle se regarde, cette solitude... C'est tout ce qu'elle a, il faut bien qu'elle essaie d'en tirer sa subsistance, sa satisaction... Elle vit à rebours, parce qu'elle dort jour, c'est presque un oxymore, daytime sleeper. Et encore une anthorpomorphisation. Elle est si seule que cette solitude prend des dimensions cosmique, l'univers lui-même est désert, elle est seule au pouvoir, elle peut donc jurer en son nom, et réagir, créer une fiction, un autre monde. On dit souvent que la lumière de la lune change la réalité, c'en est là le meilleur exemple...

On a doucement glissé de la lune observée par la narratrice, à la lune comme protagoniste du poème, vous avez vu... ? Avec toutes ces personnifications, cela marche, on la prend pour une femme, et qui donc ? Hécate... c'est Hécate la lune...la fin du poème le prouvera, mais plus encore, c'est Circé, la Circé qu'Ulysse à abandonnée, et qui vient à se confondre avec Hécate, qui se dessine là. Oh, rien de tangible, un sentiment, une coloration. Parce que la lune se met en colère, qu'elle veut punir, elle envoie au diable, ce n'est pas rien. Et elle s'en va. La lune, élément féminin par nature, cheche un corps d'eau, une autre réflection, pour être moins seule, parce que c'est son élément, et aussi, surtout, parce que c'est là dont elle tire son pouvoir.

L'un des thèmes récurrents du poème, c'est l'inversion, dès le départ : l'inversion du reflet, l'inversion de l'insomniaque qui dort le jour, l'inversion des reflets dans l'eau, dans les miroirs, qui de concrète - technique - devient abstraite, créant un fantasme, dans le dernier paragraphe. Suivent là les deux plus beaux vers du poème : "wrap up care in a cobweb and drop it down the well" : enveloppe le souci dans un toile d'araignée et jette le au fonds du puits. C'est joli, parce que, j'aime à la croire, care peut se lire dans les deux sens, soit le souci, dans la mesure où la lune hausse les épaules, elle se sent délaissée, seule, et bien elle tourne le dos et jette ses soucis, arrête d'y penser. Ou mieux, plus fin je crois, plus beau en tout cas, comme c'est un impératif, elle s'adresse à un éventuel partenaire : et que lui dit-elle, que son affection, son soin pour elle, il peut bien le garder, ou justement non, le jeter, en un sens, elle n'y croit plus, et elle rejette l'affection, décevante, à ses yeux, qu'on a pour elle. Elle demande alors, dans un moment d'orgueil, emballe ton affection dont je ne veux plus dans un toile d'araignée - c'est à la fois misérable et très beau - et jette-là. Et où ? Là où il y a de l'eau... elle rejette cette affection, mais il y a fort à parier que c'est comme l'une de ces lettres, qu'une fois laissée seule, elle s'empresse d'ouvrir. Ce n'est pas pour rien qu'elle demande de la jeter dans l'eau. Elle la rejette maintenant, mais elle veut pouvoir y penser avec nostalgie plus tard. Plonger dans ses souvenirs.

Et en effet, le puits, c'est le même que celui d'Alice aux pays des merveilles, il mène vers un autre monde fantasmatique, un monde où toutes les valeurs sont inversées. Au départ, c'est joli, c'est un monde où on l'aime... Mais bien vite, par opposition, on ressent la misère du monde dans lequel elle vit : elle vit avec les ombres, elle vit à contre-temps du reste du monde. Et pire, on comprend la fin, c'est une très belle façon de parler d'une réalité pas si jolie, plutôt misérable, une fois encore, dans ses sens français et anglais. Ce monde, inversé, où elle est aimé, il fait pièce à un monde, où, de façon évidente, il, l'interlocuteur fictif, ne l'aime pas. Là gît tout le drame du poème.

Là se révèle aussi Hécate, la phrase a deux autres contraires : où je t'aime, logique, on le svait depuis longtemps, mais plus loin aussi, si on joue avec les pronoms, un monde où tu m'aimes, face à un monde où je te hais... c'est aussi celle-ci la réalité du poème, mais elle est moins évidente, parce qu'elle est mélée, dans la fin comme dans l'âme de la lune, et qu'elle est douloureuse, c'est là, et en même temps, obligé de cohabiter avec ce "je t'aime", ce n'est pas là non plus. Hécate ici dit une chose et son contraire, et reste cohérente. Elle aime et aimerait être aimée, elle n'est pas aimé et hait pour cela. Et parce qu'Hécate est cruelle et se venge, elle envoie au diable, au nom de tout l'univers, parce qu'elle a sa fierté, et qu'elle vaut plus que cela, son miroir le lui dit bien. Poème du mal d'aimer s'il en fut, où la lune aime et hait, par orgueil, où elle se sait non aimée et aimerait cesser d'aimer, pour regagner sa propre - estime, pour rester digne de son reflet.

C'est cela Bishop, ces petits glissements successifs, ce monde inversé, ces suggestions incessantes. Au demeurant, elle n'aime que peu ce poème, elle en regrette surtout le dernier vers, trop investi, trop émouvant... Il donne la clef du poème et pour pudique qu'elle est, ce moment de faiblesse où elle se révèle est génant, comme un lendemainde fête en se remémorant la nuit d'ivresse et ses excès. Bishop, c'est un ensemble très calme, très contrôlé, avec quelques nuits d'ivresses qui explosent de temps à autre au détour d'un vers. Et je suis le chat qui guette la souris - Bishop se révélant au grand jour, ne fût-ce qu'une seconde, qu'un vers...



mercredi 23 mai 2007

pour un oui ou pour un non



de sarraute ? vous connaissez ? non, pas celle de Ruquier, quand même...
C'est une petite pièce de théâtre illustrant sa théorie de la "sous-conversation". C'est assez drôle, jusqu'à ce que ma page s'affiche, j'étais partie, sur un coup de tête, et pour parler aussi, tout bêtement, il m'arrive de me sentir seule aussi, de reading Lolita in Tehran. Ce livre est en passe de devenir ma nouvelle Bible et dieu sait que je me damnerai pour vous faire comprendre, ne serait-ce qu'une once de ce qu'il représente pour moi. Ca dépasse malheureusement largement le cadre d'un post. Mais vraiment, elle rejoint Semprun dans mon Panthéon personnel, c'est pour dire, si elle ne l'a pas déjà dépassé.

Et je repensai à ma journée pas terrible, à mes soucis des jours passés, au martyr de mes pieds, j'envisageais vaguement de faire une note sur pourquoi, et non, Le nom de la rose ne fait pas de la Bible le livre de l'obscurantisme, comme j'ai pu l'entendre de façon malheureuse aujourd'hui. Et Sarraute est apparue comme une évidence... mes jours passés, c'est exactement ça. Il y a vraiment un livre pour chaque moment de la vie je crois. Quant à le connaître, c'est une autre histoire, mais en l'occurrence, c'est le cas.

Pour un oui, pour un non c'est l'histoire d'une dispute qui a pour base un malentendu. C'est extrêmement fin comme écriture je dois dire, parce que rendre ça est vraiment extraordinaire. Nous avons deux personnages : H1 et H2 (non, ce n'est pas moi qui ai Alzheimer, c'est leur nom), ils étaient très amis, et se sont perdus de vue. Un jour l'un revoit l'autre, et ils éclaircissent ce qui les a séparé. Une petite phrase. Même pas, une intonation. L'un des deux, je ne sais plus lequel, disons H1, raconte quelque chose à H2, quelque chose qu'il a entrepris, qui lui tient à coeur (je me demande si ce n'est pas son nouveau travail, comme quoi, ce ne sont pas tant les détails qui importent, la lettre, mais l'esprit !). Il en est plutôt fier. Et H2 a une réponse malheureuse : "c'est bien, ça...".

Ca a l'air anodin comme cela, mais jouez avec cette phrase, elle est passe-partout, peut exprimer une chose et son contraire : l'enthousiasme partagé, la joie pour son ami, l'indifférence distraite, la moquerie, l'ironie... On ne maîtrise pas toujours nos petites intonations, et il y a une mine, que dis-je, un abîme de sens qui gît là ! C'est la clef de l'interprétation d'une phrase, son intonation. Et celle de H2 semble vaguement ironique, méprisante à H1, qui est blessé. Et H2 ne comprend pas pourquoi, ce n'est qu'une phrase. H1 lui explique, lui montre tout ce qui gît derrière cette phrase, tout ce qu'il y a vu, tout ce qu'il y a perçu parce que ces doutes le rongeaient depuis longtemps... C'est vrai, livrés à nous-mêmes, obligés d'interpréter un intonation comme cela... On fait avec ce que l'on a, on s'agrippe au passé, aux autres impressions. H1 s'est toujours demandé si H2 ne le prenait pas un peu pour un idiot. Soit que ce fût en partie vraie, soit qu'il eût cette angoisse, ce qui, en soit, ne fait pas grande différence... Et suffit cette phrase, une de plus, une de trop, qui vient confirmer, justifier ses doutes... c'est en fini, c'est la rupture, le clash, pour ça, dirait H2, pour tout ce qu'elle révèle et résume parfaitement, dirait H1...

Ils ne se réconcilient pas à la fin de la pièce, ils ont fait le tour de leurs différents, et sont au moins tombés d'accord sur le fait qu'il y a cette foule de petites choses qui les dérange chez les autres, les a toujours un peu gêné aux entournures, et qui, si ce n'était pas le cas au départ, reconstruit, a posteriori, le sens ironique de cette phrase. Peu importe en fait qu'elle fut prononcée dans ce sens ou non au départ, aujourd'hui, ce sens lui va parfaitement. C'est la fin de cette amitié.

Certains diront, pour un malentendu. Non, ça n'a rien à voir. On ne se dispute pas quand il n'y a qu'un malentendu, on l'éclaircit, on le met à jour. Mais ce n'est possible que si on ne s'enfonce pas davantage dans les abîmes autour. Sinon, ce n'est plus un malentendu, c'est un révélateur... La sous-conversation chez Bishop, non, Sarraute bon sang, c'est cette conversation qui courre sous les mots, à côté du langage, et qui est un autre langage, s'adressant davantage au sens et qui vient faire concurrence au langage purement textuel (si on peut dire). Et entre les deux, devinez qui a toujours le dernier mot ?



lundi 21 mai 2007

Miller, l'immoraliste

"La rupture dans la continuité" aujourd'hui. Non, je ne vais pas parler politique, mais de Henry Miller. Rupture, parce que d'habitude je ne prends pas position sur des livres aussi crus, ou disons mieux, je ne dirais pas forcément que je les lis comme cela, de façon anodine. Ils sentent un peu le souffre tout de même. Continuité, parce qu'en un sens, il est plus que logique que je fasse cette note aujourd'hui, après la semaine que je viens de passer, après le passage que je viens de lire dans reading Lolita in Tehran. la semaine que je viens de passer m'a rappelé de ne pas juger les gens sur leurs écrits. Spécialement quand on se dit littéraire... mais le recul manque parfois, et il n'est pas facile à conquérir. Après ce passage : parce que dans celui-ci, l'auteur explique un différend qu'elle a eu avec ses élèves, pile pendant la Révolution islamique, sur l'opportunité ou non de lire Gatsby. Parce qu'il est profondément immoral. La lecture est jugée corruptrice par les plus durs de ses élèves. Lire cette apologie de l'adultère, de l'argent facile, de la tromperie, c'est apprécier ces valeurs, y adhérer, et trahir la Révolution islamique. Et l'auteur y fait un petit rappel, elle remet les choses à leur place, parce que dans Gastby, Nick montre bien que l'envers du rêve américain c'est son prix, et qu'il peut être très élevé. parce que c'est un roman et pas une Bible, pour faire court, qu'il vaut par son pouvoir de dérangement, de dénonciation, de bouleversement des habitudes...

Alors Miller, pour ceux qui ne connaissent pas, et ils sont nombreux je pense, ce n'est déjà pas Arthur, (Monsieur Mort d'un commis voyager, alias l'un des époux de Marilyn Monroe aussi accessoirement). C'est Henry. Un auteur très libre, très anticonformiste, qui a fait partie des américains exilés à Paris pendant l'entre-deux guerres, comme Hemingway par exemple... de cette génération d'artistes bohèmes, pour faire court. Son oeuvre peut-être majeure, c'est "la crucifixion en rose", composée de Sexus, Plexus et Nexus. je dis peut-être parce que c'est quand même un très grand auteur, donc... le choix est délicat. Et elle a été censurée pendant de très longues années. Pourquoi ? Pour sa crudité absolue. Lady Chatterley, à côté, c'est du petit-lait.

C'est l'histoire, Sexux, d'un homme, qui se cherche écrivain, et qui erre, il est marié mais cela ne va plus trop avec sa femme, et il en rencontre une autre qui l'envoûte : Mona. Il en tombe amoureux, il la suit, il reste avec elle. Une histoire d'amour somme toute banale. à la différence près que Miller ne nous en cache rien, il nous convie dans sa chambre à coucher comme si cela lui était, en un sens, une stimulation supplémentaire, ou une forme de communion générale dans la célébration de la vie. Miller est, littéralement, un homme de chair et de sang, et qui s'assume au-delà de toute espérance. C'est cette liberté en elle-même qui, je le pense, est dérangeante. parce que nous, déjà, nous ne ferions sans doute jamais cela, comme ça, dans la rue le soir en rentrant chez soi, même déserte... et nous ne serions pas davantage capables de le dire. Lui si. sans problème apparent. et ce n'est jamais... pornographique, parce qu'il a une véritable verve, parce que c'est de la littérature avant tout, un roman, et pas de gare, parce qu'il y a quelque chose dans ces périodes jubilatoires, jouissives, extatiques, qui vont bien plus loin que ce qui est en train de se passer. pour lui, le sexe relève d'une expérience fondamentale de la liberté et de la condition même de l'homme. Pour une fois, je l'entends au sens restreint : du mâle : désirer, être satisfait - désirer encore. se sentir dans cet état de perpétuelle incomplétude et frustration, hormis quelques minutes volées de ci de là qui, pour un instant, oblitèrent toute conscience d'autre chose. Miller montre au grand jour ce que la société a de plus enfoui pour nous. c'est un en sens un livre sein à bien des égards, déculpabilisant, libérateur, drôle, et profond, aussi. On peut être tout cela à la fois.

On commence à voir en quoi il n'est pas toujours bon l'avoir sur ses étagères suivant les gens qu'on invite chez soi... Le problème fondamental que pose ce genre de livres, au même titre de ceux de Nabokov, de Lawrence, de Flaubert à l'époque... c'est qu'il met à nu de l'impolitiquement correct. des choses qu'on a beau désirer faire, que l'on s'interdit pourtant au nom de la morale, ou de la timidité... et il nous met face à face avec celles-ci dans une confrontation soit sidérante, soit insoutenable. Deux seules positions sont possibles, l'adhésion ou la condamnation. Condamnation pourquoi, pour incapacité à accepter cela, pour refuser d'avoir quoi que ce soit de commun avec un homme pareil. Non pas qu'on mène une vie chaste, mais, enfin quand même, lui.... c'est un dépravé. Et l'aimer ferait de nous des dépravés au même titre, pensée insoutenable, s'il en est.

Ou non pensée... parce que là est l'erreur... depuis quand un roman est-il un encouragement à l'adultère, au meurtre, à la dépravation, que sais-je... c'est nier le sens de la littérature en lui-même que de raisonner ainsi... Un roman, c'est avant tout un regard offert sur la réalité. c'est une façon de la voir, de dire, regardez la façon dont moi je la perçois. on montre de nouvelles choses, ça peut toujours servir. mais ça ne va pas au-delà. ON peut lire sans adhérer. On peut lire en réfléchissant. Pire on peut apprécier sans faire pareil le livre à peine refermé. On peut lire sans moraliser parce que là n'est pas la question et que la littérature va bien au-delà de cette foutue morale qu'on nous met sans cesse dans les pattes. la morale, c'est une façon de dicter leur conduite à ceux qui n'ont pas l'intelligence ou le courage d'inventer eux-mêmes leur propres règles. cela me fait sans cesse penser au traité théologico-politique de Spinoza où il explique qu'il a fallu donner les tables de la loi aux Hébreux pour les faire vivre ensemble, sans s'entretuer, leur faire peur étant la seule façon de les faire obéir... J'estime personnellement que si on se refuse à un péché, un délit, je ne sais pas... imaginons, le meurtre... par peur du châtiment plutôt que parce qu'on a le sentiment profond de l'illégitimité d'un tel acte... c'est assez pathétique. Du jour où l'invisibilité - alias l'impunité - deviendra possible, il ne fera plus très bon vivre... et ça, on le savait dès Platon et son anneau de Gygès...

La morale, la mauvaise morale, celle des irréfléchis, des adeptes du prêt-à-penser, celle de la facilité est méprisable et condamnable, elle ne vaut guère mieux qu'un état de nom droit, une dictature ou régnerait le plus fort, qui édicterait ses lois auxquels on obéirait parce que le dictateur nous fait peur plutôt parce qu'on en éprouve soi-même la justice. Mais bon, l'expérience prouve qu'il est plus simple de faire obéir les gens à une morale générale qu'à leur sens de l'éthique. si tant et plus est qu'il en aient. Mais le sens de l'éthique n'est pas toujours si rare non plus. La société ne tiendrait déjà plus si c'était le cas.

Pour en revenir, et en terminer avec Miller, je dirais que j'ai décidé cette fois de le laisser à sa place sur mes étagères, non pas que je me fiche de ce qu'on en pense, ou que cela me plairait qu'on fasse l'amalgame livre de débauche égale moeurs débauchées. Mais je me dirai plutôt que tant pis... Cette personne n'aurait rien compris, et tant qu'à faire, je préfère être vue comme esprit libre, c'est quand même ainsi qu'on pense le mieux ...






samedi 19 mai 2007

Melancholia


I couldn't get much of a wink of sleep this night, which never fails to summon some kind of soft and depressed melancholy in me. Melancholy speaks English to me. Melancholy over years past and gone, over people i used to love, over friends with whom i lived. Over all those things coloured in soft ones, mildly turning into one's head when in that state between tireness and utter excitment.

Today, my melancholy focuses on some particular poems i used to read over the past few years, and whose rhymes are still haunting me sometimes, still crossing my mind in some fleeing epiphany, leaving only some sense of beauty, some sense of a life that could have been, like some other path i could have walked. Though there was none. They've just become parts of my life, something i could have lived, had i wanted to...

Let me express to you my nostalgy of those lives running behind and besides mine. I'll comment them - in French - some other day.

It was not death, for I stood up,

And all the Dead, be down –

It was not night, for all the Bells

Put out their Tongues, for Noon.

It was not Frost, for on my Flesh

I felt Siroccos – crawl –

Nor Fire – for just my Marble feet

Could keep a chancel cool –

And yet, it tasted, like them all,

The figures I have seen

Set orderly, for Burial

Reminded me, of mine –

As if my life were shaven,

And fitted into a frame,

And could not breathe without a key,

And’t was like Midnight, some –

When everything that ticked – has stopped –

And space stares all around –

Or grisly frosts – first Autumn morns,

Repeat that Beating ground

But, most, like Chaos – spotless – cool –

Without a chance, or spar –

Or even a report of Land

To justify – Despair

Emily Dickinson (1862 ?)

642

Me from Myself – to banish

Had I an Art –

Invincible my fortress

Unto my Heart –

And since Myself – assault Me

How have I peace

Except by subjugating

Conscious men?

And since we’re mutual Monarch

Haw this be

Except by Abdication

Me – of – Me.

Emily Dickinson (1862 ?)

I heard something break…

I thought I was strong enough

I thought I was well enough

And, most of all, I though that you, were enough

To save me from myself

Seems like you’re not

I must have been mistaken, somewhere,

Perhaps the part when I thought I could be saved at all

Perhaps the part when I thought there was a way out

Out of my breakdown

Out of sadness, loneliness tiredness and all the othersness…

Out of me…

Tonight, no positive ending, no happy conclusion at all

For all I want is weep my soul out

Till I’m dried out like an old apricot and shrink

Come back to the unconscious state

Well, I still can, but, in a way, I promised

Not exactly to you, but rather to me first,

The day I made me bleed, I decided I wanted to change

That suffering was not my path, that I wanted something else

And all those months later, look where I stand, to that very point,

Exuding tears,

Biting my lips…

No one is never gonna save me, Lily won’t, and even if you wanted,

You couldn’t do better,

And it’s a lie, when people say you can choose your life, do what you want, moan and regret, or turn your head and smile, because you can’t… you’re just glued to that shit,

And god knows that…

So well, just face it, face it and close your eyes, for nothing’s never gonna change while you’re not looking

And there’s nothing anyone can say, or do, to help

All you’ve left, all you will ever have left, as long as you want it, is hope

Hope that some day,

Hope that a miracle,

Hope that… anything,

Just hope, and fight your bloody way out, waiting for the unexpected…

Till something breaks out…

Just pray it’s not you…

And in case it should be… seize the day…

This, at least, won’t be robed.

‘But there is just…

That fear…

That I might spoil you as well… or lose you…


Saoirse MacCann, 1926.

Argument

Days that cannot bring you near

Or will not,

Distance trying to appear

Something more than obstinate,

Argue argue argue with me

Endlessly

Neither providing you less wanted nor less dear.

Distance: Remember all that land

Beneath the plane;

That coastline

Of dim beaches deep in sand

Stretching indistinguishably

All the way, all the way where my reasons end ?

Days: and think of all those cluttered instruments,

One to a fact,

Cancelling each other’s experience;

How they were like some hideous calendar

“Compliments of Never and Forever, Inc.”

The intimidating sound

Of these voices

We must separately find

Can and shall be vanquished:

Days and Distance disarrayed again

And gone

Both for good and from the gentle battleground.

E. Bishop, a cold spring.

Silent is the house – all are laid asleep

“He comes with western winds, with evening’s wandering eyes,

With that clear dusk of heaven that brings the thickest stars;

Winds take a pensive tone, and stars a tender fire

And visions rise and change which kill me with desire-

Desire for nothing known in my maturer years

When joy grew mad with awe at counting future tears;

When, if my spirit’s sky was full of flashes warm,

I knew not whence they came, from sun or thunderstorm;

But first a hush of peace, a soundless calm descends;

The struggle of distress and fierce impatience ends;

Mute music soothes my breast – unuttered harmony

That I could never dream till earth was lost to me.

Then dawns the Invisible, the Unseen its truth reveals;

My outward sense is gone, my inward essence feels-

Its wings are almost free, its home, its harbour found;

Measuring the gulf it stoops and dares the final bound!

Oh, dreadful is the check – intense the agony

When the ear begins to hear and the eye begins to see

When the pulse begins to throb, the brain to think again,

The soul to feel the flesh and the flesh to feel the chain!

Yet I would lose no sting, would wish no torture less;

The more that anguish racks, the earlier it will bless;

And robed in fires of Hell, or bright with heavenly shine,

If it but herald Death, the vision is divine.”


Emily Jane Brontë, 1845


Rodin's day today. To me at least...