dimanche 13 mai 2007

Fuck Patois

Une note peu orthodoxe aujourd'hui. Il y a une bonne année, j'ai lu I am Charlotte Simmons, de Tom Wolfe. C'est un pavé, mais alors du genre excellent. Impayable du début à la fin. Un très bon moment. Il y suit trois personnages, dont le principal est Charlotte, en bonne logique, qui ont intégré l'une des plus perstigieuses universités américaines, ici Dupont. Charlotte est une fille de la campagne profonde, qui est très douée, a sauté une classe, réussit merveilleusement bien tout ce qu'elle entreprend, mais sur le point de vue scolaire. Elle vient d'une famille tout de même assez pieuse, elle n'est pas souvent allée en ville, n'est jamais sortie avec un garçon, a été élevée dans un milieu modeste, donc n'a pas eu l'occasion de faire un tas d'expérience que les autres jeunes de son âge ont déjà fait. Et elle intègre cette université. Alors évidemment, elle est ravie, pour elle, elle entre au temple du savoir. Enfin débarassée de ces boulets de sa classe qui ne comprennent rien à rien, de ces gens qui la regardent bizarrement parce qu'elle est intelligente.

Et là, elle arrive sur place, et ce n'est pas tout à fait ça. Sa copine de chambre est une fille très riche, très libérée, très superficielle et un peu cruche sur les bords, qui est là parce que Papa peut lui payer l'université, et qui regarde Charlotte comme si elle venait de Mars. Et elle se rend compte que beaucoup d'étudiants sont comme cela. Qu'elle appartient de nouveau à la minorité. Seulement là, elle en a assez, elle veut un nouveau départ, une nouvelle chance. Elle essaie de se faire des amis, fraye avec les gars d'une fraternité, la plus cool du campus en plus. Mais du coup... elle n'est pas prête pour cette vie-là non plus. Appartenir, oui, mais à quel prix ? Elle est un peu perdue, un peu entre deux chaises... Et c'est assez drôle de suivre ses expériences dans le livre, car le narrateur ne lui passe rien, certes, on compatit, on s'afflige, on s'identifie, mais aussi, il la prend avec ironie quand il faut, il ne l'excuse pas. Quand elle se lave dans les lavabos de la salle commune en bas parce que c'est le seul endroit où on peut fermer à clef, et qu'elle est horrifiée par les salles d'eau communes en haut, il ne se prive pas de se moquer un peu, gentiement, mais quand même, il montre qu'elle n'est jamais sortie de chez elle, pour faire court. Et c'est une écriture très intelligente du coup, parce qu'elle semble très juste, elle n'est pas aveugle sur son personnage.

Après, on a quelques personnages secondaires. Il y a le gars de la fraternité, je ne me souviens plus de son nom, qui est archi cool, à qui tout réussit, les filles, les potes, les études (sans en fiche une), mais bon, avec lui, on voit que tout n'est pas gratuit non plus, et qu'on finit toujours par récolter ce qu'on a semé. Il est une version extrême de Charlotte, il est aussi venu là grâce à une bourse, mais lui par contre a été près à toutes les compromissions, tous les sacrifices pour renier son passé et devenir l'une des stars les plus populaires du campus. Sauf que tout se paie.

Ensuite, on a le jour de basket blanc, Jojo, dans une équipe, comme souvent aux E-U, majoritairement noire, à part son pote et lui. Du coup, il doit sans cesse prouver que oui, il a sa place dans son équipe. Mais l'autre danger, en un sens pire, est de n'être toujours que le joueur de basket. La politique des facs en général est de donner des passe droits aux sportifs pour qu'ils soient les meilleures possibles, mais dans leur sport. Sauf qu'il y a toujours un moment où un prof râle et refuse de falsifier les notes. Et là, le joueur doit prouver qu'il a un cerveau. D'autant plus que dans son cas, ça le rend un peu dingue de n'être toujours pris que pour un tas de muscles tout juste bon à faire des paniers. Sauf qu'il n'a jamais étudié, donc il a un fossé à combler. Et à trop vouloir le faire... il s'attire les foudres de son entraineur...

Wolfe va ainsi croquer des tas de perosnnages typiques des facs américaines, mais en même temps, en les individualisant vraiment, en leur donnant une réelle personnalité, ce qui rend le roman d'autant plus riche. Et lui permet alors de créer une fresque satirique extraordinaire de cette micro-société. On passe vraiment un excellent moment, - un peu comme dans du Bret Easton Ellis, en moins sombre - parce qu'il y en a pour tous les goûts, personne n'est épargné. On s'identifie à plein de monde, et on se remet en question sous plein d'angles différents. C'est vraiment un excellent moment.

Pour vous donner une idée, je vous mets un petit extrait, bon extrême en un sens, tout le livre n'est pas comme cela, mais qui donne vraiment une bonne idée de la verve critique et satirique de Wolfe :

“hey Jojo, what’s going on ? Maybe i’m blind, but it looks loke that kid’s pounding the shit outta you.”

(…)

“If you really wanna now the truth, it’s worse than that. The fucking guy’s talking shit, Mike.”

“Like what ?”

“he’s like, “what the fuck are you, man, a fucking tree ? You can’t move for shit, yo.” Shit like that. And he’s a fucking freshman.

What the fuck are you, man, a fucking tree ? he said that ?” Mike began to chuckle. “You got admit, Jojo, that’s pretty funny.

“Yeah, it’s cracking me up, and he’s hacking and shoving and whacking me with his fucking elbows. A fucking freshman! He just got here !”

Without even realizing what it was, Jojo spoke in this year’s college Creole : Fuck Patois. In Fuck Patois, the word fuck was used as an interjection (“what the fuck” or plain “Fuck”, with or without exclamation point) expressing unhappy surprise; as a participial adjective (“fucking guy”, “fucking tree”, “fucking elbows”) expressing disagreement or discontent; as an adverb modifying or intensifying an adjective (“pretty fucking obvious”) or a verb (“I’m gonna fucking kick his ass”); as a noun (“that stupid fuck”, “don’t give a good fuck”); as a verb meaning Go away (“Fuck off”), beat – physically, financially, or politically (“really fucked him over” or beaten (“I’m fucked”), botch (“really fucked that up”), drunk (“you are so fucked up”); as an imperative expressing contempt (“fuck you”, “fuck that”). Rarely – the usage has become somewhat archaic – but every now and then it referred to sexual intercourse (“He fucked her in the carpet in front of the TV).

Personnellemnt, je trouve ça quand même très fort d'arriver à faire une étude linguistique tout ce qu'il y a de plus sérieux, avec le plus grand calme du monde, sur les emplois de "fuck". Le livre entier est à l'image de ce décalage, de cette douce et discrète ironie, qui en fait, par certains cotés, même si c'est un peu tiré par les cheveux, me rappelle Stendhal vis-à-vis de Fabrice (dans un moment d'égarement profond j'ai mis Frédéric ce matin, le héros de L'éducation sentimentale, mais c'est bel et bien de Fabrice dont je parlais, mea culpa, et merci M.) dans la Chartreuse de Parme.


3 commentaires:

ssbsong a dit…

Un excellent livre en effet. Je ne l'ai pas encore fini et c'est un vrai bonheur. Je n'arrive pas à imaginer ce qu'il peut donner en français.
Pas un mot sur le Shit Patois ?

Lenora a dit…

je trouve le fuck patois plus drôle... et comme je n'ai sap toute de suite directement retrouvé la page de l'autre, comme je me suis dit que si je mettais les deux, ça ferait beaucoup... j'en suis restée là.
contente de rencontrer un autre lecteur de Wolfe !

Anonyme a dit…

Il est effectivement très fort Wolfe dans l'observation des tics linguistiques, y compris ceux des étudiants WASP - "like totally" etc... J'aime aussi sa façon de rendre le parler "hick" de la famille de Charlotte...