mercredi 30 mai 2007

Lady Lazarus

Aujourd’hui, une note sur une de mes poètes (sic) favorites : Sylvia Plath. Elle n’est pas très connue, comme souvent, davantage tout de même sue celles que je cite habituellement. Elle fut l’épouse de Ted Hughes, pendant quelques années, si cela peut aider quelques uns à la situer…

Sylvia Plath est ce que l’on peut appeler une âme tourmentée. Profondément malheureuse, certes, mais également capable d’être heureuse. La grande fêlure de sa vie fut la perte de son père, lorsqu’elle avait une dizaine d’années. Ce fut un drame incommensurable dans sa jeune existence. Il était allemand me semble-t-il. Sylvia commença a écrire assez jeune, elle était douée, même brillante ne fait. Mais une chose lui résista toujours, l’allemand. Tout au plus pouvait-elle le comprendre, mais le parler… ça… c’était trop intimement lié au père sans doute.

En fac, elle rencontra Hughes, navigua dans le cercle de ses amis poètes. Son talent était très apprécié, on dit même que son mari en était jaloux. Mais ce n’est pas tant ce qui importe au fond. Elle eu quelques années heureuse avec lui, puis sa souffrance personnelle repris sans doute le dessus, et leurs désaccord les firent se séparer. Elle vécut alors seule quelques années avec sa fille, écrivant le matin, aux petites heures du jour, pendant que sa fille était encore couchée. Et un beau jour, elle mit la tête dans le four me semble-t-il. Son mari s’occupa alors de faire publier ses œuvres, ce qui fut, là encore, largement matière à controverse. Parmi ses poèmes, un en particulier a toujours suscité de nombreuses questions en moi :

Lady Lazarus

I have done it again.
One year in every ten
I manage it-----

A sort of walking miracle, my skin
Bright as a Nazi lampshade,
My right foot

A paperweight,
My featureless, fine
Jew linen.

Peel off the napkin
O my enemy.
Do I terrify?-------

The nose, the eye pits, the full set of teeth?
The sour breath
Will vanish in a day.

Soon, soon the flesh
The grave cave ate will be
At home on me

And I am smiling woman.
I am only thirty.
And like the cat I have nine times to die.

This is Number Three.
What a trash
To annihilate each decade.

What a million filaments.
The Peanut-crunching crowd
Shoves in to see

Them unwrap me hand in foot ------
The big strip tease.
Gentleman , ladies

These are my hands
My knees.
I may be skin and bone,

Nevertheless, I am the same, identical woman.
The first time it happened I was ten.
It was an accident.

The second time I meant
To last it out and not come back at all.
I rocked shut

As a seashell.
They had to call and call
And pick the worms off me like sticky pearls.

Dying
Is an art, like everything else.
I do it exceptionally well.

I do it so it feels like hell.
I do it so it feels real.
I guess you could say I've a call.

It's easy enough to do it in a cell.
It's easy enough to do it and stay put.
It's the theatrical

Comeback in broad day
To the same place, the same face, the same brute
Amused shout:

'A miracle!'
That knocks me out.
There is a charge

For the eyeing my scars, there is a charge
For the hearing of my heart---
It really goes.

And there is a charge, a very large charge
For a word or a touch
Or a bit of blood

Or a piece of my hair on my clothes.
So, so, Herr Doktor.
So, Herr Enemy.

I am your opus,
I am your valuable,
The pure gold baby

That melts to a shriek.
I turn and burn.
Do not think I underestimate your great concern.

Ash, ash---
You poke and stir.
Flesh, bone, there is nothing there----

A cake of soap,
A wedding ring,
A gold filling.

Herr God, Herr Lucifer
Beware
Beware.

Out of the ash
I rise with my red hair
And I eat men like air.

Lady Lazarus, Sylvia Plath, 1962

Il est très riche, comme on peut le voir, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle se pose en revenante, revenante de la mort. Elle a survécu à sa dernière tentative de suicide en date, et elle revient, se donnant à la fois en spectacle pour mieux le rejeter ensuite. Elle se représente ne créature monstrueuse, en sorcière. Elle est à la fois victime et bourreau, figure christique dont on vient voir les plaies, et divinité punissant les hommes, dont elle semble porter, en un sens les péché dans sa souffrance… le poème est très riche, et très complexe, et ne saurait se limiter à ces quelques lignes, mais davantage que cela, c’est une comparaison qu’elle dresse dans le poème :

my skin
Bright as a Nazi lampshade,

Vous voyez la référence ? Elle renvoie au fait que les nazies, sur les lubies de certains, récupéraient les peux des prisonniers lorsqu’ils avaient de beau tatouages pour en faire des abat-jour… Semprun l’explique d’ailleurs dans le grand voyage.

Or, Plath n’est pas juive… et elle n’a pas fait les camps.

Le problème ici, c’est qu’elle se sert d’une image, en quelque sorte, tabou, pour renvoyer à sa souffrance personnelle. Mais la question que je me pose, et que je vous retourne là, c’est a-t-elle la légitimité à faire cela. Est-ce que l’expérience juive de l’holocauste est passée dans le fonds commun littéraire, mythique, de sorte que chacun puisse s’en servir ?

J’aime beaucoup Sylvia Plath, et je dois dire que là je suis perplexe. Je ne sais dans quel sens trancher… il aurait mieux valu ne pas l’écrire en fait. Là, c’est un peu trop tard, son poème est réussi, comment en retrancher cela… mais pour ma part, pour celle de beaucoup de gens, on n’aurait pas osé parler de cela, pas osé faire sienne cette souffrance, pas osé revendiquer une communauté d’expérience… alors je ne peux prendre position, ni la rejeter, parce que je sais qu’elle a souffert, et qu’en un sens, la compassion que je peux avoir pour elle, pour cette souffrance qui la pousse à revendiquer pour sien quelque chose d’aussi énorme que l’holocauste me sert à l’excuser, et en même temps, en même temps, je pense qu’elle a eu tort. Que la littérature, et encore moins l’histoire universelle ne sont ce « supermarket in California » dont parle Ginsberg dans le poème éponyme…

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