samedi 26 mai 2007

Tomber sept fois, se relever huit


Aujourd'hui, une note un peu particulière, sur un livre que j'aime beaucoup, Tomber sept fois, se relever huit, de Philippe Labro.
le sujet n'en est pas très gai, mais c'est un livre extrêmement utile, important je dirais même, dans la mesure où son sujet est la dépression dans toute son ampleur.

L'auteur, sur un ton très confessionnel nous raconte comment un matin il s'est rendu compte, devant le désarroi de ses proches, devant son propre mal-être, qu'il faisait une dépression. il a toujours pensé jusque là que c'était quelque chose d'étrange, même pas une maladie, mais comme un renoncement de la volonté devant la vie. et le voilà lui-même dépressif, obligé de changer de point de vue, de se rendre compte.

Il nous propose alors une description au scalpel de ses symptômes : insomnies constantes, d'une part parce que le sommeil manque, d'autre part par peur de la nuit souvent, peur des pensées qui ressurgissent, des cauchemars, peur aussi parce que c'est toujours la nuit que les choses changent. Manque d'appétit mais moments de fringale. Envie de ne voir personne et en même temps d'être entouré, serré, pressé sur un coeur. question constante à la bouche, "à quoi bon ?" On remet en question tous les choix qu'on avait fait jusque là et on se demande à quoi bon. c'est comme si d'un coup le sens avait disparu, s'en était caché. On sait qu'un jour on a fait ces choix, qu'ils nous ont parus bons, importants, mais on n'est plus capables de voir pourquoi. On tient un moment en faisant confiance à cet ancien moi qui avait décidé, en se disant qu'il y avait une raison. mais ça ne tient pas longtemps. et comme on n'est plus capable de prendre la moindre décision, même la plus simple, on en reste là, bloqué dans cette impasse. une donné cruciale manque, c'est l'amour de soi, la volonté de se battre pour une certaine idée de ce que l'on veut. On a cessé de vouloir parce qu'une grande fatigue s'est abattue sur nous et qu'on n'a plus la force de vouloir, que c'est trop d'efforts et qu'on voudrait juste... dormir, et on ne peut pas, et la vie ne nous laisse pas en paix, et on est malheureux. c'est un véritable détresse qui s'installe et qui est très souvent incompréhensible à l'extérieur. assimilée à de la paresse, à un manque de volonté, à de la mauvaise foi. pas du tout, simplement, le malade n'a plus la force de se défendre pour prouver le contraire.

Le terme de maladie est justifié dans la mesure où effectivement, il y a bien souvent des causes organiques, l'organisme a été fatigué, longtemps, par une anémie, du surmenage, il a été fragilisé. la corde est tendue, on tire, et au premier choc, elle fini par rompre. et c'est la brisure et la chose, le "break down".

Je vous épargne sa chute pour passer au moment où Labro nous décrit alors comment sa femme, sa famille l'a patiemment aidé à s'en sortir. Comment il a essayé différents psy, ce qu'ils lui ont apporté, comment il a fini par trouver les bons anti-dépresseurs - ça ne marche pas de suite - l'étrange réconfort des pilules qui, tout en pointant le mal du doigt, nous disent aussi que ça va aller parce qu'elles sont preuves que quelqu'un s'est intéressé à notre cas, et est là, pour nous tirer la tête hors de l'eau. La remontée est lente pour lui, il vient de bas, très bas. Il n'a essayé de mettre fin à ses jours, heureusement, mais, c'est l'occasion là d'ouvrir une parenthèse polémique.

Beaucoup de dépressifs se suicident. On le sait, on l'attribue justement à leur maladie. en un sens oui, mais la volonté de mourir n'est pas toujours là. souvent, c'est le quelle importance qui domine, quelle importance de continuer, je n'ai plus de projets, je ne tiens plus à ceux que j'avais de toute façon. là, oui, c'est conscient. mais il y a aussi les gens qui avalent trop de pilules. parfois, c'est simplement le désir d'oubli, de dormir un peu. les nuits sont si difficiles, les réveils encore pire, ils ont besoin et envie de dormir. et un dépressif, n'accordant d'importance à rien, est rarement capable de se souvenir des quantités de médicaments qu'il avale...


Labro, en une grosse année, s'en est sorti. il a eu de la chance. il n'en reste pas moins qu'il est marqué à vie apr cette expérience. même s'il est plus solide aujourd'hui qu'hier. il y a aussi la constante angoisse de la rechute, parce que ce qui a été supporté une fois, on n'est plus sûrs de pouvoir le faire une deuxième. Il y a la culpabilité, un dépressif se sent toujours coupable, parce qu'il est porté à l'auto-dévaluation, et nombreux sont les gens qui, consciemment ou non, en profitent pour déverser sur lui toutes les responsabilités, vu qu'il ne lutte plus. et d'autre part, la dépression n'est jamais quelque chose dont on guérisse vraiment.

Elle a un avantage toutefois, c'est qu'elle développe une certaine acuité mentale, une certaine sensibilité exacerbée à la vie. les détails n'échappent plus après, on sait le prix d'une demi heure sur un banc dans un soleil de printemps... beaucoup d'artistes sont ou ont été dépressifs. et cela sert leur création. cela développe leur sensibilité à la douleur, au sentiment douleur, pour l'avoir éprouvé dans leur âme, cela développe leur esprit fantasque, à cause des crises de paranoïa dont ils ont été les victimes. et surtout, on ne sait qui vient le premier, de l'oeuf ou de la poule, est-ce la difficulté de la création qui les a rendu dépressifs, ou parce qu'ils sont dépressifs qu'ils ont pu devenir artistes. à regarder nos grands peintres, écrivains, sculpteur, on a l'impression que si l'on n'a pas souffert de mélancolie, on ne peut créer. rares (et précieux) sont les artistes heureux. et dans tous les cas, ils ne naissent pas heureux, ils le sont devenus, ils se sont voulus l'être...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Sur le même sujet, je te recommande "Dans les ténèbres" de William Styron (dont je suppose que tu le connais mieux que moi !), qui a lui aussi raconté avec finesse et sensibilité un épisode dépressif particulièrement sévère - et évoqué la maladie de quelques autres, comme Romain Gary, Camus...

Pierre Daninos, quant à lui, s'est livré dans "Le Trente-sixième Dessous", un roman humoristique que pour ma part j'ai assez peu goûté - à l'exception du chapitre qui énumère l'ensemble des "recettes" contre la dépression que lui ont données proches et connaissances, jouissif !

Deux remarques : d'une part, la dépression est bien une maladie, que son substrat soit effectivement physique ou non (peu importe en fait, toutes les maladies n'ont pas une cause physique, et celles de la dépression sont souvent nébuleuses). De l'autre, contrairement à ce que tu écris, il n'est nullement impossible d'en guérir, je crois même (pourquoi ne pas le dire, j'en ai fait l'expérience personnellement) qu'il est très important de garder la foi en la guérison pour s'en sortir.

Bien amicalement.

Lenora a dit…

merci pour les références !
je disais qu'il était difficile - rare - à mon sens d'en guérir, dans la mesure où les rechutes sont si faciles, et que pour un bon moment, on vit dans une forme de fragilité, que donne la peur de la rechute. mais c'est davantage une opinion personnelle qu'autre chose. en tous les cas je suis ravie que tu aies mis un commentaire !