mardi 29 mai 2007

stat rosa pristina nomine, nomida nuda tenemus...

non non, je ne vais pas faire une longue note en latin (je tiens à ce que mon blog continue à avoir plus de deux lecteurs...), mais sur le Nom de la rose d'Umberto Eco.
Plus précisément sur l'inscription du Livre dans ce livre. Mais si c'est très intéressant !

Le livre, c'est évidemment, tout d'abord, la Bible à un premier niveau, mais par métonymie, il peut désigner aussi bien le Livre, horizon du poète (Mallarmé, Baudelaire), de l'écrivain (Schultz), ou tout livre en fait (les robinsonnades).

Ceci posé, ce qui est fascinant dans le Nom de la rose c'est que tous les sens sont intrinsèquement liés. On a à faire à un livre, qui se décompose en sept jours, suivant le schéma de l'apocalypse, les sept trompettes, les sept crimes, rien à voir avec la Genèse comme j'ai pu voir certains le penser... et le centre de ce livre, le noeud de l'intrigue, c'est la quête d'un livre. quête tout d'abord physique, on le cherche vraiment, c'est pour ça que des gens meurent, et aussi quête symbolique : tout auteur est en quête du Livre.


Un petit mot, le livre qu'on cherche ici c'est le tome II de la poétique d'Aristote, celui qui traite de la comédie, Eco nous donne à lire une intéressante fiction historique sur sa perte en fait. Qu'à ce livre de problématique, il dédiabolise le rire. Comme al fin l'explique très bien, le rire, c'est le propre du diable, c'est l'animalité, l'absence de peur, de respect, la distance en un mot, pour qu'on rit il faut du jeu. le rire n'était pas totalement banni jusque - là, on avait les carnavals et les farces, les saturnales, mais il restait vil, bas, animal, toléré mais méprisé. Et voilà qu'Aristote le réhabilite... catastrophe, alors l'homme, s'il peut rire, n'aura plus peur, l'homme saura prendre les choses avec distances et n'aura plus peur... fin de l'Eglise et tout s'écroule. En tout cas, c'est là la lecture que Jorge fait des événements (et pas du livre, il est aveugle, comme un prophète de malheur, face aux prophètes positifs tels Tirésias). il a tort évidemment, ce qu'il prône, c'est l'obscurantisme, mais il y croit assez pour avoir empoisonné le livre de façon à ce que tous ceux qui le touchent en meurent.

je soulignerai néanmoins ici que ce n'est pas la Bible qui est en cause, elle ne pose pas d'interdit particuliers, enfin, elle ne diabolise pas la réflexion, l'intelligence et toutes ces choses comme semble le dire Jorge, il en a fait une mauvaise lecture. La Bible, plus que tout texte, doit être soumis à interprétation, et court le risque d'une mauvaise lecture de ce genre... Ce ne sont jamais les choses qui sont bonnes ou mauvaises en soi, c'est ce qu'on en fait, c'est l'homme qui crée du sens, il n'est pas déjà là à nous attendre, il faut garder les choses à leur place...


Ce qui est intéressant dans le Livre d'Eco, c'en est justement la fin. Le livre disparaît, la quête de son savoir avec elle, il est perdu à jamais, c'est tout un pan du Moyen-Age qui s'effondre à ce moment-là, on entre dans les Ages obscurs en un sens, période des hérésies, des papes en Avignon et à Rome etc. Le Livre, la Bible tout d'abord, semblait porteuse d'un sens dans le texte d'Eco, les crimes suivaient les prophéties apocalyptiques, on pouvait les interpréter, voire les prévoir, sauf que Guillaume n'y a jamais réussi, et pour cause, tout n'était que hasard. Si cela ne prouve pas que la réalité et les signes n'ont de sens que celui qu'on leur donne... ! Le Livre est ramené à son statut de Livre soumis à interprétation, à l'herméneutique, il n'est jamais déjà là, toujours à trouver, ça Mallarmé l'a bien montré. Et alors ensuite, la disparition de la Poétique, posé en anti-Bible, par les effets qu'ont lui suppose sur l'Eglise, supprime tout livre avec elle, la bibliothèque brûle, ses précieux trésors avec elle. Un cheval en furie tue un des vieux moines. Privés du sens de l'apocalypse qu'on voulait avant voir là, les lecteurs se trouvent devant l'absurde à plein... c'est l'aporie du sens, et c'est d'autant plus choquant et destabilisant qu'on croyait s'élever dans l'analyse, c'est la chute là, totale, finale. Il ne faut pas oublier que, si tout est déjà là, déjà dans la Bible, comme le pensent les cabbalistes, dans les blancs du texte, le sens ne nous en sera délivré qu'au Jugement dernier, et visiblement, la fin du texte d'Eco, ça y ressemble, mais ne l'est pas non plus...


La conclusion du Nom de la rose est donnée par Adso. Revenu bien plus tard sur les lieux, il a sauvé quelques feuillets épars qu'il a rassemblé. Ponctuellement dans sa vie, il les a ressorti, croyant toujours y trouver, y lire, pile la réponse au problème qui le tourmentait. Il s'installe dans une espèce de culte du fragment, assez dérisoire en fait, à la fin, et s'il était encore besoin de le prouver, on voit bien que le livre n'a de sens que par la lecture que l'on en fait, et que celle-ci ne peut jamais prétendre à un absolu.



NB, le livre du début n'est qu très vaguement approchant de ce qu'aurait pu être la Poétique. Il s'agit ici juste d'un incunable, sans doute bien plus vieux que le manuscrit en question.

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