Je voulais parler de Semprun, mais je n'y arrive pas encore, cela ne donnait qu'un beau fouillis cubiste.
Je vais peut-être me contenter de parler de mon titre favori chez lui : L'écriture ou la vie.
ça semble bizarre hein ? Et puis, c'est un peu gênant de tout de suite poser cette alternative, comme "la bourse ou la vie". ça met tout de suite les choses sur un plan dramatique où on n'a pas toujours envie d'aller, on n'a pas toujours envie que tout soit question de vie et de mort. Et il nous y force. Nous y tire. On se rebiffe un peu... non, pas un autre livre sur les camps, non, c'est trop terrible, non, laissez moi... et, comme avec un bon danseur, on plie en même temps, et avec plaisir, pour se laisser complètement dominer. Je l'ai lu d'une traite à l'époque, tant il a su me garder sous sa coupe. Et si j'ai un livre de chevet, c'est lui.
Le titre, donc, pose une équivalence dramatique entre écrire et vivre. Pourquoi ? Remarquez, la connaissance du livre facilite la réponse, je me rends compte que je pars du principe que tout le monde l'a lu en fait, tant il est une évidence dans mon monde intérieur.
Parenthèse narrative : l'écriture ou la vie, c'est le roman d'une écriture, Semprun raconte comment, entre son retour de Buchenwald et les années 80 il s'est affronté à l'écriture, a forcé pour essayer d'écrire, à tout prix. Le récit du livre est indissociable de la réponse à ma question en fait...
Quand il est rentré des camps, Semprun, comme beaucoup, voulait oublier, vivre, aller de l'avant, tourner la page. Et il le faisait, il y réussissait pas mal. Le jour en tout cas. La nuit, dans son sommeil, dans ses cauchemars, toutes ses expériences revenaient avec une acuité insoutenable. Qui le dévorait lentement de l'intérieur. On peut contrôler ses pensées la journée, mais jamais la nuit, jamais pendant son sommeil, demandez aux insomniaques si ce n'est pas cela, justement, qui les maintient éveillés. La nuit, l'esprit n'a plus de règles. Et semprun s'est rendu bien vite compte qu'il ne pouvait plus longtemps vivre ainsi, avec toutes ces expériences, tout cela, renfermé, refoulé dans un coin de son esprit. Mais il se disait, écrire ? Ecrire, mais c'est revivre... je ne supporterai jamais de revivre cela. Ca me tuerait. Il a lutté encore un moment, continué à essayer de vivre comme cela.
Puis il s'est résolu à écrire, pensant par là, faire un long suicide, mais au moins, dans les derniers instants, trouver la paix. Le livre, au départ, devait s'appeler l'écriture ou la mort. Non pas dans le sens d'une alternative, non, ça c'est trop facile, mais dans le sens d'une équivalence. Repensez à tous ces vieux Comtesse de Ségur, où il y a toujours "ou" dans les titres de chapitres, et bien là, c'est pareil. Ca en ouvre des portes , une fois cela compris. Il écrit donc, le livre naît, et peu à peu, il se libère, il avance, il s'allège, il est soulagé. Et il termine. Et il vit mieux. Et le livre devient l'écriture ou la vie, ce qu'il est aujourd'hui. Evidemment, vous vous doutiez qu'on ne meurt pas comme cela d'écrire un livre. Je pense que ce n'était pas gagné d'avance. Regardez Primo Levi. On ne saura jamais comment il est tombé dans cet escalier...
Ma théorie, c'est qu'il faut accepter de tout mettre dans la balance à un moment, pour avoir plus. Jouer le tout pour le tout. Semprun a vu, a pensé, que dans tous les cas, il allait mourir. Alors il a choisit la voie de la création, tant qu'à mourir, autant laisser une oeuvre, autant essayer de se soulager un peu avant. Il a accepté de tout perdre, pour, finalement, y gagner la vie à la fin. Ce n'était, comme dit, pas gagné d'avance. La cure aurait pu ne pas suffire, et elle ne suffit pas pour tout le monde. Mais le fait qu'il fasse ce choix, un jour, à mon sens, est ce qui l'a sauvé de ses cauchemars, de la mort spirituelle.
C'est la plus grande valeur qu'on puisse donner à l'écriture. Il y a toujours cette grande controverse, dont j'ai déjà parlé "can poetry redeem the world", est-ce que la littérature peut changer le monde ? Zweig est mort parce qu'il n'a pas supporté l'échec de la littérature, de la culture, à empécher la II Guerre mondiale et le nazisme. Auden pense que non, pour écrire et souffrir tout de même. Je ne pense pas non plus qu'elle change le monde. La seule chose qu'elle change, c'est notre regard sur celui-ci. La littérature nous apprend à changer de regard sur le monde, à ne pas nous payer d'évidences, à regarder de l'autre côté du rideau. c'est une chance formidable, qu'il ne faut pas négliger je crois.
Semprun, en un sens, cette après-midi là, en affirmant sa foi dans l'écriture, dans la culture, dans la vie et dans l'homme, m'a montré pourquoi ça valait la peine de se battre. Je me suis toujours dit, depuis l'avoir lu, s'il a pu survivre à tout cela, s'il a pu écrire cela, qu'en un sens, c'est presque un devoir que de ne pas baisser les bras, de faire de la littérature. Vrai ou non, on a parfois besoin de ce genre de répères, de motivations pour traverser certaines années. Semprun, c'est pour moi le devoir de littérature.
Hommage nostalgique à Elie Wiesel, à Robert Antelme, à Martin Gray, à Primo Levi, à Imre Kertész, à tous ces auteurs de mon panthéon personnel et dans lesquels j'allais me spécialiser.
Je vais peut-être me contenter de parler de mon titre favori chez lui : L'écriture ou la vie.
ça semble bizarre hein ? Et puis, c'est un peu gênant de tout de suite poser cette alternative, comme "la bourse ou la vie". ça met tout de suite les choses sur un plan dramatique où on n'a pas toujours envie d'aller, on n'a pas toujours envie que tout soit question de vie et de mort. Et il nous y force. Nous y tire. On se rebiffe un peu... non, pas un autre livre sur les camps, non, c'est trop terrible, non, laissez moi... et, comme avec un bon danseur, on plie en même temps, et avec plaisir, pour se laisser complètement dominer. Je l'ai lu d'une traite à l'époque, tant il a su me garder sous sa coupe. Et si j'ai un livre de chevet, c'est lui.
Le titre, donc, pose une équivalence dramatique entre écrire et vivre. Pourquoi ? Remarquez, la connaissance du livre facilite la réponse, je me rends compte que je pars du principe que tout le monde l'a lu en fait, tant il est une évidence dans mon monde intérieur.
Parenthèse narrative : l'écriture ou la vie, c'est le roman d'une écriture, Semprun raconte comment, entre son retour de Buchenwald et les années 80 il s'est affronté à l'écriture, a forcé pour essayer d'écrire, à tout prix. Le récit du livre est indissociable de la réponse à ma question en fait...
Quand il est rentré des camps, Semprun, comme beaucoup, voulait oublier, vivre, aller de l'avant, tourner la page. Et il le faisait, il y réussissait pas mal. Le jour en tout cas. La nuit, dans son sommeil, dans ses cauchemars, toutes ses expériences revenaient avec une acuité insoutenable. Qui le dévorait lentement de l'intérieur. On peut contrôler ses pensées la journée, mais jamais la nuit, jamais pendant son sommeil, demandez aux insomniaques si ce n'est pas cela, justement, qui les maintient éveillés. La nuit, l'esprit n'a plus de règles. Et semprun s'est rendu bien vite compte qu'il ne pouvait plus longtemps vivre ainsi, avec toutes ces expériences, tout cela, renfermé, refoulé dans un coin de son esprit. Mais il se disait, écrire ? Ecrire, mais c'est revivre... je ne supporterai jamais de revivre cela. Ca me tuerait. Il a lutté encore un moment, continué à essayer de vivre comme cela.
Puis il s'est résolu à écrire, pensant par là, faire un long suicide, mais au moins, dans les derniers instants, trouver la paix. Le livre, au départ, devait s'appeler l'écriture ou la mort. Non pas dans le sens d'une alternative, non, ça c'est trop facile, mais dans le sens d'une équivalence. Repensez à tous ces vieux Comtesse de Ségur, où il y a toujours "ou" dans les titres de chapitres, et bien là, c'est pareil. Ca en ouvre des portes , une fois cela compris. Il écrit donc, le livre naît, et peu à peu, il se libère, il avance, il s'allège, il est soulagé. Et il termine. Et il vit mieux. Et le livre devient l'écriture ou la vie, ce qu'il est aujourd'hui. Evidemment, vous vous doutiez qu'on ne meurt pas comme cela d'écrire un livre. Je pense que ce n'était pas gagné d'avance. Regardez Primo Levi. On ne saura jamais comment il est tombé dans cet escalier...
Ma théorie, c'est qu'il faut accepter de tout mettre dans la balance à un moment, pour avoir plus. Jouer le tout pour le tout. Semprun a vu, a pensé, que dans tous les cas, il allait mourir. Alors il a choisit la voie de la création, tant qu'à mourir, autant laisser une oeuvre, autant essayer de se soulager un peu avant. Il a accepté de tout perdre, pour, finalement, y gagner la vie à la fin. Ce n'était, comme dit, pas gagné d'avance. La cure aurait pu ne pas suffire, et elle ne suffit pas pour tout le monde. Mais le fait qu'il fasse ce choix, un jour, à mon sens, est ce qui l'a sauvé de ses cauchemars, de la mort spirituelle.
C'est la plus grande valeur qu'on puisse donner à l'écriture. Il y a toujours cette grande controverse, dont j'ai déjà parlé "can poetry redeem the world", est-ce que la littérature peut changer le monde ? Zweig est mort parce qu'il n'a pas supporté l'échec de la littérature, de la culture, à empécher la II Guerre mondiale et le nazisme. Auden pense que non, pour écrire et souffrir tout de même. Je ne pense pas non plus qu'elle change le monde. La seule chose qu'elle change, c'est notre regard sur celui-ci. La littérature nous apprend à changer de regard sur le monde, à ne pas nous payer d'évidences, à regarder de l'autre côté du rideau. c'est une chance formidable, qu'il ne faut pas négliger je crois.
Semprun, en un sens, cette après-midi là, en affirmant sa foi dans l'écriture, dans la culture, dans la vie et dans l'homme, m'a montré pourquoi ça valait la peine de se battre. Je me suis toujours dit, depuis l'avoir lu, s'il a pu survivre à tout cela, s'il a pu écrire cela, qu'en un sens, c'est presque un devoir que de ne pas baisser les bras, de faire de la littérature. Vrai ou non, on a parfois besoin de ce genre de répères, de motivations pour traverser certaines années. Semprun, c'est pour moi le devoir de littérature.
Hommage nostalgique à Elie Wiesel, à Robert Antelme, à Martin Gray, à Primo Levi, à Imre Kertész, à tous ces auteurs de mon panthéon personnel et dans lesquels j'allais me spécialiser.
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